Journal L’Auditoire - Lausanne
« Le boycott est l’outil de celles et ceux qui veulent lutter pacifiquement contre l’occupation israélienne. »
Ramzy Baroud, écrivain palestinien exilé aux
États-Unis, était en Suisse pour présenter son dernier livre, Résistant
en Palestine. Il y raconte l’histoire populaire d’une lutte
extraordinaire menée par des Palestiniennes et des Palestiniens
« ordinaires » comme son père.
Cette lutte s’est, avec les années, internationalisée, et
aujourd’hui, un de ses instruments, porteur d’espoir pour ses
instigateurs, se résume à ces trois lettres : BDS. Il s’agit de la
campagne de boycott, désinvestissement et sanctions, qui milite depuis
2005 pour un isolement économique mais aussi culturel de l’État hébreu,
dans le but que ce dernier se retrouve acculé et contraint à renoncer à
sa politique jugée colonialiste, raciste, brutale et cruelle par toute
la mouvance pro-palestinienne.
La série de mesures que soutient la campagne BDS a donc pour objectif
final le respect et l’application du Droit International et les
Principes Universels des Droits de l’Homme par l’État d’Israël. Le cas
qui prouve, aux yeux de ceux qui supportent la campagne, que cette ligne
d’action est potentiellement bonne et que l’objectif est plus que
réaliste, c’est la chute régime d’Apartheid en Afrique du Sud, suite à
un isolement économique.
L’interview qui suit a été réalisée et traduite par Cindy Sand et Alicia Gaudard.
Est-ce qu’il ne serait pas plus productif de négocier une solution politique plutôt que d’appeler au boycott d’Israël ?
Les Palestiniens ont négocié en toute bonne foi, et cela depuis 1991,
avant les accords d’Oslo. Ça fait donc plus de vingt ans. Depuis le
moment où ils ont commencé à négocier et jusqu’à aujourd’hui, ils ont
perdu beaucoup de leurs terres et le nombre de colons qui s’y sont
installés a triplé. Les Palestiniens sont en train de subir un nettoyage
ethnique. Alors je crois vraiment qu’on peut dire que pour les
Palestiniens, les négociations n’ont mené nulle part.
Il est difficile de voir l’impact sur le terrain d’une
campagne telle que BDS. Est-ce qu’il ne serait pas plus judicieux de
soutenir des projets humanitaires afin d’aider les Palestiniens d’une
manière plus concrète ?
Je pense que c’est faux de penser cela parce que la lutte des
Palestiniens ne peut pas être réduite à une catastrophe humanitaire. Les
Palestiniens ne sont pas les victimes d’une catastrophe naturelle mais
bien d’un siège. Et ce siège résulte d’une décision politique du
gouvernement israélien et doit être reconnu comme tel. C’est un problème
politique et il ne pourra être réglé qu’en prenant de fermes mesures
politiques. Il existe une dimension humanitaire indéniable à la lutte
palestinienne et nous nous devons de prendre en compte la souffrance du
peuple. Mais il faut replacer cette crise humanitaire dans son contexte
et ne pas oublier la cause de ces souffrances. C’est pourquoi je pense
que la campagne BDS est bien plus efficace que n’importe quel projet
humanitaire.
Certaines personnes estiment la campagne BDS trop radicale, que leur répondez-vous ?
Pour être honnête, je pense qu’on ne peut pas faire de compromis
lorsqu’il s’agit de justice. Nelson Mandela est mort récemment. Il
n’était pas le genre d’homme à parler d’amour et à danser main dans la
main. C’était un combattant acharné. Ses messages étaient puissants et
redoutables, et c’est pourquoi des dirigeants politiques comme Reagan et
Thatcher l’ont traité de terroriste. Il ne faisait aucun compromis
lorsqu’il s’agissait de parler de liberté et de justice. BDS est une
plate-forme ouverte à toutes et à tous, pas raciste mais morale, et
toutes celles et ceux qui acceptent certains principes tels que les
droits humains, la justice et la liberté pour les Palestiniens sont
invités à la rejoindre.
Pensez-vous que BDS ait le potentiel pour devenir un mouvement de masse ?
Il serait faux de penser que BDS peut fonctionner sans être
accompagné par une autre campagne, une campagne d’information, afin de
toucher le public le plus large possible, qui ne sera efficace que s’il
lutte collectivement. On ne peut pas s’attendre à ce que les gens
s’investissent dans une campagne sans en comprendre les enjeux. En
Afrique du Sud, le mouvement anti-apartheid a tout d’abord appelé au
boycott des activités sportives, avant de s’élargir à d’autres formes de
boycott.
Il leur a fallu de nombreuses années pour imposer une prise de
conscience internationale qui permette à leur campagne d’être efficace.
Si on compare nos progrès aux leurs, je dirais que notre campagne
progresse plutôt rapidement. C’est donc très positif. Mais il est
essentiel pour nous de ne pas inviter les gens à soutenir notre campagne
sans les armer des outils nécessaires pour en comprendre et faire
partager les enjeux.
Comment le BDS peut-il avoir un impact concret alors que nos gouvernements continuent à soutenir Israël ?
La campagne BDS agit à différents niveaux. En tant que membres de la
société civile, nous avons un certain pouvoir que l’on ne peut pas pour
l’instant dépasser. Nous voulons augmenter pour Israël le prix de
l’occupation. Notre but est de délégitimer le soi-disant État
démocratique d’Israël. Voilà ce que nous devons faire. En même temps, le
comportement des gouvernements occidentaux par rapport à Israël, les
États-Unis en particulier mais aussi l’Angleterre et dans une moindre
mesure la France, est en contradiction avec l’opinion publique de ces
mêmes pays. Cela met en évidence leur échec mais également notre
succès !
Dans une société démocratique, on ne peut pas maintenir indéfiniment
un fossé entre le gouvernement et la société civile. Il devient vite
impossible pour les gouvernements de justifier leurs actions si
celles-ci sont en contradiction avec l’opinion de la majorité. En ayant
l’opinion publique de notre côté, on rend les choses difficiles pour les
gouvernements qui essayent de maintenir leurs liens avec Israël. Il
arrivera un moment ou la pression de la société civile sera trop forte.
Pour vous donner un exemple, les diplomates de l’Union Européenne, qui
sont basés à Jérusalem, écrivent chaque année un rapport sur la
situation en Palestine/Israël.
Leurs rapports sont chaque année un peu plus critiques envers Israël.
Assez critiques même pour que la publication du rapport de l’année
passée mette sérieusement l’Union Européenne dans l’embarras, leurs
propres diplomates tenant des propos en complète contradiction avec les
politiques de l’Union.
Quel a été l’impact de BDS jusqu’à présent ?
BDS opère et est efficace à deux niveaux différents. Le premier
niveau est pragmatique et on constate son efficacité quand on voit des
compagnies désinvestir d’Israël ou refuser de travailler dans ses
colonies. Avec les récentes recommandations émises par l’Union
Européenne [qui prohibent l’attribution de bourses, de prêts ou de prix
de l’Union Européenne aux entités basées dans les territoires occupés
par Israël, ndr] on a atteint le stade ou les revendications de BDS se
traduisent en termes de politiques.
Mais la campagne BDS est aussi efficace à un autre niveau qui est
plus symbolique : depuis de nombreuses années, Israël se fiche
complètement de ce que le monde pense, mais grâce à BDS, nous avons
maintenant un mécanisme qui nous permet de transformer le soutien dont
les Palestiniens bénéficient en une campagne proactive et en actions
concrètes.
Admettons que BDS entraîne des pertes financières pour Israël. Est-ce que ça changerait vraiment quelque chose ?
Certaines personnes soutiennent qu’il n’y a rien de plus facile pour
les États-Unis que de compenser les pertes financières causées à Israël
par BDS. Il ne s’agit finalement que d’augmenter de quelques centaines
de millions de dollars par an leur assistance à Israël. Alors où est le
problème ? Le problème, c’est qu’il ne faut pas oublier qu’il y a là une
dimension politique : Israël a survécu pendant toutes ces années grâce à
son image d’un État légitime, démocratique, constitutionnel, avec des
frontières définies. Évidemment tout cela n’est qu’un tissu de mensonges
et la campagne BDS les expose au grand jour.
Cela entraîne la perte pour l’État d’Israël de la légitimité
politique qu’il s’était forgée à travers le monde. On ne crie plus son
amour pour Israël haut et fort. En fait, de nombreuses célébrités
refusent aujourd’hui de se produire en Israël. Pour la plupart d’entre
eux, ce n’est pas par souci pour la justice et les droits humains, mais
simplement parce qu’ils ne veulent pas se déconsidérer dans ce qu’ils
voient comme une situation politique peu ragoûtante. Et BDS est la force
motrice derrière cela !
Comment va réagir le gouvernement israélien le jour où les sanctions financières menaceront son économie ?
Jusqu’à présent, lorsque des compagnies ont été exclues de certains
marchés, leur réaction a été d’en chercher de nouveaux. Leur problème
est que le gouvernement états-unien est au bord de la faillite et ne
peut plus financer Israël aussi généreusement que par le passé. Et quand
il le fait, cela met en colère les citoyens états-uniens. Leur colère
ne vient pas de leur attachement à la Palestine, elle est le fruit d’une
équation mathématique très simple : le gouvernement états-unien ferme
des écoles, annule des programmes musicaux et des événements sportifs
tout en envoyant de l’argent en Israël pour tuer d’autres gens. Les
citoyens ne veulent pas se sentir impliqués dans quelque chose qu’ils
pensent ne pas être leur affaire.
L’influence d’Israël sur les États-Unis et l’entente sont donc en
train de diminuer. Les membres du gouvernement israélien ont déjà tenté
d’explorer le marché chinois et je pense qu’ils sont en train de
préparer la France à devenir leur nouvel homme de main en Europe.
Quelle serait la réaction du gouvernement israélien s’il se
retrouvait complètement isolé sur la scène internationale ? Est-ce qu’il
serait alors prêt à faire des compromis et à changer leur attitude ?
La direction israélienne réfléchit toujours en termes de quels sont
les intérêts d’Israël, mais au sein même de cette direction, il y a des
désaccords. Prenez par exemple l’ex-Premier Ministre Ehud Olmert, un
homme politique de droite qui est également un criminel de guerre. Vers
la fin de son mandat, il semble avoir réalisé qu’il ne pourrait pas
poursuivre sa politique indéfiniment, qu’on arrivait à un point de
non-retour où, que ça nous plaise ou non, Palestiniens et Israéliens
vivent dans un État commun.
Les Palestiniens changeront la nature de leur lutte, passant d’une
lutte pour l’indépendance à une lutte pour l’égalité au sein d’un seul
et unique cadre, avec des frontières communes. D’autres politiciens
israéliens comme Benjamin Netanyahu ne voient pas les choses de la même
façon. Pour eux, les demandes des Palestiniens n’ont aucune importance.
Pour lui, on peut rester assis et parler de paix pendant des
générations, au final seuls importent les faits : Israël continue de
construire des colonies et un système routier qui les relie. Une fois ce
projet terminé, les Palestiniens n’auront qu’à faire ce qu’ils veulent
avec ce qui reste.
Mais attention, si des Israéliens comme Ehud Olmert aimeraient
arriver à un compromis, c’est n’est en aucun cas parce qu’ils souhaitent
trouver une solution pacifique mais bien parce qu’ils sont inquiets.
Ils ont peur que leur politique finisse par mettre en péril l’identité
raciale exclusive d’Israël. Le leadership israélien pense qu’il va
pouvoir maintenir son régime encore longtemps mais il se trompe. Il
essaie de préserver l’identité juive d’Israël mais cela est impossible
si l’on considère le fait que le nombre des Palestiniens va sans aucun
doute dépasser le nombre des citoyens juifs d’Israël. La lutte se
transformera donc en une lutte de la majorité pour acquérir les mêmes
droits que la minorité.
Faut-il boycotter tous les produits israéliens ou seulement ceux qui proviennent des colonies ?
Disons que si les colonies étaient des régions autonomes et
fonctionnaient indépendamment d’Israël, je serais d’avis de boycotter
uniquement les colonies. Mais ce n’est pas le cas du tout ! Les colons
sont des citoyens israéliens, ils ont le droit de vote, sont défendus
par l’armée israélienne et financés par le gouvernement israélien. Les
colonies sont entièrement dépendantes du gouvernement qui les a créées.
On doit donc s’en prendre au gouvernement israélien ainsi qu’à ses
alliés.
Différencier Israël de ses colonies est juste une stratégie qui
permet aux compagnies basées dans ces colonies de trouver des moyens
pour faire fonctionner leur économie. En fait, vous savez, le fait même
de parler de colonies est problématique parce qu’on appelle ainsi
seulement les terres qui ont été occupées en 1967. L’État d’Israël a été
créé en 1947-48 sur les ruines de 518 villages palestiniens et avec le
nettoyage ethnique de leurs habitants. Alors quand on parle de colonies,
on évite aussi de parler de la Nakba [qui se traduit par la
catastrophe, la création de l’État d’Israël, ndr] et des causes du
problème qui persiste jusqu’à aujourd’hui. Le problème n’est pas survenu
avec l’implantation des colonies en 1967, il a commencé en 1947. Parler
de colonies revient donc à morceler la question politique.
Faut-il boycotter les universités israéliennes alors qu’elles sont sources de savoir et de critique ?
Les universités sont censées transmettre le savoir, rassembler les
gens, promouvoir la recherche scientifique. Le problème c’est que la
plupart, sinon toutes les institutions universitaires israéliennes sont
en fait des organes de l’État. Une grande partie de l’industrie
militaire et des stratégies politiques de l’occupation y sont
développées. Les universités ont un rôle actif dans l’occupation
israélienne de la Palestine. En plus de cela, de nombreuses universités
israéliennes sont construites sur des terres palestiniennes, et elles
sont censées s’adresser au monde et transmettre le savoir. Il faut faire
attention quand on applique notre conception de ce qu’est une
université au contexte israélien.
Par contre, il est important de distinguer les institutions
universitaires israéliennes - en particulier celles qui sont impliquées
dans l’occupation - des universitaires israéliens. Nous n’appelons pas
au boycott des individus, mais des institutions israéliennes. En Afrique
du Sud, il n’y a jamais eu d’excuse pour ne pas boycotter les
institutions académiques. En fait, celles-ci ont beaucoup souffert du
manque d’échanges avec les autres universités. La campagne de boycott a
affecté le régime sud-africain à différents niveaux et a rendu son
fonctionnement difficile. C’est ce que la campagne BDS veut imposer en
Israël.
Le boycott académique ne porte-t-il pas atteinte à la liberté académique ?
Non, boycotter les institutions académiques israéliennes ne constitue
pas une violation de la liberté académique, au contraire. Actuellement,
les Palestiniens n’ont aucune liberté académique. Pendant l’attaque de
22 jours sur Gaza en 2008-2009, des douzaines d’écoles ont été détruites
ou endommagées sous les bombes israéliennes. Des dizaines de milliers
d’étudiants de Cisjordanie, en particulier ceux qui vivent dans la zone C
[sous le contrôle total de l’armée israélienne, ndr] ont besoin d’un
permis pour pouvoir aller à l’école et rentrer à la maison. La situation
pour les Palestiniens est affligeante.
De l’autre côté, les institutions académiques israéliennes
fonctionnent sans entraves, conformément aux politiques d’occupation et
les institutions privées reçoivent des bourses gouvernementales pour des
projets de recherche qui bénéficient à l’armée et renforcent
l’occupation. La prospérité de ces institutions repose sur le malheur
des Palestiniens. Il ne peut pas y avoir de liberté académique dans un
système d’apartheid. En fait, la campagne pour le boycott académique
promeut la liberté académique pour toutes et tous.
Lors d’une visite à Gaza l’année passée, Chomsky a dit
qu’appeler au boycott universitaire à ce stade serait une erreur
tactique. Selon lui, un travail d’information est nécessaire au
préalable.
Je ne suis pas d’accord avec lui pour la raison suivante : quand je
soulève la question du boycott académique, je soulève en même temps une
autre question, celle de savoir pourquoi il faut boycotter les
universités israéliennes. Cela entraîne l’organisation de débats dans
les universités et si nos arguments sont convaincants, de nouvelles
personnes rejoignent nos rangs. Le cas échéant, on retourne devant le
tableau noir et on réfléchit à notre stratégie. Le fait est que le
boycott des institutions académiques israéliennes est important parce
qu’il permet de soulever des questions fondamentales. Décider de ne pas
appeler au boycott académique c’est accepter de rester coincé à un stade
très préliminaire du débat.
Est-ce que vous voyez un problème dans le fait que la
campagne BDS représente la résistance non violente comme unique forme de
résistance légitime contre le régime d’apartheid ?
Je ne pense pas que ce soit le cas. BDS est une stratégie non
violente, d’où son efficacité. Nous essayons de trouver un dénominateur
commun entre différentes sociétés civiles de par le monde. Je ne veux
pas que les gens aillent se battre en Palestine, mais qu’ils se sentent
responsables des agissements de leur gouvernement. C’est de cette façon
que le mouvement de solidarité internationale peut lutter contre
l’injustice en Palestine. C’est aux Palestiniens de décider de la forme
de lutte qu’ils pensent être la plus appropriée, en aucun cas au
mouvement de solidarité de décider de cela.
* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr
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