mercredi 12 mars 2014

Ramzy Baroud s’exprime sur la campagne internationale de boycott

mercredi 12 mars 2014 - 06h:33
Journal L’Auditoire - Lausanne
« Le boycott est l’outil de celles et ceux qui veulent lutter pacifiquement contre l’occupation israélienne. »
Ramzy Baroud, écrivain palestinien exilé aux États-Unis, était en Suisse pour présenter son dernier livre, Résistant en Palestine. Il y raconte l’histoire populaire d’une lutte extraordinaire menée par des Palestiniennes et des Palestiniens « ordinaires » comme son père.
Cette lutte s’est, avec les années, internationalisée, et aujourd’hui, un de ses instruments, porteur d’espoir pour ses instigateurs, se résume à ces trois lettres : BDS. Il s’agit de la campagne de boycott, désinvestissement et sanctions, qui milite depuis 2005 pour un isolement économique mais aussi culturel de l’État hébreu, dans le but que ce dernier se retrouve acculé et contraint à renoncer à sa politique jugée colonialiste, raciste, brutale et cruelle par toute la mouvance pro-palestinienne.
La série de mesures que soutient la campagne BDS a donc pour objectif final le respect et l’application du Droit International et les Principes Universels des Droits de l’Homme par l’État d’Israël. Le cas qui prouve, aux yeux de ceux qui supportent la campagne, que cette ligne d’action est potentiellement bonne et que l’objectif est plus que réaliste, c’est la chute régime d’Apartheid en Afrique du Sud, suite à un isolement économique.
L’interview qui suit a été réalisée et traduite par Cindy Sand et Alicia Gaudard.
Est-ce qu’il ne serait pas plus productif de négocier une solution politique plutôt que d’appeler au boycott d’Israël ?
Les Palestiniens ont négocié en toute bonne foi, et cela depuis 1991, avant les accords d’Oslo. Ça fait donc plus de vingt ans. Depuis le moment où ils ont commencé à négocier et jusqu’à aujourd’hui, ils ont perdu beaucoup de leurs terres et le nombre de colons qui s’y sont installés a triplé. Les Palestiniens sont en train de subir un nettoyage ethnique. Alors je crois vraiment qu’on peut dire que pour les Palestiniens, les négociations n’ont mené nulle part.
Il est difficile de voir l’impact sur le terrain d’une campagne telle que BDS. Est-ce qu’il ne serait pas plus judicieux de soutenir des projets humanitaires afin d’aider les Palestiniens d’une manière plus concrète ?
Je pense que c’est faux de penser cela parce que la lutte des Palestiniens ne peut pas être réduite à une catastrophe humanitaire. Les Palestiniens ne sont pas les victimes d’une catastrophe naturelle mais bien d’un siège. Et ce siège résulte d’une décision politique du gouvernement israélien et doit être reconnu comme tel. C’est un problème politique et il ne pourra être réglé qu’en prenant de fermes mesures politiques. Il existe une dimension humanitaire indéniable à la lutte palestinienne et nous nous devons de prendre en compte la souffrance du peuple. Mais il faut replacer cette crise humanitaire dans son contexte et ne pas oublier la cause de ces souffrances. C’est pourquoi je pense que la campagne BDS est bien plus efficace que n’importe quel projet humanitaire.
Certaines personnes estiment la campagne BDS trop radicale, que leur répondez-vous ?
Pour être honnête, je pense qu’on ne peut pas faire de compromis lorsqu’il s’agit de justice. Nelson Mandela est mort récemment. Il n’était pas le genre d’homme à parler d’amour et à danser main dans la main. C’était un combattant acharné. Ses messages étaient puissants et redoutables, et c’est pourquoi des dirigeants politiques comme Reagan et Thatcher l’ont traité de terroriste. Il ne faisait aucun compromis lorsqu’il s’agissait de parler de liberté et de justice. BDS est une plate-forme ouverte à toutes et à tous, pas raciste mais morale, et toutes celles et ceux qui acceptent certains principes tels que les droits humains, la justice et la liberté pour les Palestiniens sont invités à la rejoindre.
Pensez-vous que BDS ait le potentiel pour devenir un mouvement de masse ?
Il serait faux de penser que BDS peut fonctionner sans être accompagné par une autre campagne, une campagne d’information, afin de toucher le public le plus large possible, qui ne sera efficace que s’il lutte collectivement. On ne peut pas s’attendre à ce que les gens s’investissent dans une campagne sans en comprendre les enjeux. En Afrique du Sud, le mouvement anti-apartheid a tout d’abord appelé au boycott des activités sportives, avant de s’élargir à d’autres formes de boycott.
Il leur a fallu de nombreuses années pour imposer une prise de conscience internationale qui permette à leur campagne d’être efficace. Si on compare nos progrès aux leurs, je dirais que notre campagne progresse plutôt rapidement. C’est donc très positif. Mais il est essentiel pour nous de ne pas inviter les gens à soutenir notre campagne sans les armer des outils nécessaires pour en comprendre et faire partager les enjeux.
Comment le BDS peut-il avoir un impact concret alors que nos gouvernements continuent à soutenir Israël ?
La campagne BDS agit à différents niveaux. En tant que membres de la société civile, nous avons un certain pouvoir que l’on ne peut pas pour l’instant dépasser. Nous voulons augmenter pour Israël le prix de l’occupation. Notre but est de délégitimer le soi-disant État démocratique d’Israël. Voilà ce que nous devons faire. En même temps, le comportement des gouvernements occidentaux par rapport à Israël, les États-Unis en particulier mais aussi l’Angleterre et dans une moindre mesure la France, est en contradiction avec l’opinion publique de ces mêmes pays. Cela met en évidence leur échec mais également notre succès !
Dans une société démocratique, on ne peut pas maintenir indéfiniment un fossé entre le gouvernement et la société civile. Il devient vite impossible pour les gouvernements de justifier leurs actions si celles-ci sont en contradiction avec l’opinion de la majorité. En ayant l’opinion publique de notre côté, on rend les choses difficiles pour les gouvernements qui essayent de maintenir leurs liens avec Israël. Il arrivera un moment ou la pression de la société civile sera trop forte. Pour vous donner un exemple, les diplomates de l’Union Européenne, qui sont basés à Jérusalem, écrivent chaque année un rapport sur la situation en Palestine/Israël.
Leurs rapports sont chaque année un peu plus critiques envers Israël. Assez critiques même pour que la publication du rapport de l’année passée mette sérieusement l’Union Européenne dans l’embarras, leurs propres diplomates tenant des propos en complète contradiction avec les politiques de l’Union.
Quel a été l’impact de BDS jusqu’à présent ?
BDS opère et est efficace à deux niveaux différents. Le premier niveau est pragmatique et on constate son efficacité quand on voit des compagnies désinvestir d’Israël ou refuser de travailler dans ses colonies. Avec les récentes recommandations émises par l’Union Européenne [qui prohibent l’attribution de bourses, de prêts ou de prix de l’Union Européenne aux entités basées dans les territoires occupés par Israël, ndr] on a atteint le stade ou les revendications de BDS se traduisent en termes de politiques.
Mais la campagne BDS est aussi efficace à un autre niveau qui est plus symbolique : depuis de nombreuses années, Israël se fiche complètement de ce que le monde pense, mais grâce à BDS, nous avons maintenant un mécanisme qui nous permet de transformer le soutien dont les Palestiniens bénéficient en une campagne proactive et en actions concrètes.
Admettons que BDS entraîne des pertes financières pour Israël. Est-ce que ça changerait vraiment quelque chose ?
Certaines personnes soutiennent qu’il n’y a rien de plus facile pour les États-Unis que de compenser les pertes financières causées à Israël par BDS. Il ne s’agit finalement que d’augmenter de quelques centaines de millions de dollars par an leur assistance à Israël. Alors où est le problème ? Le problème, c’est qu’il ne faut pas oublier qu’il y a là une dimension politique : Israël a survécu pendant toutes ces années grâce à son image d’un État légitime, démocratique, constitutionnel, avec des frontières définies. Évidemment tout cela n’est qu’un tissu de mensonges et la campagne BDS les expose au grand jour.
Cela entraîne la perte pour l’État d’Israël de la légitimité politique qu’il s’était forgée à travers le monde. On ne crie plus son amour pour Israël haut et fort. En fait, de nombreuses célébrités refusent aujourd’hui de se produire en Israël. Pour la plupart d’entre eux, ce n’est pas par souci pour la justice et les droits humains, mais simplement parce qu’ils ne veulent pas se déconsidérer dans ce qu’ils voient comme une situation politique peu ragoûtante. Et BDS est la force motrice derrière cela !
Comment va réagir le gouvernement israélien le jour où les sanctions financières menaceront son économie ?
Jusqu’à présent, lorsque des compagnies ont été exclues de certains marchés, leur réaction a été d’en chercher de nouveaux. Leur problème est que le gouvernement états-unien est au bord de la faillite et ne peut plus financer Israël aussi généreusement que par le passé. Et quand il le fait, cela met en colère les citoyens états-uniens. Leur colère ne vient pas de leur attachement à la Palestine, elle est le fruit d’une équation mathématique très simple : le gouvernement états-unien ferme des écoles, annule des programmes musicaux et des événements sportifs tout en envoyant de l’argent en Israël pour tuer d’autres gens. Les citoyens ne veulent pas se sentir impliqués dans quelque chose qu’ils pensent ne pas être leur affaire.
L’influence d’Israël sur les États-Unis et l’entente sont donc en train de diminuer. Les membres du gouvernement israélien ont déjà tenté d’explorer le marché chinois et je pense qu’ils sont en train de préparer la France à devenir leur nouvel homme de main en Europe.
Quelle serait la réaction du gouvernement israélien s’il se retrouvait complètement isolé sur la scène internationale ? Est-ce qu’il serait alors prêt à faire des compromis et à changer leur attitude ?
La direction israélienne réfléchit toujours en termes de quels sont les intérêts d’Israël, mais au sein même de cette direction, il y a des désaccords. Prenez par exemple l’ex-Premier Ministre Ehud Olmert, un homme politique de droite qui est également un criminel de guerre. Vers la fin de son mandat, il semble avoir réalisé qu’il ne pourrait pas poursuivre sa politique indéfiniment, qu’on arrivait à un point de non-retour où, que ça nous plaise ou non, Palestiniens et Israéliens vivent dans un État commun.
Les Palestiniens changeront la nature de leur lutte, passant d’une lutte pour l’indépendance à une lutte pour l’égalité au sein d’un seul et unique cadre, avec des frontières communes. D’autres politiciens israéliens comme Benjamin Netanyahu ne voient pas les choses de la même façon. Pour eux, les demandes des Palestiniens n’ont aucune importance. Pour lui, on peut rester assis et parler de paix pendant des générations, au final seuls importent les faits : Israël continue de construire des colonies et un système routier qui les relie. Une fois ce projet terminé, les Palestiniens n’auront qu’à faire ce qu’ils veulent avec ce qui reste.
Mais attention, si des Israéliens comme Ehud Olmert aimeraient arriver à un compromis, c’est n’est en aucun cas parce qu’ils souhaitent trouver une solution pacifique mais bien parce qu’ils sont inquiets. Ils ont peur que leur politique finisse par mettre en péril l’identité raciale exclusive d’Israël. Le leadership israélien pense qu’il va pouvoir maintenir son régime encore longtemps mais il se trompe. Il essaie de préserver l’identité juive d’Israël mais cela est impossible si l’on considère le fait que le nombre des Palestiniens va sans aucun doute dépasser le nombre des citoyens juifs d’Israël. La lutte se transformera donc en une lutte de la majorité pour acquérir les mêmes droits que la minorité.
Faut-il boycotter tous les produits israéliens ou seulement ceux qui proviennent des colonies ?
Disons que si les colonies étaient des régions autonomes et fonctionnaient indépendamment d’Israël, je serais d’avis de boycotter uniquement les colonies. Mais ce n’est pas le cas du tout ! Les colons sont des citoyens israéliens, ils ont le droit de vote, sont défendus par l’armée israélienne et financés par le gouvernement israélien. Les colonies sont entièrement dépendantes du gouvernement qui les a créées. On doit donc s’en prendre au gouvernement israélien ainsi qu’à ses alliés.
Différencier Israël de ses colonies est juste une stratégie qui permet aux compagnies basées dans ces colonies de trouver des moyens pour faire fonctionner leur économie. En fait, vous savez, le fait même de parler de colonies est problématique parce qu’on appelle ainsi seulement les terres qui ont été occupées en 1967. L’État d’Israël a été créé en 1947-48 sur les ruines de 518 villages palestiniens et avec le nettoyage ethnique de leurs habitants. Alors quand on parle de colonies, on évite aussi de parler de la Nakba [qui se traduit par la catastrophe, la création de l’État d’Israël, ndr] et des causes du problème qui persiste jusqu’à aujourd’hui. Le problème n’est pas survenu avec l’implantation des colonies en 1967, il a commencé en 1947. Parler de colonies revient donc à morceler la question politique.
Faut-il boycotter les universités israéliennes alors qu’elles sont sources de savoir et de critique ?
Les universités sont censées transmettre le savoir, rassembler les gens, promouvoir la recherche scientifique. Le problème c’est que la plupart, sinon toutes les institutions universitaires israéliennes sont en fait des organes de l’État. Une grande partie de l’industrie militaire et des stratégies politiques de l’occupation y sont développées. Les universités ont un rôle actif dans l’occupation israélienne de la Palestine. En plus de cela, de nombreuses universités israéliennes sont construites sur des terres palestiniennes, et elles sont censées s’adresser au monde et transmettre le savoir. Il faut faire attention quand on applique notre conception de ce qu’est une université au contexte israélien.
Par contre, il est important de distinguer les institutions universitaires israéliennes - en particulier celles qui sont impliquées dans l’occupation - des universitaires israéliens. Nous n’appelons pas au boycott des individus, mais des institutions israéliennes. En Afrique du Sud, il n’y a jamais eu d’excuse pour ne pas boycotter les institutions académiques. En fait, celles-ci ont beaucoup souffert du manque d’échanges avec les autres universités. La campagne de boycott a affecté le régime sud-africain à différents niveaux et a rendu son fonctionnement difficile. C’est ce que la campagne BDS veut imposer en Israël.
Le boycott académique ne porte-t-il pas atteinte à la liberté académique ?
Non, boycotter les institutions académiques israéliennes ne constitue pas une violation de la liberté académique, au contraire. Actuellement, les Palestiniens n’ont aucune liberté académique. Pendant l’attaque de 22 jours sur Gaza en 2008-2009, des douzaines d’écoles ont été détruites ou endommagées sous les bombes israéliennes. Des dizaines de milliers d’étudiants de Cisjordanie, en particulier ceux qui vivent dans la zone C [sous le contrôle total de l’armée israélienne, ndr] ont besoin d’un permis pour pouvoir aller à l’école et rentrer à la maison. La situation pour les Palestiniens est affligeante.
De l’autre côté, les institutions académiques israéliennes fonctionnent sans entraves, conformément aux politiques d’occupation et les institutions privées reçoivent des bourses gouvernementales pour des projets de recherche qui bénéficient à l’armée et renforcent l’occupation. La prospérité de ces institutions repose sur le malheur des Palestiniens. Il ne peut pas y avoir de liberté académique dans un système d’apartheid. En fait, la campagne pour le boycott académique promeut la liberté académique pour toutes et tous.
Lors d’une visite à Gaza l’année passée, Chomsky a dit qu’appeler au boycott universitaire à ce stade serait une erreur tactique. Selon lui, un travail d’information est nécessaire au préalable.
Je ne suis pas d’accord avec lui pour la raison suivante : quand je soulève la question du boycott académique, je soulève en même temps une autre question, celle de savoir pourquoi il faut boycotter les universités israéliennes. Cela entraîne l’organisation de débats dans les universités et si nos arguments sont convaincants, de nouvelles personnes rejoignent nos rangs. Le cas échéant, on retourne devant le tableau noir et on réfléchit à notre stratégie. Le fait est que le boycott des institutions académiques israéliennes est important parce qu’il permet de soulever des questions fondamentales. Décider de ne pas appeler au boycott académique c’est accepter de rester coincé à un stade très préliminaire du débat.
Est-ce que vous voyez un problème dans le fait que la campagne BDS représente la résistance non violente comme unique forme de résistance légitime contre le régime d’apartheid ?
Je ne pense pas que ce soit le cas. BDS est une stratégie non violente, d’où son efficacité. Nous essayons de trouver un dénominateur commun entre différentes sociétés civiles de par le monde. Je ne veux pas que les gens aillent se battre en Palestine, mais qu’ils se sentent responsables des agissements de leur gouvernement. C’est de cette façon que le mouvement de solidarité internationale peut lutter contre l’injustice en Palestine. C’est aux Palestiniens de décider de la forme de lutte qu’ils pensent être la plus appropriée, en aucun cas au mouvement de solidarité de décider de cela.
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* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr
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