René Backmann - blog Israël Palestine
Dans
leur quête de reconnaissance internationale, les Palestiniens viennent
de remporter une victoire historique : le lundi 31 octobre, la Palestine
a été admise comme membre à part entière au sein de l’UNESCO où elle
n’avait jusqu’alors que le statut d’observateur.
Malgré la campagne de
Washington qui a accumulé arguties diplomatiques, impératifs législatifs
et chantage au financement pour inciter les Palestiniens à retirer leur
candidature et dissuader les États qui entendaient les soutenir,
l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies pour
l’éducation, la science et la culture, réunie à Paris, a voté à une
confortable majorité en faveur de l’adhésion de la Palestine.
Considérée comme un premier pas vers l’admission de leur
État à l’ONU, cette décision permettra notamment aux Palestiniens
d’adhérer à la Convention du Patrimoine mondial et de placer ainsi sous
la protection de l’UNESCO certains sites historiques ou culturels
aujourd’hui menacés ou annexés de fait par Israël.
Sur les 173 pays qui ont pris part au vote, 107 – dont
la France, la Chine, la Russie, le Brésil, l’Inde, l’Afrique du sud et
la Belgique – ont voté pour ; 52 – parmi lesquels le Royaume-Uni,
l’Italie, la Pologne, le Danemark, le Japon, la Corée du Sud, l’Ukraine
et la Suisse – se sont abstenus. Et 14 – dont les États-Unis,
l’Allemagne, Israël, le Canada, la Suède et les Pays-Bas – ont voté
contre.
Un acte unilatéral ?
Washington invoque pour justifier sa position deux types
d’arguments. Les premiers, déjà entendus lorsque les Palestiniens ont
présenté, le 23 septembre dernier, leur candidature à l’ONU, reposent
sur des considérations diplomatiques. Admettre la Palestine à l’ONU,
expliquait Washington, serait un acte unilatéral qui mettrait en péril
le processus de paix. La naissance d’un État palestinien ne peut venir
que de négociations avec Israël. Admettre la Palestine à l’UNESCO,
précisait Barack Obama, serait « prématuré et contreproductif ». Curieux
discours.
Le processus de paix est en panne depuis plus d’un an.
Les négociations directes israélo-palestiniennes, avec ou sans médiation
américaine, ont été entamées en 1993, avec la signature des accords
d’Oslo. Elles sont depuis longtemps dans l’impasse. C’est précisément
pour sortir de cette impasse et en finir avec le bilatéralisme stérile
du processus de paix que les Palestiniens ont fait le choix de demander,
le 23 septembre, leur adhésion aux Nations Unies et aux diverses
agences et organisations de l’ONU. Auparavant, ils avaient précisé – et
ils l’ont répété à de nombreuses reprises – qu’ils restaient prêts à
prendre place à la table des négociations, à condition qu’Israël gèle
complètement la colonisation et accepte les termes de références
élémentaires d’un dialogue : la naissance d’un État palestinien dans les
frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale.
Deux textes législatifs des années 1990
Quant à l’accusation d’ « unilatéralisme » adressée aux
Palestiniens par les États-Unis, elle manque singulièrement de sérieux.
Voire de décence. Surtout lorsqu’on se souvient que Washington accepte
depuis des années, sans réagir, la stratégie unilatérale qu’est la
colonisation continue des territoires palestiniens par Israël et la
construction, elle aussi parfaitement unilatérale, d’un mur et d’une
barrière de séparation à l’intérieur de la Cisjordanie. Sans parler des
annexions forcées, réquisitions de terres, démolitions de maisons,
expulsions, incursions militaires, arrestations, liquidations tout aussi
unilatérales. Et tout aussi aisément acceptées par Washington.
Les autres arguments invoqués par l’administration
américaine pour s’opposer à l’adhésion de la Palestine à l’UNESCO
reposent sur l’existence de deux textes législatifs votés en 1990
(c’est-à-dire avant les accords d’Oslo) et en 1994 par le Congrès. Ces
deux textes interdisent tout financement des États-Unis à toute agence
des Nations Unies qui accepterait la Palestine comme membre à part
entière. Il semble que l’hypothèse de s’affranchir de ces deux textes
ait été un moment envisagée par la diplomatie américaine.
Le New York Times rapporte que les juristes du
département d’État ont étudié ces deux lois et constaté qu’il était
impossible de les court-circuiter. Selon le quotidien, l’ambassadeur
américain à l’UNESCO David T. Killion a confié à l’ambassadeur
palestinien à l’UNESCO Elias Sanbar qu’il était « prisonnier de ces
lois ».
Compte tenu des relations actuelles entre Israël et les
États-Unis, largement conditionnées par l’approche de l’élection
présidentielle américaine, c’est-à-dire par un alignement de plus en
plus visible de Barack Obama sur la politique de Benjamin Netanyahou,
relayée aux États-Unis par le puissant lobby pro-israélien AIPAC,
l’argument législatif ressemble fort à un prétexte.
Un quart du budget de l’UNESCO disparaît
La rupture - déjà ancienne – de l’OLP avec la lutte
armée et la mise sur pied en Cisjordanie d’une administration, dont
l’efficacité est saluée par l’ONU, la Banque mondiale, le FMI, le
Quartette et l’Union européenne, auraient pu permettre à une
administration américaine mieux disposée de demander et d’obtenir
l’abrogation ou l’amendement de ces deux textes. Le Département d’État,
d’ailleurs, laisse déjà entendre qu’il pourrait avoir une attitude
différente si les Palestiniens demandaient leur adhésion à d’autres
agences de l’ONU comme l’OMS, la FAO, ou le BIT.
Après s’être retiré entre 1984 et 2003 de l’UNESCO,
accusée de corruption, tiers-mondisme et anti-américanisme, Washington
suspend aujourd’hui ses versements pour punir l’organisation d’avoir
accueilli les Palestiniens. La mesure est loin d’être symbolique. Avec
une contribution de 70 millions de dollars, les États-Unis fournissaient
22% du budget annuel de l’UNESCO. Lorsqu’on ajoute à ce pourcentage les
3% versés jusque-là par Israël, et que l’État hébreu a décidé désormais
de ne plus verser, c’est un quart du budget de l’UNESCO qui disparaît.
Selon un site favorable à Israël, les fonds qui ne
seront pas versés par Washington auraient servi à financer des systèmes
d’alerte contre les tsunami en Haïti, des études sur les risques
sismiques en Méditerranée orientale, un programme mondial
d’alphabétisation, des école professionnelles en Afghanistan, un
programme d’enseignement au Liban, un soutien à certains sites du
patrimoine mondial dont le temple de Borobudur en Indonésie. Même s’ils
cherchent à rendre les Palestiniens responsables de l’abandon de ces
programmes, les responsables de l’administration américaine vont devoir
affronter une situation diplomatique difficile.
Même Londres n’a pas suivi Washington
Au moment où ils s’efforcent d’améliorer l’image des
États-Unis dans le monde arabe et musulman en apportant un soutien – à
géométrie variable, il est vrai – aux révoltes populaires, ce vote
hostile aux Palestiniens et cette suspension des contributions à
l’UNESCO risquent fort de produire un effet désastreux.
Priver une organisation comme l’UNESCO du quart de ses
ressources simplement parce qu’elle a eu l’audace d’accueillir un peuple
qui réclame depuis des décennies le respect de ses droits n’est pas une
politique très facile à défendre. Par ailleurs, l’isolement des
États-Unis dans cette affaire – même Londres n’a pas suivi Washington
dans son refus – et le soutien flatteur obtenu par les Palestiniens –
107 voix, dont la totalité du monde arabe et la majeure partie de
l’Amérique latine, sur 173 votants – confirment le recul de l’influence
et du pouvoir des États-Unis au Moyen-Orient, mais aussi dans le reste
du monde. Pourtant, Barack Obama semble prêt à payer de ce déclin de la
puissance américaine le soutien qu’il apporte à Netanyahou.
Il pourrait même le confirmer avant peu. C’est en
principe le 11 novembre que le Conseil de sécurité doit faire connaître
sa réponse à la demande d’adhésion à l’ONU officiellement présentée le
23 septembre par Mahmoud Abbas. Washington a déjà indiqué que, là aussi,
sa réponse serait non et qu’en cas de besoin, les États-Unis pourraient
aller jusqu’à faire usage de leur droit de veto. Les Palestiniens ont
fait savoir que dans cette hypothèse, ils se tourneraient vers
l’Assemblée générale des Nations Unies pour obtenir dans un premier
temps le statut d’État non-membre. Démarche que Washington, même en
mobilisant ses amis et obligés, aura du mal à entraver comme on peut
l’imaginer après avoir vu les Palestiniens résister aux énormes
pressions exercées sur eux pour les dissuader de se présenter devant
l’Assemblée générale en septembre.
L’Europe profondément divisée
L’Europe, de son côté, se révèle, une fois encore,
profondément divisée devant le dossier palestinien. Les votes des
membres de l’Union se sont éparpillés entre le oui, le non et
l’abstention. Difficile après cela de prétendre se présenter devant les
dirigeants palestiniens comme la puissance de recours, capable de
reprendre le flambeau de la négociation négligée par Washington. Israël,
enfin, a condamné l’initiative palestinienne et la décision de l’UNESCO
en précisant qu’il s’agit simplement d’un « geste symbolique » qui
« entrave les pourparlers de paix israélo-palestiniens ». Les
pourparlers en question étant à ce jour inexistants, le risque pris par
les Palestiniens et ceux qui les ont soutenus est limité. Le dépit
américain et l’irritation israélienne confirment simplement que, d’un
côté comme de l’autre, on a toujours du mal à accepter que les
Palestiniens aient choisi de sortir du huis clos bilatéral sous
parrainage américain et de se tourner vers le forum des nations pour
affirmer leur existence et faire valoir leurs droits.
Publié sur le blog "Israël Palestine" hébergé par le Nouvel Obs.