lundi 28 mars 2011
De retour de Gaza avec le Dr. Christophe Denantes, le Pr. Christophe Oberlin témoigne.
CAPJPO-EuroPalestine : Vous revenez d’une mission médicale à Gaza après avoir été bloqués pendant trois jours à Rafah par les autorités égyptiennes. On aurait pu penser qu’après la révolution égyptienne qui a chassé Moubarak et d’autres dirigeants de la dictature, la situation à l’entrée de la bande de Gaza par l’Egypte aurait été radicalement modifiée. Qu’en est-il ?
Pr. Oberlin : En réalité la situation s’est aggravée. Les personnes titulaires d’un passeport non palestinien ne peuvent plus entrer depuis la révolution en Egypte, alors qu’ils le pouvaient auparavant dans une certaine mesure. En particulier certaines missions médicales ont pu passer au cours des derniers mois. Nous avions choisi de passer cette fois-ci par l’Egypte pour nous rendre à Gaza, car un membre de notre équipe, chirurgien anglais d’origine irakienne, est régulièrement bloqué par les autorités israélienne (12h à 5 jours) quand nous passons par Erez (comme tous les membres de nos équipe au patronyme arabe). Nous avons attendu deux jours entiers à Rafah côté égyptien. Au cours de cette attente, nous n’avons vu entrer aucun camion de marchandise, et simplement vu entrer et sortir quelques dizaines de Palestiniens. Il faut rappeler que le passeport palestinien est délivré avec l’autorisation d’Israël, raison pour laquelle les Palestiniens l’appellent plus justement « document israélien ». Nous avons été le témoin du refus d’entrer d’une mère de famille : née au Qatar de parents Gazaouis, ayant vécu elle même 6 ans à Gaza où elle s’est mariée à un Gazaoui, elle vit avec sa famille en Allemagne (titulaire d’un passeport allemand). Depuis 1995 elle demande un passeport palestinien, sans succès. Venue en famille en visite à Gaza, le père et les enfants ont été autorisés à entrer, et elle refoulée. Pour notre part un signalement avait été fait depuis plusieurs mois à l’ambassade d’Egypte à Paris, à l’autorité palestinienne au Caire, au consulat de France au Caire, etc.. On nous a dit que le ministre des affaires étrangères égyptien nous voyait d’un bon œil, mais que le pouvoir étant pour l’instant aux militaires, il ne pouvait rien faire !
Que disent les autorités égyptiennes à propos du blocus de Gaza ?
Nous n’avons pas été en contact directement avec les autorités égyptiennes. Mais ce que nous avons constaté est que les passages par les tunnels ne sont nullement entravés, au point que le cours du ciment et du fer à béton dans la bande de Gaza a chuté jusqu’à atteindre pratiquement le prix israélien (du temps où le ciment était disponible par Israël) : Gaza est devenue un immense chantier : rues en voie d’élargissement, traçage de nouvelles routes, maisons en construction. La bande de Gaza est méconnaissable. Mais le blocus côté israélien persiste. Par exemple Israël ne laisse entrer que 40 voitures neuves par semaine, alors que, selon les importateurs, 2500 ont été achetées par des Gazaouis, payées, et sont en attente (rémunérée !) au port d’Ashdod en Israël !
Comment s’est passée votre mission ? Et quelle est la situation dans la bande de Gaza ?
Le troisième jour d’attente, nous avons sollicité le ministère de la santé de Gaza qui a fait organiser par les services de sécurité du ministère de l’intérieur un passage dans la journée par les tunnels. Nous avons été ainsi accueillis très officiellement à Gaza. La mission s’est bien passée : une soixantaine de consultants et 20 interventions chirurgicales à l’hôpital Nasser de Khan Younis. Le Dr Mohamed Rantissi a été aidé sur des interventions difficiles ou nouvelles pour lui, de sorte qu’il continue à progresser. Il opère actuellement 200 patients par an, dans un domaine de la chirurgie réparatrice qui n’était pas pratiqué à Gaza avant sa formation. Il a mis en route, à la demande du ministère de la santé, une formation au laboratoire de microchirurgie de 9 chirurgiens palestiniens. De plus 4 de nos anciens élèves, plus jeunes, suivent maintenant la filière de formation spécialisée en chirurgie orthopédique qui a vu le jour à Gaza depuis peu. Ce sont donc 4 chirurgiens qui, à terme auront à la fois une diplôme en chirurgie orthopédique et un diplôme en microchirurgie et chirurgie de la main. La seule originalité est qu’ils auront acquis l’hyper spécialité avant la spécialité ! Il était en tous cas indispensable, compte tenu du siège, que certaines formations spécialisées démarrent à Gaza, et il faut reconnaitre que les Gazaouis l’ont fait !
Comment les Gazaouis vivent-ils les bouleversements en Egypte et dans les autres pays arabes ?
Curieusement Ils le vivent de manière diamétralement opposée en fonction de leur coloration « Fatah » ou « Hamas ». Les Hamas ont le sourire jusqu’aux oreilles. Ils disent que le siège continue, mais que dès que le pouvoir militaire se sera retiré, après des élections libres et l’élaboration d’une nouvelle constitution, le siège sera levé et surtout l’isolement diplomatique d’Israël sera accentué. D’après mes interlocuteurs les nouveaux ministres égyptiens ont contacté leurs homologues Gazaouis pour les assurer d’une telle évolution.
Pour les Fatah, l’ambiance est morose. Ils pensent que la situation ne va pas s’améliorer de si tôt, qu’Israël reste et restera maitre de la frontière de Rafah.
Il y a eu des manifestations populaires pendant votre séjour dans la bande de Gaza, en faveur de l’unité nationale palestinienne. Ont-elles rassemblé beaucoup de Gazaouis ? Par qui étaient-elles organisées ? Comment le Hamas réagit-il face à ces manifestations ?
Là encore deux discours opposés. Pour le Hamas il s’agissait de manifestations de masse pour la réconciliation qu’ils appellent de leurs vœux. Malheureusement certains Fatah auraient voulu manifester séparément et transformer la manifestation de réconciliation en manifestation d’opposition au Hamas, d’où les heurts. Pour les Fatah, il s’agit d’une répression pure et simple. A noter aussi un discours très différent concernant l’éventuelle « venue de Mahmoud Abbas à Gaza », largement médiatisée. Pour le Hamas il est le bienvenu, le ménage a été fait dans sa maison qui l’attend, tous les sujets de discussion pourront être abordés. Mais pas question de répondre positivement à la moindre condition préalable, par exemple à la demande que le premier ministre Ismaël Haniyeh vienne l’accueillir à Erez ! Ceci est impensable notamment pour des raisons de sécurité. Il ne faut pas oublier qu’Israël a essayé maintes fois de l’assassiner comme la plupart des autres ministres actuels. Pour le Fatah, et notamment Ashraf Jouma, député Fatah de Rafah, Mahmoud Abbas serait d’accord pour la formation d’un gouvernement intérimaire comportant un premier ministre Hamas et des ministres dits « de la société civile ». Quand on pose la question de la reconnaissance de ce ministère par le parlement, Ashraf Jouma acquiesce. Cela supposerait la réouverture du parlement (qui peut toujours siéger dans sa composition actuelle aujourd’hui selon la loi fondamentale palestinienne), ce qui semble en fait très improbable : cela supposerait la libération de la dizaine de députés encore en prison en Israël et la levée de la résidence surveillée d’Aziz Duek l’actuel président du parlement. Cela reviendrait pour la Fatah à reconnaitre le résultat des élections parlement aires de 2006, ce qui semble inimaginable… Et Ashraf Jouma se retranche sans rire derrière l’argument suivant : « Mahmoud Abbas n’a pas reçu d’invitation officielle à se rendre à Gaza, nous attendons".
Est-ce que les bombardements avaient commencé alors que vous étiez sur place ? il y a eu une dizaine de morts dont plusieurs enfants ces derniers jours. Est-ce que vous pensez qu’Israël va intensifier ces tueries ? Qu’en disent les Gazaouis ? Est-ce qu’ils ne vont pas être nombreux à quitter Gaza en passant par l’Egypte ?
Pendant notre séjour, il y a eu un ou deux missiles israéliens qui sont tombés sur Gaza sans faire de victimes. Depuis notre départ, il semble que l’on assiste à l’escalade de violence classique qui précède une offensive israélienne. L’autorité du Hamas a demandé au Jihad islamique de cesser toute action de représailles. Mais les Gazaouis s’attendent à d’autres opérations aériennes, au minimum à des tentatives d’assassinats de responsables politiques susceptibles de passer inaperçus de fait de la focalisation de l’actualité sur la Libye. La bande de Philadelphie a été bombardée, de même que le centre ville de Gaza. Une certain nombre de bâtiments officiels ont été évacués en prévision de la suite. Il n’y a en tous cas aucune volonté de la population de fuir la bande de Gaza.
* Le Pr. Christophe Oberlin, qui présentera son nouveau livre "Chroniques de Gaza", à la Librairie Résistances à Paris, le jeudi soir 7 avril, répondra à toutes les questions sur ces sujets.
CAPJPO-EuroPalestine
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