BENOIST HUREL Secrétaire national du Syndicat de la magistrature, PATRICK HENRIOTS ecrétaire national du Syndicat de la magistrature
Le boycott ne vise rien d’autre qu’à donner forme, dans une action pacifique  individuelle, à une opposition politique élaborée collectivement. t. Sa  pénalisation s’inscrit dans un contexte d’intimidations envers toutes  les formes d’action militante individuelles et collectives.
L’annulation, à la demande du  Crif, d’une conférence-débat qui devait se tenir à l’Ecole normale  supérieure sur la question du boycott crée une indignation légitime. Les  motifs de « sécurité », timidement avancés par la direction de l’école  pour tenter de la justifier, dissimulent mal la logique du musellement  de l’expression publique qui est clairement à l’œuvre sur un sujet - les  modes de résistance à la politique d’un Etat - dont il ne pourrait pas  être débattu, d’après le Crif, parce que cet Etat s’appelle Israël.
Comment ne pas voir que cette logique de bâillonnement  est exactement la même que celle qui sous-tend, précisément, l’exercice  de poursuites pénales contre ceux qui, s’inscrivant dans une longue  tradition de résistance citoyenne, ont choisi de faire du boycott un  instrument de contestation des Etats par les sociétés civiles. Ce que  cette annulation révèle, finalement, c’est que, dans une sorte de continuum de la censure, la pénalisation du boycott se doublerait d’une interdiction de la contester.
Comme d’autres, nous avions accepté de participer à la conférence, dont la vocation n’était autre que de soutenir Stéphane Hessel  et l’ensemble des personnes aux prises avec la justice pour des faits  de boycott. Qu’allions-nous dire à l’Ecole normale supérieure ? Il ne  pouvait s’agir de prendre position sur l’« opportunité » de boycotter  les produits israéliens, sujet sur lequel nous n’avions bien entendu ni  compétences ni qualité pour intervenir. Il était en revanche évident,  pour nous comme pour les organisateurs, que notre propos devait se  donner pour objet de contester la « pénalisation » du boycott.
Un mot sur la genèse de cette pénalisation. Un texte de  loi, réprimant la« provocation publique à la discrimination envers une  nation », a été voté en 1977, sur le fondement duquel peut être réprimé  tout appel au boycott d’un Etat. Le nombre de poursuites pour ce type de  faits était toutefois extrêmement faible jusqu’à ce que le ministère de  la Justice n’invite, dans une circulaire du 12 février 2010, les  procureurs à assurer une répression« ferme et cohérente » de ces  agissements. Résultat : plus de quatre-vingts personnes sont  actuellement so us le coup d’une procédure judiciaire pour avoir, à des  degrés divers, participé à des actions de boycott.
Il fallait donc rappeler une fois de plus que la nécessité de mobiliser la loi  pénale ne s’évalue pas à l’aune des intérêts communautaires ou  partisans des uns et des autres et que les libertés publiques, au nombre  desquelles figure la libre contestation de l’action des Etats comme de  celle des hommes, ne sont pas solubles dans ces intérêts. L’enjeu, qui  n’est rien moins que la liberté d’expression, dépasse de très loin le  problème israélo-palestinien : des actions de boycott contre des Etats  ont déjà été conduites dans le passé à l’égard de l’Afrique du Sud, de  la Chine ou de l’Inde. Prisonniers de leur logique, ceux qui,  aujourd’hui, traînent les militants propalestiniens devant les tribunaux  sont-ils bien certains de vouloir contribuer à l’interdiction, en tous  temps et en tous lieux, d’actions qui, un jour, pourraient éclore au  service de l’émancipation des peuples et des idéaux démocratiques qu’ils  défendent ?
Le boycott ne vise rien d’autre qu’à donner forme, dans une action pacifique  individuelle, à une opposition politique élaborée collectivement. Sa  pénalisation s’inscrit dans un contexte d’intimidations envers toutes  les formes d’action militante individuelles et collectives : les  poursuites contre l’auteur du fameux « Sarkozy je te vois », l’explosion  des procédures pour outrage et pour refus de prélèvement ADN, les  arrestations aléatoires de manifestants, l’invention de la « mouvance  anarcho-autonome » présumée« terroriste », les procédures contre des  ouvriers victimes de plans sociaux, contre des bénévoles qui viennent en  aide aux sans-papiers, contre les sans-logis.
Tel pouvait donc être le sens d’une intervention d’un représentant du Syndicat de la magistrature à un débat dont le principe même serait pourtant insupportable à certains. En dénonçant la mobilisation d’un arsenal  répressif antiboycott, il s’agissait de revendiquer une libre voix pour  une contestation politique qu’il n’y a, en l’occurrence, aucune raison  de pénaliser, quoi que l’on pense par ailleurs de ce boycott en particulier. Bref, pas de quoi se faire traiter d’« ennemi d’Israël ».
 
 
