vendredi 29 octobre 2010

Nucléaire. Une bombe à désamorcer

publié le jeudi 28 octobre 2010
Samar Al-Gamal

 
Que faire pour dénucléariser le Proche-Orient ? Tel était l’objectif d’une conférence internationale qui vient de se tenir au Caire avec la participation de 50 pays et organisations. Un rendez-vous a été fixé en 2012, mais le principal obstacle reste l’Etat hébreu qui refuse tous les traités.
C’était plutôt un rassemblement technique. Des participants de 50 pays et organisations sont venus au Caire discuter des « perspectives de non-prolifération nucléaire et du désarmement ». Un agenda surchargé pour trois jours de discussions. On discute de la sécurité nucléaire et du rôle régional dans la question, on révise les résultats des conférences sur la sécurité nucléaire des Etats-Unis face à la Corée du Nord, Mais c’est la non-prolifération nucléaire au Proche-Orient qui trouve sa place même en dehors de la deuxième journée consacrée à l’idée de créer « une zone sans armes de destruction massive dans la région ». Une idée que plaide l’Egypte depuis deux décennies et le chef de l’Etat ne cesse d’en faire son cheval de bataille partout où il transite pour des rencontres internationales, face à une surenchère rhétorique s’articulant autour de l’Iran et son droit à l’énergie, et un Israël non signataire du moindre traité sur le contrôle des ses activités nucléaires, d’ailleurs militaires.
Organisé par l’Institut arabe des études sécuritaires, basé à Amman en collaboration avec le Conseil égyptien des affaires étrangères et les ministères des Affaires étrangères du Norvège, des Pays-Bas et de la Grande-Bretagne, la conférence se veut un prélude à un rendez-vous fixé pour 2012 sur la création de cette zone.
La conférence de suivi du Traité de non-prolifération nucléaire qui a eu lieu cette année était parvenue à une déclaration proposant la tenue, dans deux ans, d’une conférence pour débattre d’une interdiction des armes de destruction massive dans tout le Proche-Orient. Une déclaration adoptée par consensus par les signataires du TNP, y compris les Etats-Unis, et qui pointe du doigt Israël. Gary Samore, chargé du dossier des armes de destruction massive à la Maison Blanche, avait pourtant déploré la décision. « J’ignore si cette conférence aura lieu un jour », a-t-il lancé, et le président américain s’est dit « fortement » en désaccord avec le fait de singulariser Israël. Depuis 1995 d’ailleurs, la conférence TNP appelle à la création d’une « zone dénucléarisée », mais les responsables ne cessent de véhiculer l’hypothèse selon laquelle ceci ne pourrait se matérialiser avant que la paix ne prévale d’abord dans la région. Une thèse d’autant plus peu convaincante qu’Israël s’il ne reconnaît pas l’existence de ses ogives nucléaires, il en fait la propagande et se livre tout le temps à des menaces à l’égard d’un Iran diabolisé, accusé, lui, de vouloir encore fabriquer la bombe. D’ailleurs, lors de la guerre d’Octobre 1973, lorsque l’Etat hébreu s’est trouvé vaincu pour la première fois, il a bien menacé d’utiliser les armes nucléaires. De quoi démontrer à quel point ces armes atomiques sont un secret de polichinelle. Et si la dénucléarisation est un problème international, c’est donc l’Etat hébreu qui en est la cause bien plus que la Corée du Nord et l’Iran.
Lors de l’ouverture de la conférence du Caire, le secrétaire général de l’Organisation de la conférence islamique Ihsan Oglo a d’ailleurs relevé qu’Israël « menace ses voisins avec son arsenal militaire nucléaire ». Dans son message, Oglo appelle ainsi l’Etat hébreu à « mettre un terme à ses activités et à se conformer aux accords internationaux ».
Les Arabes ne cachent pas, en effet, leur méfiance face à un arsenal nucléaire israélien, estimé à 200-300 bombes, selon les experts. Et aucune de ses installations nucléaires n’est placée sous les auspices de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Sous l’ère Sadate, en 1980, l’Egypte avait modifié une résolution, présentée par l’Iraq un an auparavant, autour de « l’armement nucléaire israélien », qui devient ensuite « le danger de la prolifération nucléaire au Moyen-Orient ». De quoi ne pas se laisser prendre au jeu israélien qui dément l’existence d’armes nucléaires. Déjà en 1974 , en collaboration avec Le Caire, l’Iran avait présenté une résolution à l’Assemblée générale autour de « l’établissement d’une région dépourvue d’armes nucléaires au Moyen-Orient », et depuis, l’Egypte présente le projet de résolution annuellement à l’Assemblée générale de l’Onu.
Dans la foulée des accords de paix avec Israël, Le Caire avait décidé de ratifier le Traité de non-prolifération des armes nucléaires comme mesure de « confiance », espérant que Tel-Aviv fera de même. C’est un « niet » israélien pourtant.
Mais si les Arabes sont arrivés à pousser pour la tenue de la conférence de 2012, ni le lieu ni la date précis n’ont été fixés, mais le secrétaire général de l’Onu ne devrait pas tarder à nommer un coordinateur pour ces détails techniques et pour la préparation de l’agenda. « Il devrait aussi gérer les invitations et œuvrer de façon à ce qu’Israël aussi bien que l’Iran soient présents à ce rassemblement », estime l’ambassadeur Mohamad Chaker, président du Conseil égyptien et hôte de la rencontre du Caire. L’objectif est de freiner la course à l’atome et d’encourager en même temps les ambitions du nucléaire civil, estime-t-il.
Le nucléaire civil a le vent en poupe dans la région, et depuis plusieurs mois, les partenariats et les déclarations sur le sujet se multiplient, témoignant d’un grand enthousiasme pour des projets de centrales nucléaires d’électricité. On négocie des conventions, on lance des appels d’offres sous « les bonnes grâces » des Américains. Les Arabes préparent « l’après-pétrole », dit-on, et le TNP « l’autorise » [1].
La demande croissante en électricité a ainsi poussé les Arabes à songer ouvertement au nucléaire. Une croissance de consommation estimée en moyenne à 8 %. Les Emirats arabes unis ont ainsi déjà commencé à implanter une centrale nucléaire, la Jordanie devrait suivre. Le Koweït et Bahreïn pensent à joindre le club (lire page 5). L’Egypte a été la première à initier la course en décidant de relancer son programme nucléaire après un gel de 20 ans. Les études sur le site de Dabaa, sur la côte méditerranéenne, sont presque achevées pour y implanter la première centrale nucléaire. Un appel d’offres pour la construction devrait être lancé vers la fin de l’année. L’idée est de plus en plus populaire, notamment face aux ambitions iraniennes. Le président du Conseil égyptien Mohamad Chaker a ainsi proposé, lors de la conférence, « une régionalisation du cycle du combustible nucléaire iranien », un moyen d’« inspection », des pays de la région, des installations des uns et des autres de manière à ce que l’Iran ne soit pas le seul en mesure de gérer son combustible nucléaire.
Chaker espère par ailleurs la création d’un « cycle de combustible nucléaire arabe », pour une coopération accrue et un partage d’expérience en matière du nucléaire. Une démarche qui devrait préparer, selon lui, le terrain à une démilitarisation de la région, son exemption des armes de destruction massive. Un projet qui ressemble à un autre américain mais répond aux craintes arabes.
Barack Obama défend, lui, un projet de banque mondiale du combustible nucléaire, mais il s’est heurté à l’hostilité des pays en développement à l’Agence internationale de l’énergie atomique, dont les Arabes. Ces derniers craignant que cette « internationalisation » ne les prive du droit à la maîtrise de la technologie nucléaire. Washington cherche difficilement à pousser les pays de la région à signer des protocoles bilatéraux, en dehors de l’AIEA, qui les privent d’enrichir ou de retraiter le combustible nucléaire à usage pacifique sur leurs territoires mais plutôt l’acheter sur le marché mondial. Les Américains imposent cette signature comme condition préalable à toute coopération nucléaire. Pour l’instant, seuls les Emirats arabes ont succombé aux pressions américaines dans la région.
[1] voir aussi Chaïmaa Abdel-Hamid dans al-Ahram : Le nucléaire à la place de l’or noir
publié par al-Ahram hebdo en français
ajout de note : CL, Afps