L’ambassadeur de Turquie au Caire, Huseyin Avni Botanali, relève que les relations turco-israéliennes sont entrées dans une phase de vive tension.
Al-Ahram Hebdo : Comment commentez-vous la position de la Turquie envers l’attaque israélienne sur la flottille de la Liberté ?
Huseyin Avni Botanali : Au lieu de faire des remarques personnelles, je préfère mentionner des extraits du communiqué prononcé par le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, devant le Conseil de sécurité au cours de la séance extraordinaire tenue le 31 mai 2010.
« Je suis au Conseil de sécurité aujourd’hui à cause d’une sinistre tragédie, celle d’un Etat membre de cette organisation ayant commis un crime dangereux sans se soucier aucunement des valeurs auxquelles nous nous sommes engagés et que nous avons soutenues depuis la création de cette organisation ... Rien ne justifiait cet acte. Les mesures israéliennes constituent une violation abjecte de la loi internationale ... Le plus simple que l’on puisse dire à leur propos est qu’elles sont considérées comme des actes de piraterie ... L’Etat national qui suit cette voie perd sa crédibilité en tant que membre respectable de la communauté internationale ».
— Et le point de vue de la Turquie envers ses relations avec Israël ? Est-ce que de telles relations peuvent-elles contribuer au règlement du conflit arabo-israélien ?
— Malheureusement, durant les derniers jours, les relations turco-israéliennes se sont engagées dans une phase très tendue. Jusqu’à un temps proche, la Turquie intervenait entre Israël et la Syrie pour aider à réactiver tous les axes du processus de paix au Proche-Orient. Or, après l’erreur diplomatique désolante commise du côté israélien contre l’ambassadeur turc à Tel-Aviv, Oguz Celikol, le 12 janvier dernier, nos relations sont entrées dans une phase de tension et de critique. Et l’attaque israélienne contre la flottille de la Liberté a augmenté cette tension. Cependant, je préfère pencher vers l’optimisme mais avec prudence. Après les mesures de correction qui seront entreprises par Israël suite aux derniers incidents, les autorités turques prendraient en considération un nombre d’idées qui peuvent encore être appliquées et exécutées.
— Quelle est la vision de la Turquie sur sa position au Moyen-Orient et ses relations avec le monde arabe ?
— Nous avons toujours eu des relations équilibrées avec les pays du Moyen-Orient et nous sympathisons avec la cause de nos frères palestiniens et agissons pour le règlement du conflit arabo-israélien. Nous avons toujours soutenu le processus de paix dans tous ses volets. Nous appelons toujours au règlement pacifique. A un certain moment, les observateurs militaires turcs ont été déployés à Hébron et au Liban. Egalement, les forces de maintien de la paix travaillaient avec assiduité tout au long de 7 années consécutives dans les rues de Kaboul. Jusqu’au dernier jour, la Turquie a tenté d’éviter l’ingérence militaire en Iraq. Mais une fois que l’intervention fut incontournable, le Parlement turc a refusé l’entrée des forces étrangères en Iraq via les territoires turcs. La Turquie a pu, grâce à sa croissance économique, devenir graduellement l’un des pays donateurs. Egalement, la politique de « zéro problème » adoptée avec le voisinage s’est élargie pour devenir un vrai slogan pour une complémentarité économique très poussée. Nous voulons une paix dominante, une stabilité et une prospérité sur fond de coopération accrue.
— Concernant le forum de coopération arabo-turc qui aura lieu à partir de demain à Istanbul, que débattra-t-il en particulier ?
— La Turquie n’est pas un Etat arabe, mais elle entretient des relations historiques, culturelles, économiques et politiques profondes avec tous les membres de la Ligue arabe. Il y a des siècles entiers d’histoire et de religion communes ainsi que des liens de parenté et un patrimoine commun. Tout cela constitue une plateforme encourageante pour des relations d’intérêt commun.
D’un autre côté, il y a eu, pendant les dernières années, une interaction économique, commerciale et d’investissement encourageante, et ce, en plus d’une concordance des points de vue et d’objectifs communs en ce qui concerne un grand nombre de questions régionales et internationales. Ma réponse à la question est donc que le forum arabo-turc possède un agenda complet permettant la continuité de relations longues et fructueuses.
— A votre avis, quels sont les objectifs que la Turquie veut réaliser par la tenue de ce forum ?
— Le forum a décidé de se réunir plus d’une fois par an. La dernière réunion a eu lieu à Damas en décembre dernier, et depuis la fin de l’année 2009, il y a plusieurs évolutions qui ont eu des répercussions directes sur la région. C’est pour cela que les ministres des Affaires étrangères de la Turquie et des Etats arabes se réuniront avec d’autres ministres et grands responsables pour discuter des questions qui concernent la région. Il est clair que jusqu’à maintenant, nous ne voyons dans le forum qu’une occasion d’exprimer les opinions concernant un nombre de questions. Nous espérons donc qu’il y aura une interaction entre la Turquie et tous les Etats arabes en ce qui concerne des questions économiques, commerciales, culturelles et scientifiques importantes, et que des échanges utiles seront effectués à tous les niveaux. Il est important de mentionner que les deux parties se sont également mises d’accord sur des ateliers de travail portant sur l’activation du tourisme, l’environnement et la sécurité régionale.
— Le Brésil et la Turquie ont proposé une médiation pour régler la crise du nucléaire iranien. Comment la Turquie peut-elle aider dans cette crise ?
— L’accord tripartite d’échange de l’uranium avec l’Iran par l’intermédiaire et avec l’aide de la Turquie et du Brésil constitue une nouvelle réalité dans les événements au sujet de l’Iran. Comme le communiqué commun l’a précisé, l’Iran est entré en action et a remis le message d’engagement de sa part à l’AIEA. Maintenant, la question est entre les mains du groupe de Vienne (Etats-Unis, Russie et France), et de l’AIEA, pour répondre au message iranien. Certaines parties concernées par la question critiquent l’accord d’échange sous prétexte que l’administration iranienne tergiversait juste pour gagner du temps tout en continuant à enrichir l’uranium. A plusieurs reprises, le président turc, le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères ont annoncé qu’ils ne pensaient pas que les sanctions puissent pousser l’Iran vers un accord global, transparent et permanent. La position de la Turquie est très claire : l’accord tripartite d’échange et le discours de l’Iran ne peuvent constituer de formule finale, c’est plutôt une feuille de route permettant une solution convenable à toutes les parties. Nous comprenons le droit qu’ont les Etats de développer l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, et l’Iran doit convaincre le monde entier et les agences concernées de sa bonne intention en ce qui concerne l’emploi pacifique de l’énergie nucléaire. L’Iran a promis de respecter les procédures préliminaires décidées par l’AIEA et les Etats concernés. Là, les réactions des agences et des groupes de Vienne détermineront le cours des événements.
Je voudrais ici rappeler qu’à la suite de la guerre du Golfe, les sanctions internationales imposées à l’Iraq ont mené à des répercussions catastrophiques, autant en Iraq que dans tous les pays voisins. Et la Turquie est parmi les Etats qui ont été les plus affectés par des sanctions imposées à l’Iraq. Les pertes accumulées de la Turquie ont été évaluées à 50 milliards de dollars.
Propos recueillis par Magda Barsoum