samedi 12 juin 2010

Les Palestiniens s’attaquent à l’économie des colonies juives

publié le vendredi 11 juin 2010
entretien avec Hasan Abou-Libdeh

 
Le ministre palestinien de l’Economie Hasan Abou-Libdeh s’exprime au Soir, à Baudouin Loos. L’Autorité palestinienne s’en prend aux colonies juives dans les territoires occupés et promeut un boycott par la population palestinienne.
Et si l’on parlait un peu d’économie dans le dossier palestinien ? L’Autorité palestinienne (AP), actuellement basée à Ramallah, en Cisjordanie occupée, tente depuis des années de faire décoller l’économie locale en butte à une série importante de difficultés. Le ministre palestinien de l’Economie Hasan Abou-Libdeh était à Bruxelles ce jeudi pour rencontrer plusieurs commissaires européens.
La rencontre avec le Belge Karel De Gucht aura été profitable, puisque ce dernier a annoncé que la Commission européenne devrait proposer dans les prochains mois aux pays de l’UE d’accorder l’accès en franchise de droit et sans contingent aux exportations palestiniennes à destination de l’UE.
Nous avons rencontré le ministre palestinien avant ce rendez-vous.
Entretien.
Pouvez-vous expliquer pourquoi vous avez récemment lancé une campagne pour dissocier les Palestiniens de l’économie des colonies juives ?
Je rappelle pour commencer que ces colonies israéliennes sont illégales au regard du droit international, ce qu’admet sans réticences la communauté internationale. Quand la Feuille de route (plan international de 2003 intégré ensuite dans une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, NDLR) exige une cessation des activités des colonies, cela ne vise pas seulement la construction de logement, mais aussi l’activité économique. L’Autorité palestinienne voit ces colonies comme des entités illégales mais aussi hostiles car elles menacent nos futures relations avec Israël comme Etat indépendant. Nous voulons supprimer les dividendes économiques que produisent ces colonies en coupant nos relations économiques avec elles, nous en espérons que les colons en tireront une raison pour s’en aller.
La campagne s’adresse à qui ?
Aux consommateurs et travailleurs palestiniens. Nous visons à réussir à couper entièrement ces liens pour la fin de l’année. La campagne est bien dirigée contre les colonies, il n’y a aucune intention anti-israélienne même si le protocole économique dit de Paris (signé en 1995 entre Israël et l’AP) ne nous est pas très favorable. Le résultat de ce protocole et de l’attitude israélienne qui nous ferme la plupart de ses marchés fait que nous importons pour 3 milliards de dollars de biens israéliens tandis que nous ne leur exportons que pour 400 millions de dollars.
Vous rendez illégal pour les ouvriers palestiniens le fait d’aller travailler dans les colonies ; or 25.000 d’entre eux y gagnent leur vie et disent que c’est cela ou le chômage non rémunéré. Comment allez-vous gérer ce problème ?
Cela concerne 22.000 personnes, en majorité des ouvriers du bâtiment ou des travailleurs agricoles. Nous avons la ferme intention de les intégrer dans l’économie palestinienne dans les prochains mois. Nous avons par exemple prévu une enveloppe de 50 millions de dollars pour un programme d’absorption. N’oublions pas que, avant la seconde intifada (2000), il y avait 149.000 ouvriers palestiniens qui allaient travailler en Israël chaque jour, ce qui n’est plus le cas. Heureusement, notre économie, du moins en Cisjordanie (Gaza échappe au contrôle de l’AP, NDLR), connaît une bonne croissance – 7 % l’année dernière – et nous avons l’ambition d’augmenter ce chiffre, notamment en lançant une autre campagne, pour convaincre notre population d’acheter palestinien : pour le moment, seuls 18 % des produits que nous consommons sont palestiniens, nous pouvons arriver à 40 % en trois ans car nos produits sont de bonne qualité.
Comment Israël réagit-il à votre campagne contre les colonies ?
Un débat franc s’est ouvert dans les médias, mais les autorités, elles, ont réagi avec fureur parlant notamment d’incitation à la haine, ce qui est injustifié puisque nous ne transgressons aucun accord signé et que la campagne est résolument non violente. On entend aussi des menaces de rétorsions économiques. En revanche, nous n’avons pas reçu la moindre critique émanant de la communauté internationale. Ce n’est pas un complot : il suffit de comprendre que nous estimons qu’il est temps de faire cesser la contribution palestinienne à la prospérité des colonies juives, cela en accord avec le droit international qui considère ces colonies comme illicites.
Quel pourcentage de la production des colonies est acheté par la population palestinienne ?
Quelque 20 %. Mais cela ne tient pas compte de la main-d’œuvre palestinienne bon marché qui y travaille. Notre campagne est clairement destinée à rendre cette économie spécifique moins compétitive. Or nous partons avec désavantages : les colonies contrôlent 40 % des ressources naturelles comme les sources aquifères ou les terres agricoles de la Cisjordanie occupée.
Mais vous parliez d’une croissance de 7 %, cela ne va-t-il pas dans le sens de « la paix économique d’abord » préconisée par le Premier ministre israélien Binyamin Netanyahou ?
Il y a trois jours, j’ai eu l’occasion d’évoquer cette question lors d’un débat public à l’Université de Tel-Aviv. J’ai pu y développer l’idée que cette soi-disant « paix économique » était un gros mensonge. La croissance n’est pas due à Israël. Elle est accomplie par notre dynamisme et avec l’aide internationale malgré toutes les mesures israéliennes qui freinent et handicapent notre économie, même si quelques mesures ont un tantinet assoupli la situation (comme la suppression de quelques check-points). Je discutais récemment à Tokyo avec un homme d’affaires japonais ; il m’a raconté avoir importé dans le même avion deux cargaisons semblables de bières, l’une venant d’Israël, l’autre des territoires palestiniens. Cette dernière lui a coûté 40 % plus cher, m’a-t-il dit, en raison des mesures de restriction (par exemple, le fait de devoir changer de camions en entrant en Israël, les routes fermées ou le manque d’accès externe). Nous disposons d’un grand potentiel de développement : par exemple, notre 1,5 million actuel de touristes peut facilement tripler – et même, à plus long terme, passer à 40 millions avec les Lieux saints à Jérusalem et à Bethléem – mais Israël contrôle et restreint ce développement.