Maxime Perez
Plongé dans le coma depuis plus de quatre ans, l’ancien Premier ministre glisse peu à peu des portes de l’Histoire à celles de l’oubli.
Jour et nuit, le même va-et-vient s’opère autour de lui, ininterrompu et répétitif. Cette fois, point de ministres et de commandants de l’armée, mais une myriade d’infirmières et de médecins, des proches et des amis d’Ariel Sharon. Tous se succèdent inlassablement à son chevet, acteurs d’un huis clos tragique dont l’issue ne fait illusion pour personne. Dans cet univers de l’entre-deux mondes, le décor est immuable : une grande chambre blanche dont l’entrée est minutieusement gardée par des hommes du Shin Bet. Pas un mausolée, mais presque.
À 82 ans, « Arik » rêvait certainement d’une fin plus digne que celle d’un patient inerte qui se refuse à choisir entre la vie et la mort. L’ancien chef du gouvernement israélien repose toujours au département de réhabilitation respiratoire de Tel Hashomer, près de Tel-Aviv, l’un des centres hospitaliers les plus réputés d’Israël et du Moyen-Orient. « Son état s’est complètement stabilisé, assure Amir Maron, porte-parole de l’hôpital. Depuis de longs mois, on ne signale aucune évolution. »
Peu d’informations filtrent sur la santé d’Ariel Sharon, qui a été terrassé par une attaque cérébrale il y a quatre ans et demi. Gilad, son fils cadet, y veille avec attention : « Sa famille est chaque jour auprès de lui. Le reste ne regarde personne. » Sauf que la prise en charge médicale du vieux général coûte chaque année près de 400 000 dollars au contribuable israélien. Bien que ses chances de sortir du coma soient infimes, Sharon est toujours vivant et parviendrait même à respirer sans assistance.
Régulièrement, les neurologues et réanimateurs du Premier ministre s’efforcent de stimuler ses sens. Dans les couloirs de l’hôpital, la rumeur veut qu’on lui projette les images du journal télévisé et qu’on lui fasse écouter du Mozart. Pour éveiller son odorat, les médecins iraient même jusqu’à lui faire humer son plat favori, le shawarma. Sharon peine pourtant à retrouver l’appétit. Nourri par une sonde gastrique, il ne pèserait qu’une cinquantaine de kilos, bien loin de sa légendaire corpulence qui, jadis, lui a valu le surnom de « bulldozer » et une caricature d’ogre sanguinaire dans la presse arabe.
Indifférence
L’acharnement thérapeutique voulu par les proches d’Ariel Sharon prive ce dernier de toute gloire posthume. En Israël, pas une rue ne porte son nom, tandis que son héritage a sombré dans l’oubli. Aujourd’hui, aucun dirigeant politique ne reprend à son compte le « plan de séparation unilatérale » avec les Palestiniens, dont le retrait de Gaza, en août 2005, ne devait constituer que la première étape. Seul le parti centriste Kadima, que Sharon a créé, ose encore encenser son esprit visionnaire. Ses anciens collaborateurs sont également convaincus que, s’il était resté au pouvoir, son charisme aurait permis d’éviter l’isolement croissant de l’État hébreu sur la scène internationale.
Indifférents, les Israéliens préfèrent répandre des blagues sur le sort de leur ancien Premier ministre. Un beau matin, Ariel Sharon ouvre les yeux et découvre son environnement hospitalier. Il interpelle une infirmière et lui demande de lui expliquer pour quelle raison il se trouve là. Celle-ci s’exécute, soucieuse de ne pas le brusquer. Elle lui raconte d’une voix douce les événements qui sont survenus depuis son accident cérébral : l’ascension, puis la chute de son protégé Ehoud Olmert, les ratés de la guerre du Liban en 2006, le pilonnage de la région sud par les roquettes du Hamas, la victoire électorale de son rival Benyamin Netanyahou et la crise avec les Américains. Le regard figé, Sharon médite quelques instants, puis dit à l’infirmière : « Tout compte fait, remettez-moi dans le coma ! »