1er Avril 2010
« Depuis 43 ans, Israël a été gouverné par des gens qui ont refusé de voir la réalité, » écrit Akiva Eldar, éditorialiste à Haaretz, et le pays poursuit aveuglément sa route vers le précipice, au milieu des ténèbres, en maltraitant ses alliés, sans percevoir que l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens - dont l’illégalité avait été reconnue dès 1967 par Theodor Meron, un conseiller juridique du gouvernement - ne seront jamais admises par la communauté internationale. Mais le compte à rebours a commencé, prévient-il, depuis que le Quatuor, réuni à Moscou, a repris à son compte le plan du premier ministre palestinien qui prévoit la création d’un Etat d’ici 24 mois.
par Akiva Eldar, Haaretz, 29 mars 2010
L’une des pires plaies d’Egypte a frappé les enfants d’Israël en cette Pâque. Ils s’en vont en trébuchant dans l’obscurité complète, se cognant aveuglément contre quiconque se trouve sur le chemin qui les mène au bord du précipice. Les amis chaleureux, les amis tièdes, les ennemis glaçants : Jordanie et Turquie, Brésil et Grande-Bretagne, Allemagne et Australie - tous sont traités de même.
Et comme si cela ne suffisait pas, l’Etat juif, frappé de myopie, est également entré en collision frontale avec l’allié qui lui offre un soutien existentiel. Israël est devenu un danger environnemental pour lui-même, et représente sa plus grande menace. Depuis 43 ans, Israël a été gouverné par des gens qui ont refusé de voir la réalité. Ils parlent de « Jérusalem unifiée », tout en sachant qu’aucun autre pays n’a reconnu l’annexion de la partie orientale de la ville. Ils ont envoyé 300 000 personnes coloniser des terres qu’ils savent ne pas leur appartenir. Dès Septembre 1967, Theodor Meron, le conseiller juridique du ministère des Affaires étrangères, notait qu’il existait une interdiction catégorique de toute colonisation civile dans les territoires occupés, en vertu de la Quatrième Convention de Genève. Meron - qui allait devenir le président du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, et est maintenant un membre de la Cour d’appel à la fois pour ce tribunal et de celui créé pour le Rwanda - avait écrit au Premier ministre Levi Eshkol, dans un mémorandum top-secret : « je crains qu’il n’y ait aujourd’hui une grande sensibilité dans le monde sur toute la question de la colonisation juive dans les territoires occupés, et tous les arguments juridiques que nous essayons de trouver ne supprimeront pas les fortes pressions internationales et également celles des États amis. »
Il est vrai que depuis de nombreuses années, nous avons réussi à avancer tâtons dans l’obscurité et à maintenir cette pression à distance. Nous l’avons fait avec l’aide de nos voisins, qui ont été atteints par la même myopie.
Cependant, la Ligue arabe a marqué dimanche le huitième anniversaire de ses propositions de paix, qui offrent à Israël la normalisation en échange de la fin de l’occupation et d’une solution concertée au problème des réfugiés, conformément à la Résolution 194. Mais Israël se comporte comme si il n’avait jamais entendu parler de cette initiative historique. Durant cette dernière année, il était trop occupé à vouloir affirmer un droit douteux à établir une colonie illégale à Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, en fermant les yeux face à la réalité, a tenté de convaincre le monde que ce qui s’applique à Tel Aviv s’applique également à Sheikh Jarrah. Il refuse tout simplement de voir que le monde est fatigué de nous. Il lui est plus aisé de se préoccuper de ses partisans de l’AIPAC, affligés eux aussi de courte vue. Ce soir, ils clameront « l’an prochain à Jérusalem reconstruite » - y compris bien évidemment les constructions de Ramat Shlomo.
Hillary Clinton n’est pas juive, mais c’est elle qui a dû rappeler aux Juifs de l’AIPAC ce que fera la démographie à leur démocratie juive préférée au Moyen-Orient. Quelques jours auparavant, elle était revenue de Moscou, où elle avait pris part à l’une des plus importantes réunions du Quatuor. Les politiques et les médias israéliens étaient trop occupés par la froideur de l’accueil qui attendait Netanyahu à la Maison Blanche. Ils n’ont pas même pas considéré la décision prise par les États-Unis, l’Union européenne, la Russie et l’Organisation des Nations Unies, de transformer en projet international le plan unilatéral de création d’un Etat émanant du Premier ministre palestinien Salam Fayyad.
Le Quatuor a déclaré qu’il soutenait ce plan, proposé en août 2009, et qui vise à établir un Etat palestinien dans les 24 mois. C’était là une affirmation de l’engagement sérieux des Palestiniens pour que le futur État ait un gouvernement convenable et approprié et se comporte en voisin responsable. Cela signifie qu’Israël dispose de moins d’un an et demi pour arriver à un accord avec les Palestiniens sur des frontières permanentes, le statut de Jérusalem et les réfugiés. Si les Palestiniens s’en tiennent à la voie proposée par Fayyad, on peut s’attendre à ce que en août 2011, la communauté internationale, conduite par les États-Unis, reconnaisse la Cisjordanie et Jérusalem-Est en tant que pays indépendant occupé par une puissance étrangère. Est-ce que Netanyahu tentera encore d’expliquer que Jérusalem-Est n’est pas une colonie ?
Depuis 43 ans, l’opinion publique israélienne - les écoliers, les téléspectateurs, les membres de la Knesset et les juges de la Cour suprême - ont vécu dans les ténèbres de l’occupation, que certains appellent une libération. Le système scolaire et ses manuels, l’armée et ses cartes, la langue et notre « héritage » ont été mobilisés pour contribuer à maintenir les Israéliens aveugles à la vérité. Par chance, les gentils voient clairement le lien existant entre la menace d’un contrôle iranien renforcé sur le Moyen-Orient et la malédiction du contrôle israélien sur les lieux saints islamiques.
Lundi soir, lorsque nous lirons la Haggada de Pâque, nous devrions noter quelle est la plaie qui fait suite aux ténèbres. Cela pourrait nous ouvrir les yeux. [1]
Publication originale Haaretz, traduction Contre Info
[1] Les ténèbres sont la 9ème des 10 plaies d’Egypte. La dernière est la mort des nouveaux nés - ndlr