Sécurité . La barrière de Rafah suscite énormément de débats et d’accusations. L’Egypte, restée au départ discrète sur la question, semble vouloir faire pression sur le mouvement islamiste qui contrôle Gaza et priver ainsi l’Etat hébreu de ses alibis.
Les images sont retransmises par les télévisions et les agences de presse suscitant de l’étonnement au départ, des polémiques ensuite. C’est à Rafah au nord du terminal douanier entre l’Egypte et la bande de Gaza. Un lieu qui, le moins que l’on puisse dire, est le témoin de la situation dramatique et confuse qui a lieu de l’autre côté de la frontière, c’est-à-dire à Gaza. Il y a un an, c’était cette guerre sauvage déclenchée par Israël et qui a fait au moins 1 400 morts parmi les Palestiniens. Depuis, on est en plein statu quo avec quelques incidents et des marchandages politiques interminables. A présent, la scène qui vient s’imposer est celle des silhouettes de grues géantes et des impressionnantes foreuses qui creusent le sol le long de la frontière du côté égyptien pour installer des feuilles de métal en profondeur : quelque 30 mètres et d’une longueur de 9 à 10 km. Il s’agit d’un mur ou, par euphémisme, d’une barrière. L’objectif : empêcher la contrebande d’armes et d’autres produits, y compris la drogue, à travers les tunnels creusés entre Rafah et Gaza. Mais la question suscite beaucoup plus d’échos et de réactions qu’on aurait pu imaginer. Ces travaux d’Hercule ont commencé début décembre dernier. Le gouvernement égyptien a adopté une attitude très discrète, ne commentant pas au début les travaux, les niant quasiment, puis réduisant leur portée à quelques travaux de fortification et ne parlant qu’à demi-mot. Mais les réactions et les échos internationaux ont obligé la diplomatie égyptienne à plus de précisions et de vivacité, surtout que l’Egypte a été accusée d’agir pour cette construction en collusion avec Israël et les Etats-Unis. Voire, la France aussi est accusée de contribuer à ces travaux. Du moins, c’est ce qu’ont lancé des sources israéliennes et qui a été repris par le Centre palestinien d’informations qui relève que « le site Tik Dika, proche du service israélien des renseignements militaires, rapporte que le président du service français des renseignements militaires a rendu visite à des officiers français supervisant l’installation de ce mur d’acier en collaboration avec les militaires égyptiens et américains ».
La presse internationale fait à cet égard un retour en arrière, à l’exemple du Figaro : il y a un an, la guerre à Gaza s’enlise et la polémique sur le nombre de victimes civiles gonfle. Mais le premier ministre israélien, Ehud Olmert, rechigne à accepter un cessez-le-feu. Il veut obtenir la garantie que le Hamas ne pourra pas se réarmer grâce aux tunnels de Rafah. Le président égyptien Hosni Moubarak, qui s’inquiète de l’influence croissante de Téhéran dans la région, partage cette préoccupation mais hésite à s’engager. Il faut plusieurs allers retours de Nicolas Sarkozy entre Jérusalem et Charm Al-Cheikh pour que le raïs accepte finalement de parler de « sécurisation » de la frontière. A ceci s’ajoute un fait principal, résoudre la crise interpalestinienne et avancer dans le processus de paix.
Donc, cette barrière serait une sorte d’aboutissement de tout un processus égyptien qui aurait essentiellement deux objectifs : sécuriser sa frontière et pousser les Palestiniens, ceux du Hamas surtout, à aller de l’avant pour un règlement. Un objectif qui paraît facile mais qui gagne en complexité si l’on songe au contexte international où Israël occupe une sorte de place privilégiée. Mohamad Khamis, directeur de rédaction d’Al-Qods, évoque à cet égard le pacte signé en janvier 2009 entre Tzipi Livni, ministre des Affaires étrangères israélien de l’époque et Condoleezza Rice, alors secrétaire d’Etat américaine. « Cela a introduit la région dans un nouveau système sécuritaire dont souffrent les pays de la région. Une de ses principales manifestations a été le bombardement israélien d’une supposée caravane d’armes soudanaises dans le territoire soudanais, l’année dernière. En plus, des troupes de l’Otan prennent position au large de Gaza pour contrôler les entrées et les sorties. Je pense que la prise en charge par l’Amérique, la France et Israël du mur égyptien intervient dans le contexte d’une application de cet accord ».
C’est-à-dire que la position de l’Egypte n’est pas confortable. Ce que d’ailleurs estime Khamis. D’une part, la décision égyptienne s’explique par ces pressions internationales et d’autre part par le fait que Le Caire ressent un certain malaise à voir le mouvement islamiste Hamas prendre le contrôle de Gaza. De plus, la stratégie égyptienne va à l’encontre de la ligne politique du Hamas. D’ailleurs, l’Egypte a dès le début agi à l’encontre de cet état de choses depuis le coup de force du Hamas il y a deux ans et demi. Le journaliste affirme à cet égard que le gouvernement égyptien utilisait des « moyens et des mécanismes aux conséquences moins graves que ceux qu’entraînent les mesures américaines et israéliennes, notamment l’imposition d’un blocus total ». Pour Le Caire, le dialogue aurait pu opérer un changement. Parce que l’Egypte était consciente qu’elle souffrirait la première les conséquences de la pauvreté à Gaza. « Pour l’Egypte, ce qu’il fallait faire c’était l’établissement de frontières souples. Il s’agit par exemple d’une fermeture du point de passage de Rafah avec des ouvertures de temps à autre, pour les besoins urgents des habitants de Gaza », ajoute Khamis.
Pressions sur deux parties
En fait, ce sont donc des manœuvres au vrai sens du terme où d’une part, l’Egypte veut avoir et le Hamas et Israël par l’usure ? Amener le Hamas à une attitude plus conciliante, surtout qu’il fasse la paix avec l’Autorité palestinienne, c’est aussi priver Israël de ses alibis. En effet, consacrer la division interpalestinienne, c’est réaliser les objectifs d’Israël et des Etats-Unis. Ses buts, selon les analystes, c’est de consacrer une séparation définitive entre la Cisjordanie et Gaza de sorte que chacun des deux territoires ait un statut politique différent. Ici, l’Egypte se retrouvera dans un vrai traquenard sur les plans économique et politique, et également sécuritaire. Ainsi, Le Caire rejette le slogan « La Cisjordanie d’abord » et refuse même les mesures palestiniennes pour exiler Gaza. Khamis cite un discours du chef de l’Autorité palestinienne où il propose des élections même sans réconciliation nationale. Le Caire a rejeté une telle option qui consacrerait une division définitive. L’Egypte, sur sa lancée, poursuit dans ce contexte ses efforts pour la réconciliation entre les Palestiniens et pour un règlement de la question.
http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2010/1/6/leve1.htm