lundi 16 novembre 2009 - 06h:50
Jonathan Cook - The National
Un juge israélien a rendu une décision historique la semaine dernière en décidant qu’un adolescent arabe devait être « protégé » du système judiciaire et en le jugeant non coupable alors qu’il était reconnu qu’il avait lancé des pierres sur une voiture de police durant une manifestation contre l’agression d’Israël sur Gaza l’hiver dernier.
Le procureur avait demandé que le mineur, un jeune de 17 ans de Nazareth dans le nord d’Israël, soit jugé coupable de détériorations sur un véhicule roulant, une accusation qui entraîne une peine pouvant aller jusqu’à 20 ans d’emprisonnement, une façon de dissuader les autres membres de la minorité arabe d’Israël de commettre les mêmes infractions.
Mais pour le juge Yval Shadmi, la discrimination dans le fonctionnement du système judiciaire israélien entre les mineurs juifs et les mineurs arabes, particulièrement dans les cas de ce qu’il appelle les infractions « pour motif idéologique », est « de notoriété publique ».
Dans son jugement, il écrit : « Je dirai que l’Etat n’est pas autorisé à caresser d’une main les criminels "idéologiques" juifs, et à flageller de l’autre les criminels "idéologiques" » arabes.
Il se réfère en particulier au traitement indulgent par la police et les tribunaux des jeunes colons juifs qui ont agressé les soldats en Cisjordanie et qui se sont violemment opposés au désengagement de la bande de Gaza en 2005, ainsi que des extrémistes religieux qui pendant de nombreux mois se sont battus avec la police pour empêcher qu’un parking soit ouvert le jour du Sabbat à Jérusalem.
Pour Abir Baker, avocate d’Adalah, organisation juridique agissant pour la minorité arabe d’Israël, c’est la première fois qu’un juge de cour d’assises reconnaît que l’Etat poursuit une politique de discrimination systématique qui exige des sanctions plus dures pour les citoyens arabes.
« Nous savons cela depuis longtemps, mais il était très difficile pour nous d’obtenir une décision favorable d’un tribunal, » dit-elle. « Maintenant, nous avons une jurisprudence judiciaire que nous pourrons utiliser pour faire recours contre des condamnations dans des affaires similaires. »
Le jeune homme avait été arrêté lors d’une manifestation sur une route proche de Nazareth, quelques jours après qu’Israël ait lancé son opération contre Gaza en décembre dernier. Des dizaines de manifestations avaient eu lieu en Israël durant cette agression de quatre semaines, qui ont conduit à l’arrestation de 830 manifestants, dans ce que des organisations pour les droits de l’homme décrivent comme une opération de police israélienne souvent brutale.
L’immense majorité de ceux qui ont été arrêtés, disent ces organisations, étaient des citoyens arabes, bien que des juifs israéliens y participaient également. Adalah a indiqué que 250 manifestants avaient été inculpés par la suite, presque tous des Arabes et pour moitié, des mineurs.
Le juge Richard Goldstone, dans son rapport d’enquête pour les Nations unies sur l’agression à Gaza, publié en septembre, écrit qu’il a été « frappé » par le fait que, bien que de nombreuses contre-manifestations de juifs de droite aient tourné à la violence, la police semble n’y avoir procédé à « aucune arrestation ».
Il note également que, selon les informations qu’il a recueillies, la plupart des manifestants arabes s’étaient vu refuser une libération sous cautions et qu’on les avait gardés en détention pendant de longues périodes, même dans des cas où ils étaient accusés de charges relativement mineures.
S’agissant du système judiciaire, Mr Goldstone conclut que « le fait d’une discrimination entre... et du traitement différencié entre citoyens palestiniens et citoyens juifs d’Israël par les autorités judiciaires, tels qu’en témoignent les rapports reçus, était un motif sérieux de préoccupation. »
La décision de la cour de Nazareth semble confirmer ces conclusions.
Mr Shadmi, juge du tribunal pour enfant de Nazareth, précise dans son jugement que ces dernières années les autorités israéliennes avaient « travaillé avec deux niveaux d’application fondamentalement différents pour ce qui concerne les crimes de mineurs ».
Il souligne que dans les cas de violence commise par des jeunes juifs contre les services de sécurité israéliens, les procédures judiciaires étaient généralement gelées ou closes avant l’étape de la mise en accusation. Il déclare aussi ne pas avoir entendu parler d’un seul cas de mineur juif envoyé en prison pour de telles infractions, alors que la plupart des mineurs arabes étaient condamnés et emprisonnés.
Le juge a reconnu avoir hésité devant des demandes de poursuite contre ce jeune arabe avec une longue peine de prison, jeune qui ne peut être nommé du fait de son âge. Mais finalement, il dit avoir été convaincu par l’argument de la défense selon lequel des cas similaires de « violence idéologique » impliquant des jeunes juifs - comme les attaques de colons juifs contre les soldats - n’avaient que rarement, sinon jamais, conduit à des peines de prison.
« Si l’Etat estime que les infractions idéologiques méritent des décisions relativement clémentes pour les mineurs, alors ce doit être la politique à l’égard de tous les mineurs, quelles que soient leur nationalité et leur religion ».
Le ministère de la Justice a recommandé que 40 colons juifs reconnus coupables de résistance contre le désengagement de Gaza soient graciés au motif que leurs actes « avaient été suscités par un évènement historique inhabituel et que leurs auteurs n’étaient pas des criminels ». Selon certaines informations, on s’attendait à ce que la plupart des 300 colons arrêtés lors du désengagement ne soient jamais traduits en justice.
Mr Shadmi a ordonné au jeune de Nazareth de ne commettre aucune infraction contre la police pendant deux ans, contre une caution de 1 300 dollars US (871 €). Dans une procédure principalement réservée aux infractions de mineurs, il a exigé que le jeune fasse 200 heures de travail d’intérêt public, sans le condamner.
Le verdict a été accueilli avec surprise par la famille du jeune. Le père a déclaré aux médias israéliens : « Heureusement que nous avons eu un juge comme lui, qui n’est pas motivé par le racisme. Cela pourrait amener l’Etat d’Israël à comprendre qu’il est temps d’arrêter de traiter la population arabe comme des ennemis. »
Le procureur a annoncé qu’il ferait appel de la décision.
Jonathan Cook est écrivain et journaliste basé à Nazareth, Israël. Ses derniers livres sont : Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East (Pluto Press) et Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair (Zed Books).
Le site de Jonathan Cook : http://www.jkcook.net/
son courriel : jcook@thenational.ae
Il est membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont été présentés le 4 mars 2009.
Nazareth, Israël, le 14 novembre 2009 - The National - traduction : JPP