Laurent Zecchini
Saëb Erakat est fatigué. Ce qui le démoralise, c’est le blocage total du processus de paix et la crise dans laquelle s’enfonce le mouvement palestinien depuis que Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, a annoncé, le 5 novembre, qu’il ne se représenterait pas pour un nouveau mandat.
Cela fait dix-neuf ans que Saëb Erakat est impliqué dans les négociations avec les Israéliens, et cinq ans qu’il est devenu le "négociateur en chef" de l’Autorité palestinienne. Jamais, sans doute, il n’a connu une telle absence de perspective.
Le Hamas ayant annoncé qu’il interdirait tout scrutin dans la bande de Gaza, les chances de tenir les élections le 24 janvier 2010 sont minces.
C’est à la commission électorale d’en décider. Si elle déclare que ce n’est pas possible, alors "la question de savoir si Abou Mazen (nom de guerre de M. Abbas) est candidat ou non n’a plus d’importance". Mais M. Erakat en est sûr : si l’intéressé a convoqué des élections, tout en sachant pertinemment que le Hamas s’y opposerait, c’est "pour préparer la prochaine étape".
Laquelle ? C’est l’objet de toutes les supputations de ces derniers jours : la dissolution de l’Autorité palestinienne, une déclaration unilatérale d’un Etat palestinien, pour mettre Américains et Israéliens au pied du mur, quitte à créer un dangereux vide politique, qui ferait le lit des partisans de la lutte armée ?
La solution des deux Etats - l’un israélien, l’autre palestinien - reste la ligne politique officielle. "Mais si Nétanyahou (Benyamin Nétanyahou, le premier ministre israélien) croit qu’il peut continuer avec la colonisation, avec le "mur", il détruit la solution de deux Etats. Alors, observe Saëb Erakat, les Palestiniens vont bientôt réaliser qu’ils doivent de nouveau réfléchir à la solution d’un seul Etat."
Le principal négociateur palestinien se garde de préciser sa pensée. Mais, insiste-t-il, "j’avertis simplement Nétanyahou". "Si vous infligez une défaite au "camp de la paix" parmi les Palestiniens, aux modérés - parce que c’est cela son but final : afin de prouver qu’il n’a pas de partenaire palestinien -, alors..." La phrase de M. Erakat reste en suspens.
"La chose la plus rationnelle que les gens peuvent faire, reprend-il, c’est de se reconcentrer sur l’idée de devenir des citoyens israéliens, pour être égaux en droits, comme musulmans, avec les chrétiens et les juifs, dans un Etat israélien qui s’étend du Jourdain à la Méditerranée." Et ensuite ? "Ensuite, la lutte va se poursuivre, peut-être pendant cinquante ans, mais je suis sûr qu’elle sera beaucoup plus courte qu’en Afrique du Sud", affirme-t-il.
Un homme, une voix
Saëb Erakat ne le dit pas, mais ce scénario d’un seul Etat représenterait la pire des solutions pour les Israéliens, de facto obligés de gérer des territoires palestiniens devenus des poudrières potentielles. D’autant que, dans un tel cas de figure, les Palestiniens revendiqueraient les règles d’un Etat démocratique, par exemple celle d’"un homme, une voix", un autre scénario, celui-là d’ordre démographique, qui ne peut être en faveur d’Israël.
Il y a une variante : la déclaration d’un Etat palestinien sur les frontières de 1967, qu’une grande partie de la communauté internationale, pour ne pas se déjuger, serait obligée d’avaliser. De toute façon, note Saëb Erakat, "ce que veulent les Israéliens, c’est développer des bantoustans en Cisjordanie". "Dans dix ans, Jéricho sera entourée d’un mur", ajoute-t-il.
"Le mur actuel (que les Israéliens appellent "barrière de sécurité") n’est pas fait pour séparer Israël de la Palestine ; il est conçu pour faire de chaque ville, chaque village palestinien, une prison." Saëb Erakat n’est même pas amer envers les Américains, qui ont pris le contre-pied de la position des Palestiniens en faveur d’un gel total de la colonisation juive dans les territoires palestiniens occupés : "C’est de la realpolitik : si c’est ma parole face à celle de n’importe quel Israélien au Congrès des Etats-Unis, je n’ai pas une chance !"
Alors, dans tout cela, la succession de Mahmoud Abbas ? "Pour faire quoi ? Ce n’est pas une question de personne, conclut M. Erakat, dans les circonstances actuelles, si Thomas Jefferson devenait président palestinien, Montesquieu speaker du Parlement palestinien, et Mère Teresa premier ministre, en moins de six mois, ils seraient qualifiés de terroristes par les Israéliens !" [1].
Par ailleurs, selon Liberté Algérie [2],
Après avoir annoncé sa décision de ne pas se représenter Mahmoud Abbas pourrait démissionner
Le président palestinien pourrait démissionner en cas d’échec des efforts américains pour relancer le processus de paix avec Israël, ce qui entraînerait l’effondrement de l’Autorité palestinienne, a prévenu hier son entourage.
"Le président Abbas n’est pas en train de s’amuser. Il n’a pas l’intention de s’accrocher à la présidence simplement pour le titre. Il veut être président d’un État palestinien", a déclaré à l’AFP le négociateur Saëb Erakat. "Si le président Abbas a le sentiment que son projet d’établir un État palestinien est en danger et qu’Israël veut détruire l’idée d’un État palestinien, je pense qu’il ne va pas rester à sa place à la présidence", a ajouté M. Erakat. "S’il n’y a pas d’État palestinien, il n’y aura pas d’Autorité palestinienne ou d’institutions ou de présidence de l’Autorité palestinienne", a-t-il dit.
Déjà jeudi, M. Abbas a annoncé qu’il ne briguerait pas de nouveau mandat lors des élections générales palestiniennes, qu’il a convoquées pour le 24 janvier, en raison du blocage du processus de paix suspendu depuis l’offensive israélienne contre la bande de Gaza (décembre 2008-janvier 2009).
Les Palestiniens réclament un arrêt total de la colonisation israélienne en Cisjordanie occupée avant de reprendre les négociations. Israël propose un gel partiel des activités de colonisation et réclame une reprise des discussions sans condition préalable.
Le geste fort de M. Abbas vise à faire pression sur les États-Unis afin qu’ils persuadent leur allié israélien de geler la colonisation. Le président américain Barack Obama a reçu lundi le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour un entretien qui s’est déroulé à huis clos sur fond de frictions inhabituelles entre les deux pays alliés.
La menace de démission du chef de l’Autorité palestinienne a été confirmée par un autre responsable palestinien de haut rang. Si le président Abbas démissionne, "l’Autorité (palestinienne) s’effondrera, il n’y aura plus d’Autorité palestinienne ni aucune des institutions d’un État palestinien", a-t-il prévenu sous couvert de l’anonymat. L’Autorité palestinienne a été créée dans la foulée des accords d’Oslo de 1993 qui a accordé une autonomie limitée aux Palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Les accords d’Oslo devaient à terme mener à la création d’un État palestinien dans ces mêmes territoires.