En Hommage à Hajo Meyer [1]
C'est un bien beau mot yiddish que
Mensch!
Dans
la communauté juive, il désigne un être humain de valeur, quelqu'un de bien,
une personne d'honneur.
J'ai la chance d'en connaître plusieurs qui m'ont donné
leur amitié.
Ils et elles ont toujours été antiracistes, se sont
opposés à la dictature franquiste, ont soutenu les Vietnamiens, dénoncé le
colonialisme belge, appuyé les luttes de libération d'Algérie, d'Afrique du Sud
et d'Amérique latine, manifesté pour les Sahraouis, les Kurdes, les Roms, les
Amérindiens, les réfugiés d'Afrique et d'Afghanistan... Bref, ils n'ont jamais
cessé de défendre les droits des humains, ici et ailleurs.
Certains parmi les plus anciens vont régulièrement rencontrer
les enfants dans les écoles pour témoigner de l'abjection du nazisme qui a
conduit à l'indicible horreur d'Auschwitz.
Et tous, jeunes et vieux, manifestent aujourd'hui contre
les crimes du régime de Netanyahu et s'opposent à ceux qui, dans ce pays, prétendent
parler au nom de la communauté juive alors qu'ils ne sont que des
propagandistes d'un régime criminel.
Le
mot hébreu Dalet a, lui, une signification bien moins honorable.
Pour
ceux et celles qui l'ignoreraient encore, le plan militaire appelé Dalet a été
mis au point en 1947 par les leaders du mouvement sioniste et déclenché avant
même la création de l'Etat d'Israël.
Son but était simple : "désarabiser" le futur pays!
Comme le déclarait alors Ben Gourion, le fondateur
de l'Etat : "Le
nettoyage de la
Au début, ce fut un réel succès : quelques 750.000 Palestiniens
furent expulsés de leurs maisons ou prirent la fuite, on massacra ceux qui
osaient résister – la tuerie de Deir Yassin est restée "célèbre" – et
près de 400 villages furent rasés. [3]
Mais quand les
bombardements cessèrent, Ben Gourion et ses acolytes durent bien constater que tous les Palestiniens n'avaient
pas fui!
Il en restait 160.000 sur le
territoire du nouvel Etat.
Ils constituent aujourd'hui plus de 20%
de la population israélienne, considérés comme des citoyens de seconde zone et
soumis aux lois d'apartheid du régime sioniste.
De plus, si le nouveau maître avait
contraint une bonne partie des "indigènes" à l'exil au Liban, en
Jordanie et en Syrie, il en restait encore beaucoup aux abords du territoire
conquis.
Ceux de Cisjordanie se retrouveront plus
tard derrière le fameux mur et les autres emprisonnés dans le lopin de terre de
Gaza (± 480.000 réfugiés)... ou, comme les Bédouins, parqués dans les
"townships" du Negev. [4]
L'ambition des colonisateurs,
Européens pour la quasi totalité, de créer un état sioniste s'étendant, au
minimum, du Golan au golfe d'Akaba et du Jourdain à la mer Méditerranée était donc
loin d'être atteint. [5]
De plus, la reconnaissance du nouvel
Etat par l'ONU, entraînait, paradoxalement, un problème pour le développement
du plan.
En effet, aux yeux de la communauté
internationale, Israël se devait d'avoir l'apparence d'une démocratie, de montrer
un profil de régime respectable.
Plus question de continuer la
"désarabisation" au grand jour.
Il fallait changer de stratégie.
C'est ainsi que depuis soixante ans, Israël
applique l'expansion territoriale "par paliers".
Chaque annexion ou occupation de
terres est justifiée par des nécessités de sécurité [6]
ou l'exigence de riposte à une agression.
Une fois le territoire conquis, une
campagne de propagande est lancée proclamant tous azimuts la volonté de paix
d'Israël.
Des négociations sont ensuite organisées
(Camp David, Oslo, Annapolis, Le Caire...)... et tirées en longueur jusqu'à la
rupture sous un des prétextes habituels.
Israël est passé maître dans cette
stratégie visant à "stabiliser" la conquête pendant d'interminables
pourparlers, et rendre ainsi l'occupation irréversible : l'expansion des
colonies en Cisjordanie pendant les négociations est un exemple éclairant.
L'Histoire est constellée de ces agissements
démontrant que, loin d'aspirer à la paix, le régime sioniste n'a jamais cherché
qu'à affaiblir les habitants de cette terre, à les humilier, les réprimer, les expulser...
ou à les massacrer comme à Kafr Kassem en 1956. [7]
Blocus de Gaza depuis huit ans, érection
d'un mur de plus de 700 kms, création de centaines de check-points en Cisjordanie,
arrestations arbitraires, lois d'apartheid, emprisonnements d'élus politiques,
destructions de maisons et de champs d'oliviers, torture d'enfants [8]
, vol de l'eau... etc, etc.
Les preuves sont, hélas, innombrables.
Le dernier avatar de "Dalet"
est "Barrière de Protection".
Le déclenchement de cette opération est
essentiellement motivé par le danger que représente pour les colonisateurs la décision
de réunification du Hamas et du Fatah... Mais, comme toujours, Israël a une
bonne justification pour les medias.
Cette fois, c'est l'assassinat de
trois jeunes colons et les roquettes lancées sur les colonies proches de
Gaza... Ashdod, Ashkelon et Sderot notamment.
La plupart des medias
"mainstream" passent bien entendu sous silence que ces roquettes
répondent aux exactions de l'occupant (blocus humiliant, bombardements ciblés,
agressions des pêcheurs, interdiction de cultiver, etc)...Et qu'elles sont,
notamment, envoyées par les Palestiniens originaires de la région.
Chassés par les conquérants européens
en 1948, ils se sont retrouvés – avec la clef de leur maison pour seul souvenir
– dans les camps de refugiés de Jabalia ou Khan Younis. [9]
Ces villes et villages qu'ils
bombardent aujourd'hui étaient les leurs!
Ils s'appelaient Asdud (Ashdod), Najd
(Sderot), Asqalan (Ashkelon),... etc. [10]
Le plan Dalet était passé par là...
sans parvenir à éradiquer la mémoire !
Parfois, le régime sioniste fait des
"erreurs stratégiques" comme en 1987 quand, pour affaiblir le Fatah,
il a soutenu la création du Hamas, ou en 2006 quand, en compagnie des USA, il
collabora à la tentative de coup d'état menée par Mohammad Dahlan pour
renverser la gouvernement de Gaza, légitimement élu. [11]
Il n'a, en réalité jamais cessé d'être
au
coeur de la politique israélienne.
Affirmer cela tient du fantasme? C'est
une vision simpliste? Tendancieuse?
Il suffit pourtant de regarder les
cartes montrant les expansions territoriales année après année – celle de 2005
est déjà largement obsolète – pour constater que ce projet raciste n'a jamais
été enterré.
Depuis plus de soixante ans, de
conquête en conquête, d'annexion en occupation, de massacres organisés ou
commandités (Sabra et Chatila), de meurtres ciblés (Naïm Khader... et tant
d'autres), de propositions de paix
truquées, de refus de respecter le droit international et les ordonnances de
l'ONU ou du Tribunal de La Haye, au rejet de propositions de paix [13], les colonisateurs ont méthodiquement continué
d'appliquer le plan de "désarabisation"
Cyniquement, avec le soutien des USA
et la complicité de la plupart des pays européens, la plus grande puissance
militaire du Moyen-Orient a aujourd'hui mis la main sur la quasi totalité de la
"terre sainte" et mène en ce moment une action génocidaire contre le
peuple palestinien de Gaza.
Ce qui ne l'empêche pas, pendant ce
temps, de continuer à harceler les Palestiniens de Cisjordanie et de fermer les
yeux sur les ratonnades fomentées, en Israël, par des milices sionistes fanatiques.
[14]
Au moment où j'écris ces lignes, "Dalet"
fait une pause et une fragile trêve s'est installée après la boucherie des
dernières semaines. Ce moment de calme permettra au moins d'enterrer les quelques
2.140 morts Palestiniens (71% de civils, dont 555 enfants suivant le décompte
de l'UNICEF!) et de soigner les milliers blessés laissés par "l'armée la
plus morale du monde". [15]
Cette trêve permettra aussi de faire
le deuil des 17 victimes (dont deux enfants) de Cisjordanie, abattues durant la
même période dans les rues de Jérusalem ou d'Hébron par les "snipers"
israéliens et de soigner les 2.139 blessés. [16]
Et Netanyahu continue de
proclamer "Nous ne faisons que nous
défendre!"
Il est vrai que pour
le colonialiste, l'Histoire ne commence pas au moment où il envahit, massacre
et expulse mais toujours au moment où l'opprimé se révolte et l'agresse, tout
comme le
violeur pour qui l'histoire ne commence pas au moment du viol mais quand sa
victime le gifle.
C'est ainsi que les
tartuffes sionistes font commencer l'horreur au moment où les roquettes
s'abattent sur leurs villes et villages...
Pas au début du crime de colonisation.
La Cisjordanie est pratiquement
annexée, les habitants n'ont plus que des frondes pour se défendre.
Seule la bande de Gaza se bat encore
les armes à la main.
Encore un effort,
messieurs les colonialistes, l'apothéose du plan Dalet approche.
Encore quelques massacres
pour atteindre votre objectif : l'éradication d'un peuple et l'asservissement
des survivants!
... Et l'extrême-droite sioniste des pays
occidentaux pourra jubiler!
Alors, les "Menschs" que je
connais hausseront les épaules.
Ils savent depuis longtemps que ces compatriotes
qui prétendent parler en leur nom, sont des manipulateurs au service d'une
idéologie fasciste! [17]
Ces "Menschs" dénoncent journellement
ces agents de la "Hasbara" [18]
qui avancent masqués et font croire à des citoyens crédules que des hordes de
manifestants islamistes envahissent nos rues en hurlant "Mort aux
Juifs" et que des pogroms (émeute avec pillage
et meurtres!) ont même été fomentés à Bruxelles et à Paris durant
l'opération "Barrière de Protection". [19]
Les "Menschs" sont insensibles au bourrage
de crâne politique et ne font pas d'amalgame entre leur appartenance à la
communauté juive et le régime de Netanyahu.
Ainsi, ils n'acceptent pas qu'un général israélien
vienne, avec la collaboration de rabbins, faire du recrutement dans les
synagogues. Ils se demandent d'ailleurs pourquoi le gouvernement ferme les yeux
sur cette tentative d'embrigadement, alors qu'il met en prison ceux qui
recrutent pour d'autres causes.
Ils ne sont pas les ennemis d'Israël,
non!
Ils sont seulement pour un Israël
"désionisé" dans lequel un citoyen est égal à un autre citoyen et ils
refusent un régime dans lequel les Palestiniens sont considérés comme "des
bêtes qui marchent sur deux jambes." [20]
Hajo Meyer qui vient de
nous quitter affirmait : “Les Israéliens
essayent de déshumaniser les Palestiniens, exactement comme les Nazis ont tenté
de me déshumaniser. Personne ne devrait déshumaniser l’autre et ceux qui
essayent de déshumaniser l’autre ne sont pas humains" [21]
Il fait partie de ces
"Menschs" qui
sont l'honneur de leur communauté.
Mais, pas
d'angélisme! Ils ne sont pas plus "pro-Hamas" que "pro-Fatah"
et conservent leur esprit critique devant les dérives politiciennes de certains
responsables.
Ils agissent seulement pour que justice soit rendue
aux Palestiniens, pour que le Droit international soit appliqué et que les
criminels de guerre soient jugés.
Ils refusent aussi de se faire manipuler par les
medias qui parlent d'un conflit entre deux forces alors qu'il s'agit de la
résistance d'un peuple contre une armée d'envahisseurs, ces medias qui omettent
généralement de citer la "Résolution 37/43" de l'ONU qui "Réaffirme la légitimité de la lutte des peuples pour leur indépendance,
leur intégrité territoriale et leur unité nationale et pour se libérer de la
domination coloniale et étrangère et de l’occupation étrangère par tous les
moyens à leur disposition, y compris la lutte armée."
Pour les "Menschs",
cette résolution est un préalable à toute analyse des événements, à Gaza,
Cisjordanie et en Israël même.
Parfois,
certains d'entre eux s'énervent un peu contre ce qu'ils appellent les
progressistes "mous" qui militent pour qu'Israéliens et Palestiniens
vivent en paix, parlent de "concessions indispensables" mais restent
évasifs sur la justice. Ils critiquent le régime sioniste mais ne s'opposent
pas clairement à lui, fermant souvent les yeux sur son orientation fascisante
et continuant de propager le mythe du "lien ethnique avec cette terre".
Les
"Menschs" pensent surtout qu'il est plus qu'urgent de juger les
crimes contre l'humanité perpétrés par les Netanyahu, Lieberman et autres
fanatiques d'extrême droite... Et espèrent que de plus en plus de membres de
leur communauté viendront grossir leurs rangs, derrière la bannière "Pas
en notre nom!"
Alors,
concitoyens de culture ou de religion juive, Mensch ou collabos silencieux du
plan Dalet?
Rudi Barnet
(28/8/2014)
[1] Mensch survivant d'Auschwitz, anti-colonialiste et
anti-sioniste, décédé en août 2014 (Info-Palestine)
[2] Journal de Ben Gourion, repris par Ilan Pappe dans
"Le Nettoyage Ethnique de la Palestine, P.174)
[4]
Voir Liste des camps de réfugiés : http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_camps_de_réfugiés_palestiniens
[5] Walid
Khalidi, "Plan Dalet: The Zionist Master Plan for the conquest of
Palestine"
[7] Sur ce
massacre, voir "Kafr Kassem" le film de Borhane Alaouié (1073)
[11] Plan
d’action initié par Me Condoleeza Rice, représentante des USA. Dahlan (alors
chef des services de
sécurité du Fatah, exclu
de l'organisation depuis) assura, en Egypte, la formation de 4700 hommes qui
échouèrent dans la
tentative de prendre le pouvoir à Gaza.
[12] Voir
wikipedia.org/wiki/Plan_Daleth
[13] En 2002, la Ligue des Etats
arabes a proposé la paix au nom des 22 pays arabes et la création de deux
Etats sur base de la frontière de 1967... Pas de réaction d'Israël à
cette proposition.
[14] Pour mémoire : Mohammad Abou Khdeir, 16 ans, enlevé et
"incendié"à Jérusalem début juillet 2014
[15] Voir les chiffres de Ziad Medoukh dans "La
Feuille de Chou" (http://la-feuille-de-chou.fr/archives/70690)
[16] Chiffres publiés par Haaretz et diffusés par "EuroPalestine" (www.europalestine.com/spip.php?article9831)
(www.rtbf.be/info/belgique/detail_conflit-a-gaza-a-bruxelles-des-juifs-ont-peur?id=8329020)
Transmis par l'auteur