Entre les généraux en retraite et les
commentateurs en champagne, c’est à celui qui fera la proposition la
plus monstrueuse: sans sourciller, le Major-Général de réserve, Oren
Shachor, a expliqué : « Tuer leurs familles, voilà qui les effraiera » ;
tandis que d’autres affirmaient : « Nous devons créer une telle
situation que, lorsqu’ils ressortiront de leurs terriers, ils ne
reconnaîtront plus Gaza ».
Depuis plus de trente ans que la Guerre
du Liban a pris fin, tuer des Arabes est la principale stratégie
d’Israël. La guerre épouvantable, qui se déroule en ce moment à Gaza, ne
diffère en rien.
L’Opération Bordure Protectrice a pour
but de rétablir le calme ; tuer des Arabes, est le moyen utilisé. Le
slogan de la Mafia est devenu la politique israélienne officielle.
Israël croit sincèrement que tuer des Palestiniens
par centaines dans la Bande de Gaza, instaurera le règne de la
tranquillité. Il ne sert à rien de détruire les entrepôts d’armes du
Hamas, qui a déjà prouvé sa capacité de réarmement. Faire tomber le gouvernement
du Hamas est un but irréaliste (autant qu’illégitime) ; il n’est pas
celui d’Israël, qui sait pertinemment que toute alternative pourrait
s’avérer bien pire. Ne reste donc qu’un unique objectif possible pour
l’opération militaire : mort aux Arabes, sous les acclamations de la foule.
L’Armée de Défense d’Israël a déjà
établi une « carte de la souffrance », invention diabolique qui remplace
la non moins diabolique « banque
de cibles », et le territoire couvert par cette carte s’étend à une
vitesse qui donne la nausée. Il faut regarder Al Jazeera en anglais, une
chaine de télévision professionnelle, aux prises de position mesurées
(contrairement à son homologue en arabe), pour découvrir l’ampleur de sa
réussite. Vous ne la verrez pas depuis les studios « ouverts » des
télés et radios israéliennes, dont l’ouverture est réservée, comme
toujours, à la victime israélienne ; mais sur Al Jazeera, vous
découvrirez toute la vérité, peut-être même vous scandalisera-t-elle.
À Gaza, les corps s’empilent, pour
remplir un tableau épouvantable, mis à jour en temps réel, de cette
tuerie massive, qui fait la fierté d’Israël, un tableau de chasse qui
comprend d’ores et déjà des dizaines de civils, dont 24 enfants, selon
le compte établi samedi à midi ; sans compter les centaines de blessés,
qui viennent amplifier l’horreur, la destruction. Les bombardements ont
déjà touché une école, un hôpital. Les frappes visent les maisons, et
toutes les justifications du monde n’y peuvent rien : il s’agit là de
crimes de guerre, même si l’Armée de Défense d’Israël appelle ces
maisons « centres de commandement et de contrôle », ou « salles de
conférence ». C’est vrai, certaines frappes sont bien plus brutales que
celles d’Israël, sauf que dans cette guerre, qui ne consiste en rien
d’autre qu’une série d’attaques réciproques contre des civils – le
combat d’une mouche, contre un éléphant – on ne dénombre même pas un
seul réfugié. Contrairement à ce qui se passe en Syrie, comme en Irak,
les habitants de la Bande de Gaza ne peuvent même pas s’offrir le luxe
de fuir, pour sauver leurs vies. On ne s’évade pas d’une cage.
Depuis que la Guerre du Liban a pris
fin, il y a plus de trente ans, tuer des Arabes est devenu l’instrument
stratégique principal d’Israël. L’A.D.I. ne fait pas la guerre contre
des armées, les populations civiles constituent ses cibles prioritaires.
Comme chacun sait, les Arabes naissent pour tuer, et se faire tuer. Ils
n’ont d’autre but dans la vie, alors Israël les tue.
Bien sûr, le modus operandi du Hamas
doit provoquer notre indignation : non seulement ses roquettes
visent-elles des centres israéliens de population civile, non seulement prend-il lui-même position au milieu de centres de population
– il n’a peut-être pas d’autre alternative, les conditions de
surpeuplement de la Bande étant ce qu’elles sont – mais il laisse
également la population
civile de Gaza à la merci des attaques brutales d’Israël, sans veiller à
lui fournir la moindre sirène, le moindre abri, le moindre espace
protégé. Cette attitude est criminelle. Mais les tirs de barrage de la
Force Aérienne et Spatiale d’Israël ne le sont pas moins, en raison de
leur objectif, comme de leur résultat : tous les immeubles d’habitation
de la Bande de Gaza abritent des dizaines de femmes
et d’enfants ; c’est pourquoi l’A.D.I. ne saurait prétendre qu’il
n’entre pas dans ses intentions d’infliger des souffrances à des civils
innocents. Si la démolition récente de la maison d’un terroriste en Cisjordanie
fut encore à l’origine de manifestations peu fournies, ce sont
maintenant des dizaines de maisons que l’on détruit, et leurs occupants
avec elles.
Entre les généraux en retraite et les
commentateurs en champagne, c’est à celui qui fera la proposition la
plus monstrueuse: sans sourciller, le Major-Général de réserve, Oren
Shachor, a expliqué : « Tuer leurs familles, voilà qui les effraiera » ;
tandis que d’autres affirmaient : « Nous devons créer une telle
situation que, lorsqu’ils ressortiront de leurs terriers, ils ne
reconnaîtront plus Gaza ». Sans vergogne, ni remise en question –
jusqu’à la prochaine Commission Goldstone.
Une guerre sans but compte parmi les
guerres les plus abjectes ; la prise délibérée de civils pour cibles
compte parmi les pratiques les plus atroces. Aujourd’hui, l’horreur
règne aussi sur Israël, mais il est peu probable qu’un seul Israélien
puisse jamais imaginer ce que ce règne signifie pour les 1,8 millions
d’habitants de Gaza dont les existences, déjà cauchemardesques, ont
désormais sombré dans l’horreur absolue. La Bande de Gaza n’est pas un «
nid de frelons », c’est une province, que le désespoir humain gouverne.
Le Hamas n’est pas une armée, il s’en faut même de beaucoup, et ce en
dépit de toutes ses tactiques visant à inspirer la crainte : s’il a
effectivement construit là-bas un réseau de tunnels ultrasophistiqué,
ainsi qu’il le prétend, comment se fait-il qu’il ne construise pas
d’ores et déjà le réseau du métro léger de Tel-Aviv ?
La barre des 1000 sorties, ainsi que
celle des mille tonnes d’explosifs, sont en passe d’être atteintes ;
Israël n’attend plus que « l’image de la victoire », qu’elle a déjà remportée : Mort aux Arabes.
Gideon Levy