Ben Lorber - Mondoweiss
Un nouveau groupe de résistance non violente appelé "Nous refusons de mourir en silence"
patrouille la Cisjordanie pour protéger les familles palestiniennes qui
récoltent leurs olives dans toute la Palestine historique contre les
violences croissantes de colons.
La
récolte est mauvaise et on pense qu’elle produira seulement la moitié
de l’huile de celle de l’année dernière, rendant chaque olivier encore
plus précieux.
Depuis le commencement de la récolte 2011 des olives, au
début d’octobre, on a enregistré une inquiétante montée des attaques de
colons. Le 20 octobre, selon OXFAM, les colons israéliens ont déjà
coûté 500 000 dollars aux fermiers palestiniens de Cisjordanie en
oliviers détruits depuis le début de l’année. Rien qu’en septembre, 2500
oliviers ont été détruits sur les 7500 détruits cette année (et on
estime que 800 000 ont été détruits depuis l’annexion israélienne de la
Cisjordanie en 1967). C’est particulièrement grave parce que la récolte
est mauvaise et on pense qu’elle produira seulement la moitié de l’huile
de celle de l’année dernière, rendant chaque olivier encore plus
précieux.
Une carte interactive diffusée par l’organisation des droits de l’homme Al-Haq illustre "la multiplication alarmante des violentes attaques" de colons en septembre en Cisjordanie. C’est pourquoi "Nous refusons de mourir en silence",
qui a été lancé le 19 septembre par crainte d’une augmentation des
violences pendant le vote à l’ONU, a organisé des patrouilles
quotidiennes dans les territoires entre Ramallah et Naplouse pour
protéger les fermiers pendant la récolte. Le mouvement regroupe des
militants palestiniens, israéliens et internationaux armés de caméras et
engagés dans la résistance non violente ; il a mis en place un
dispositif coordonné de voitures de patrouille, dirigé par un centre de
contrôle basé à Ramallah, pour répondre aux attaques des colons au fur
et à mesure qu’elles se produisent.
Haifam Katib, un coordinateur de "Nous refusons de mourir en silence" qui fait partie du groupe depuis sa création dit : "Nous
avons crée ce groupe à cause des attaques des colons dans les villages
de Palestine, surtout au moment de la récolte. L’année dernière il y a
eu beaucoup de problèmes et donc nous avons décidé de protéger notre
peuple, de les aider à récolter leurs olives et de faire savoir ce qui
se passe... pour les aider, pour les encourager à continuer, à ne pas
avoir peur des colons, à sauver leur terre - c’est ça notre projet."
Comme en septembre, il a eu beaucoup d’attaques en
d’octobre. Le 1er octobre, des colons armés ont arraché des douzaines
d’oliviers dans le village de Madama au sud de Naplouse et des colons de
Yitzhar ont brûlé de nombreux oliviers dans les villages de Einabous et
Huwwara au sud de Naplouse. Le même jour des oliviers ont aussi été
arrachés et brûlés par des colons dans les villages de Nabi Saleh et
Dier Nidham dans le district de Ramallah ; les Palestiniens auraient pu
éteindre le feu pour sauver leur seule source de revenus mais les
soldats israéliens les en ont empêchés.
"Nous refusons de mourir en silence"
est en contact permanent avec des villages palestiniens proches de
colonies israéliennes pour pouvoir aider les Palestiniens en cas
d’attaque de colons. L’aide est seulement à un coup de fil de distance. "Nous
sommes allés dans tous les principaux villages pour donner notre numéro
de téléphone aux instances locales, aux comités populaires et à ceux
qui habitent près des colonies et qui doivent récolter leurs olives. Ils
ont notre numéro et ils peuvent nous appeler en cas de problème. Nous
venons tout de suite voir ce qui se passe ; tous nos gars sont des
journalistes et ils filment. C’est leur boulot et ils savent le faire."
Le 6 octobre, des colons ont arraché 200 oliviers juste
après minuit dans le village de Qusra, au sud de Naplouse, quelques
heures avant que leurs propriétaires ne viennent cueillir les olives.
Katib explique : "A Qusra nous sommes arrivés le matin
et nous avons vu que les colons étaient venus dans la nuit couper les
arbres. La terre est très importante pour les Palestiniens et surtout
les oliviers qui poussent très lentement et ils soignent les arbres
pendant de nombreuses années avant de pouvoir récolter des olives. C’est
donc très dur pour eux [quand les colons détruisent leurs oliviers]."
Le 9 octobre, des douzaines de colons armés de bâtons et
de pierres ont attaqué les Palestiniens du village de Awarta au sud de
Naplouse alors qu’ils tentaient de récolter des olives près de la
clôture de la colonie de Itamar. Deux jours plus tard, le 11 octobre,
des colons de la colonie de Elon Moreh ont attaqué des gens qui
récoltaient des olives près du village de Azmoot, à l’est de Naplouse,
dans une échauffourée consécutive à des agressions verbales. Le même
jour, des colons ont mis le feu à des oliviers des villages palestiniens
de Ras Karkar, Beitillu et Deir Ammar, à l’ouest de Ramallah.
"C’est toujours pareil partout," se lamente Haifam. "Les
colons essaient de couper les arbres, de les brûler, de brûler tout
l’endroit, d’empêcher les fermiers d’aller sur leurs terres. Et après
ils prennent la terre. C’est ce que font les colons, c’est leur
politique, le but est de construire de plus en plus de colonies."
La liste continue. Le 12 octobre, des colons de la
colonie de Havat Gilad ont attaqué des fermiers du village de Jit ainsi
que des membres de "Nous refusons de mourir en silence"
et en ont blessé un ; le 21 octobre, un groupe de colons a photographié
des fermiers de Burin qui cueillaient des olives et leur a jeté des
pierres pendant que des soldats arrêtaient deux d’entre eux ; le 26
octobre, les colons de Yitzhar ont empêché des Palestiniens d’aller
récolter leurs olives près du village de Huwwara.
Au milieu de cette vague d’attaques, l’Autorité
palestinienne a publié une déclaration pour condamner l’inaction
israélienne, disant que "les violations israéliennes
contre les Palestiniens, leurs biens et leurs sources de revenus
continuent d’augmenter sans que les autorités israéliennes ne fassent
quoi que ce soit pour faire respecter la loi". Le jour suivant, l’ONG des droits de l’homme israélienne Yesh Din a publié des données qui accusent l’IDF (l’armée israélienne ndt) "d’échouer totalement à faire respecter la loi"
quand il s’agit de protéger les oliviers de la violence des colons en
précisant que sur les 127 cas sur lesquels l’armée avaient enquêté
pendant les six dernières années, un seul avait donné lieu à une
inculpation.
L’attaque la plus grave de cette année a eu lieu le 21
octobre, quand des colons masqués de la colonie de Esh Kodesh, armés de
barres de fer et d’extincteurs, ont assailli des villageois qui
récoltaient des olives à Jaloud près de Naplouse, en ont blessé quatre
dont un garçon de 12 ans ainsi qu’un militant israélien. Katib explique
que la présence des caméras à Jaloud a contribué à calmer la situation
qui aurait pu vraiment mal tourner. "A Jaloud, un groupe
international était venu aider les fermiers à ramasser les olives.
Quand les colons ont vu les fermiers arriver pour la récolte, ils sont
venus avec des fusils. Mais comme il y avait un groupe avec des caméras,
les soldats sont arrivés ; ils ont essayé de parler aux colons et pour
une fois ils ont fait du bon travail. Mais soyez-en sûr, quand nous
n’avons pas de caméra les colons ne nous ménagent pas."
Les caméras sont comme l’oeil de la communauté
internationale fixé sur les colons, et leur présence peut calmer les
esprits et empêcher les agressions. "Il me semble que la caméra peut arrêter la violence" dit Katib, "parce
que la caméra est toujours un témoin sur les lieux... Je crois que les
colons savent maintenant que s’ils viennent faire ce genre de choses ils
seront filmés. Ils commencent peut-être à avoir peur des caméras et
c’est très bien." La caméra peut aussi forcer les soldats à
respecter les ordres officiels de protéger les fermiers contre les
attaques des colons. Dans le village de Jeet près de Naplouse, par
exemple, "Nous refusons de mourir en silence" a accompagné les fermiers à leur champs "parce
qu’ils avaient peur d’aller ramasser leurs olives. Il y avait des
soldats qui surveillaient l’endroit, nous les avons vus mais nous ne
leur avons pas prêté attention et nous avons commencé à cueillir les
olives. Une demi-heure plus tard, des colons masqués sont arrivés et ont
commencé à jeter des pierres pour faire peur aux fermiers ; les soldats
n’ont pas bougé. Mais quand le groupe de colons a vu les caméras, il y a
eu un moment de surprise, et quand les soldats et la police ont vu les
caméras ils se sont dépêchés de venir repousser les colons. C’est grâce
aux caméras qu’ils l’ont fait."
Quand les soldats et la police ont vu les caméras ils se sont dépêchés de venir repousser les colons
Thorn, un militant anglais qui travaille avec "Nous refusons de mourir en silence" confirme que la caméra peut effectivement empêcher les colons de commettre des violences. "L’idée [de créer "Nous refusons de mourir en silence"] nous
est venue en constatant le manque de couverture médiatique des attaques
de colons. Il y a de nombreux rapports sur la violence des colons et
les médias parlent des exactions après qu’elles aient été commises mais
il n’y avait personne quasiment pour couvrir les attaques au moment où
elles se produisaient. Alors nous avons décidé de combler ce vide ; de
plus nous ne voulions pas nous cantonner dans le rôle d’observateur,
nous voulions faire jouer la solidarité internationale ici en Palestine
pou essayer de prévenir les agressions."
La présence des internationaux dans l’organisation est capitale, selon Katib : "Il
y a toujours des militants israéliens et internationaux avec nous et
c’est très important. Personne ne croit les Palestiniens. Personne, sauf
parfois les médias d’ici. Quand les médias viennent de l’étranger,
comme CNN par exemple, ils ne nous croient pas quand nous leur disons
que les colons ont tué deux ou trois ou quatre personnes et cela prend
du temps. Mais quand ce sont des militants israéliens ou internationaux
qui leur expliquent ce qui se passe, qui le leur montrent et qui
écrivent des rapports, personne n’ose leur dire qu’ils mentent. C’est
très important pour nous. Ce qu’ils voient de leurs propres yeux en fait
des témoins de ce qui se passe en Palestine et quand ils rentrent chez
eux ils peuvent témoigner."
La présence des internationaux sur les lieux, cependant,
ne peut pas toujours sauver la journée des Palestiniens qui récoltent
les olives. Comme c’est malheureusement devenu un rite annuel dans cet
endroit où le conflit fait rage, les Palestiniens n’ont pas pu récolter
les olives de leurs oliviers vieux de 3000 ans, le 22 octobre, à
proximité de la colonie illégale de Hébron, Tel Rumeida, sans être
constamment harcelés par des colons extrémistes qui les provoquaient en
piétinant le drapeau palestinien et par des soldats israéliens qui se
sont joints aux colons pour le harceler et qui ont empêché les militants
internationaux présents de manifester contre l’occupation et d’exprimer
leur solidarité envers les fermiers.
’James’ qui vient d’Angleterre, était un des militants internationaux. "Nous sommes venus manifester notre solidarité envers les fermiers et les aider" dit-il, "parce
qu’ils vivent en état de siège et qu’ils souffrent particulièrement
ici. Ils sont entourés de quatre colonies et ils ont besoin du soutien
extérieur. C’est très important pour eux que les internationaux sachent
ce qui se passe ici." Haifam Katib, et les autres coordinateurs de "Nous refusons de mourir en silence"
ont bon espoir de parvenir à créer un réseau pour coordonner les
interventions dans toute la Cisjordanie afin de s’opposer efficacement
aux agressions des colons au fur et à mesure qu’elles surviennent. "A
Hébron ils ont des comités populaires qui font le même travail. Il y a
beaucoup de gens en Palestine qui font cela, partout, à Jérusalem,
Bil’in, Al Masara. B’tselem fait aussi le même travail, ils distribuent
des caméras et sillonnent les territoires occupés pour rassembler des
témoignages et des preuves.
"C’est le début" ajoute-t-il, "et
nous voudrions nous développer, avoir plus de militants et avoir des
voitures partout en Cisjordanie mais c’est vraiment difficile. Il y a
parmi nous des étudiants, des gens qui ont un autre travail, alors ils
viennent un jour mais ne peuvent pas venir le lendemain et il faut les
remplacer ; c’est comme ça que ça marche. Nous souhaitons de tout coeur
poursuivre notre mission, nous renforcer et continuer à avoir une
influence bénéfique."
Ben Lorber milite avec le Mouvement de Solidarité International à Naplouse. Il est journaliste au Centre d’Information Alternatif de Bethléhem. Son blog est : freepablogly.wordpress.com.
29 octobre 2011 - Pour consulter l’original : Mondoweiss - Traduction : Dominique Muselet