Gideon Levy
Les
hommes qui menacent l’Iran aujourd’hui sont les vrais " lâches des
lâches". Les courageux sont ceux qui tentent de contrer l’insanité,
depuis l’ancien chef du Mossad Meir Dragan jusqu’au Ministre de
l’Intérieur Eli Yishai
Si l’Iran ose monter une
attaque nucléaire contre Israël, l’Iran commettra un suicide de masse,
douloureux et public. Israël répondra et le monde ne restera pas
silencieux. Jérusalem le sait, et le plus important est que Téhéran le
sait aussi. Mais à Téhéran, nous répète-t-on du matin au soir, le
pouvoir " fou" peut franchir le pas.
Donc Israël menace de bombarder Téhéran avant qu’il ne
soit trop tard. Beaucoup d’israéliens sont d’accord. Mais le débat sur
la possibilité de bombarder l’Iran, mené désormais avec un sérieux
terrible, peut laisser penser que c’est plutôt ici, en Israël, que le
trouble mental prévaut. Le trouble mental iranien doit encore être
prouvé ; en Israël, désormais, il ne fait pas un pli.
Israël n’a pas une gouvernance rationnelle. Ses
orientations n’ont en général aucune explication logique. Ce n’est pas
la logique qui dicte la poursuite de la construction dans les
territoires ; ce n’est pas la logique qui explique la guerre que le
gouvernement d’Israël a déclarée à l’Autorité Palestinienne, sans
considération sur ce qui la remplacera. Pas plus n’y a-t-il de logique à
renforcer le Hamas, depuis la poursuite du siège de Gaza jusqu’à la
libération des seuls prisonniers du Hamas. Il n’y a pas de logique à
retenir Marwan Barghouti en prison ; il n’y a pas de logique en
provoquant la détérioration des relations avec la Turquie, et il n’y
avait pas de logique dans l’opération Plomb Durci, qui a fait plus de
torts qu’elle n’a apporté d’avantages à Israël. Et aussi, il n’ y a pas
de logique à répandre la peur à propos du Printemps Arabe, qui, en
vérité, peut assurer à Israël quelques années de calme, avec des pays
dont les armées se sont
disloquées, où la société est concentrée sur des questions domestiques
et les régimes sont sur les genoux. Et bien sûr, il n’y a aucune logique
à continuer l’occupation qui met en danger Israël plus que tout autre
chose.
Quelque chose d’autre guide la direction israélienne, et
ce n’est pas la logique. On ne peut pas plus soupçonner l’opinion
publique israélienne de ne s’être jamais conduite rationnellement. La
majorité des israéliens croit que le bombardement de l’Iran va entraîner
une déflagration régionale, et cependant il y a plus d’israéliens pour
cette attaque que contre elle. Si c’est de la santé, qu’est-ce que
l’insanité ?
Il n’y a pas d’explication rationnelle à battre le
tambour contre l’Iran. Les risques d’une attaque israélienne sont clairs
et ils sont horribles. Il n’y a pas de danger de voir l’Iran utiliser
une arme nucléaire, et cependant Israël joue avec le feu de l’enfer. Les
israéliens, en fait, disent qu’ils préfèrent un barrage de milliers de
missiles - qui vont entraîner du sang et de la destruction immédiate -
au risque imaginaire d’une attaque suicide par l’Iran "fou" dans le
futur ; qu’ils préfèrent une insanité de grandeur systémique, avec des
menaces claires et des préparations ouvertes pour ce qui pourraient
devenir une mission suicide israélienne.
Même si toutes ces déclarations bien orchestrées, ces
manoeuvres et cette fumée tournoyante ne sont que des menaces , elles ne
sont pas avisées. Un Iran menacé est tout aussi dangereux. Il peut
lancer une attaque préventive désespérée contre Israël.
L’Iran veut l’arme atomique pour protéger son régime. Il
a vu l’ancien leader de l’Irak, Saddam Hussein et celui de la Libye,
Moamar Kadhafi se faire bombarder, et a compris - en toute logique, il
faut le dire- que s’il possédait une option nucléaire, le monde ne
toucherait pas à lui, comme il ne touche pas à la Corée du Nord ni au
Pakistan.
De surcroit, l’Iran veut être une puissance régionale au Moyen Orient,
et il sait que les centrifugeuses sont un moyen d’y parvenir. Il aurait
été préférable, bien sûr, qu’il n’arrive pas à ses fins, préférable que
le monde exerce une pression pour qu’il ne puisse pas acquérir d’armes
atomiques, mais il est clair que ce n’est pas un bombardement qui
empêchera à jamais l’Iran de les obtenir.
La seule conclusion qu’on puisse tirer est qu’il y a
bien un gouvernement illogique au Moyen Orient mais qu’il n’est pas
obligatoirement à Téhéran. La peur, peur en partie sans fondement, a
saisi Jérusalem, fruit des semeurs de peur et de diabolisation que l’on
trouve ici, que ce soit à propos de la grippe porcine ou du programme
nucléaire iranien. En même temps que la mégalomanie qui déclare
qu’Israël peut déclencher des tirs dans la région où bon lui semble. Les
hommes des hommes qui menacent l’Iran sont les vrais lâches des lâches.
Les courageux sont en fait ceux qui essayent de contrer l’insanité de
l’ancien chef du Mossad Meir Dragan au Ministre de l’intérieur Eli
Yishai.
Gideon Levy
Haaretz, 6 11 2011