Fadwa Nassar
15 novembre 2011
L’Etat sioniste les considère présents et absents à
la fois, présents dans le pays mais absents quant à leurs droits de revenir à
leurs terres et de récupérer leurs propriétés et leurs biens, confisqués par l’Etat
colonial. Ce sont les réfugiés ou les déplacés internes, ces Palestiniens qui
sont à la fois réfugiés et qui vivent dans leur pays, où a été construite la
colonie sioniste, Israël.
Un nouveau livre vient de leur être consacré par le
« Palestinian Return Centre », basé à Londres, qui est un organisme
palestinien chargé de promouvoir le droit au retour des réfugiés palestiniens,
sous le titre « Internally Displaced Palestinians « The Present
Absentees » », rédigé par le chercheur tunisien Arafet Boujemaa.
Peu de livres ou d’études sont consacrés à la
question des « déplacés internes », qui se trouvent à la charnière de
deux problématiques de la cause palestinienne. La première est celle des
réfugiés, dont la revendication essentielle reste l’application de leur droit
au retour au pays, dans laquelle les déplacés internes ont leur place, puisque
ce sont des réfugiés dont les terres et les biens furent volés par l’Etat
sioniste, au lendemain de la guerre de 48. Leurs terres comme celles des
réfugiés furent livrées à la colonisation et à l’armée et leurs biens soit
livrés aux colons, soit détruits. Comme les réfugiés, ils sont interdits de
revenir à leurs terres et de se les réapproprier, comme l’exige la résolution 194
du conseil de sécurité de l’ONU. La seconde problématique est celle des
Palestiniens de 48, appelés également les Palestiniens de l’intérieur, ceux qui
vivent dans leur pays, colonisé, et qui ont résisté à l’épuration ethnico-religieuse
menée par les bandes armées sionistes en 1948, en s’accrochant à leurs terres
et leur pays et qui continuent à vivre dans l’entité sioniste, sous l’appelation
« minorité arabe ». Les déplacés internes représentent environ 25%
des Palestiniens de 48. Réfugiés ou déplacés internes, ils vivent dans leur
pays colonisé mais ne peuvent accéder à leurs terres et villages qui sont soit
colonisés, soit boisés soit placés sous contrôle de l’armée.
Le point intéressant soulevé par ce livre concerne
la protection internationale devant être assurée à cette catégorie doublement
opprimée par l’ennemi sioniste. Jusqu’en 1952, les déplacés internes
dépendaient de l’UNRWA, organisme de l’ONU chargé d’aider les réfugiés
palestiniens et de leur assurer les besoins fondamentaux, notamment en soins
médicaux et éducatifs, mais également leur permettre de travailler. Mais cet
organisme a abandonné les déplacés internes, parce qu’ils n’avaient pas franchi
à l’époque « les frontières internationales », les livrant aux bons
soins de l’entité coloniale nouvellement établie. L’Etat sioniste a vite fait
de les nier, car comme les réfugiés dans leur ensemble, leur présence est en
soi un témoignage direct et vivant des crimes commis en 1948 et des fondements
instables de sa propre création.
Les déplacés internes sont absents dans les
statistiques sionistes. Ils font partie de « la minorité arabe », sur
le plan théorique, cependant. Car dans la pratique et dans la vie quotidienne,
les déplacés internes empoisonnent la vie de l’institution coloniale, qui est
contrainte de s’assurer qu’aucun d’entre eux ne travaille, comme ouvrier
agricole, sur sa propre terre, et de mener une campagne de destruction des
maisons qu’ils construisent aux alentours de leur village rasé ou de la colonie
qui s’est emparée de leurs terres. La lutte exemplaire menée par les habitants
déplacés des villages de Bir’im et Ikrit pour revenir à leurs terres a
duré plus de trois décennies, avant d’être finalement close par le gouvernement
sioniste, sur un refus catégorique de permettre aux villageois et à leurs
descendants de revenir à leurs terres et à leurs villages, par simple crainte
que leur succès ne permette à d’autres déplacés internes de suivre le même
chemin, celui de la lutte juridique.
La
question des déplacés internes est à l’origine
de la majorité des villages non-reconnus, notamment dans la région
d'al-Jalil. Empêchés de retourner à leurs villages, de vivre dans leurs
maisons et
de cultiver leurs terres, les déplacés internes furent installés par
l’occupant
soit dans des quartiers dans certaines villes palestiniennes (Haïfa,
Nasra),
soit dans des maisons appartenant à des réfugiés expulsés du pays ou des
villages éloignés du village d’origine. Néanmoins, beaucoup de déplacés
internes ont refusé ces installations, qu’ils ont considéré provisoires,
lors
du pouvoir militaire qui fut instauré contre les Palestiniens de 48,
entre 1950
et 1966. C’est pourquoi ils reviennent
et construisent leurs maisons aux abords des villages détruits ou
colonisés. C’est
Ayn Hod, le village palestinien non-reconnu dont les terres et les
maisons d’origine
furent transformées en une colonie pour artistes sionistes.
Alors que les Palestiniens de 48 représentent le
bas de l’échelle dans l’entité sioniste, quant au niveau de vie et des
facilités d’instruction et de soins médicaux, et que les municipalités arabes
privées de financement parviennent à peine à assurer quelques services, largement
offerts dans les colonies, les déplacés internes vivent des conditions encore
plus dures, car avec les biens et les terres confisqués par l’Etat sioniste, ce
sont les potentialités de survie qu’ils ont perdues, en comparaison avec les
villageois ayant gardé leurs biens et leurs terres, du moins jusqu’à la fin des
années 60.
Niés en tant que tels par l’Etat sioniste, les
déplacés internes mènent cependant une lutte sur plusieurs fronts afin de se
faire reconnaître, d’une part, et de revenir à leurs villages et maisons, d’autre
part. C’est le sens de la constitution de l’Association pour la Défense des droits
des déplacés internes en « Israël » (ADRID) , organisme palestinien
rerésentatif des déplacés internes qui a réussi, au fil de ses congrès à partir
des années 90, à rassembler les comités locaux des déplacés internes pour
revendiquer le retour à leurs villages et à leurs terres. Dans une interview,
M. Wakim Wakim, responsable de l’Association explique : « notre
position consiste à affirmer que notre droit au retour à nos villages n’est pas
seulement basé sur la légalité internationale et le droit naturel de tout
individu à posséder une propriété, mais également sur les lois « israéliennes »,
qui garantissent le droit de chacun à vivre là où il souhaite. Supposons que je
veuille vivre à al-Bassa, d’où est originaire ma famille et où nous possédons
une terre. Pourquoi pas ? Pourquoi ne puis-je pas ouvrir un bureau ou
construire une maison à al-Bassa ? » (Nord d'al-Jalil, village
dont les terres furent confisquées pour faire partie d’une colonie construite
sur les lieux, mais où l’église et la mosquée témoignent de la présence
palestinienne.)
La bataille
juridique ne servant à rien, puisque l’armée peut remettre en cause tout
jugement de la Cour suprême sioniste, lorsque celle-ci prend position en faveur
des Palestiniens, la nouvelle bataille est plutôt populaire et médiatique, et
vise à sensibiliser l’opinion publique internationale, ainsi que les instances
internationales, en vue de faire appliquer le droit au retour des déplacés
internes et la compensation pour les biens détruits.
Mais, comme le constate la récente étude sur les
déplacés internes, ces derniers ne sont couverts par aucune protection
internationale. Si les réfugiés palestiniens, de 1948 ou de 1967, le sont plus
ou moins, par l’UNRWA, les déplacés internes ne peuvent compter sur aucun
organisme international pour faire valoir leurs droits et revendiquer une
protection. La question des déplacés internes dans plusieurs pays du monde
ayant été discutée, puisque les guerres raciales et coloniales ont entraîné le
déplacement forcé de millions d’individus dans le monde, sans « franchir
les frontières internationales » pour pouvoir revendiquer le statut de
réfugiés, « des principes directeurs relatifs aux déplacés internes »
ont été établis par l’ONU. Bien qu’ils ne constituent aucunement une
protection, ces « principes directeurs » ne s’appliquent pas aux
déplacés internes palestiniens, puisque l’Etat sioniste refuse de les
distinguer des autres Palestiniens de 48. Ce n’est donc que par leur lutte et
par la solidarité internationale qu’ils peuvent accéder à ce statut, mais aussi
qu’ils peuvent retourner dans leurs villages d’origine et recouvrer leurs
terres et leurs biens.
Les sionistes les jugent absents, mais les déplacés
internes palestiniens prouvent tous les ans, et à la même date, qu’ils sont
bien présents. Ils sont à l’origine des marches du retour, à l’occasion de la
Nakba et chaque année, c’est une marche populaire vers un des villages « disparus »
qu’ils se dirigent, portant les pancartes sur lesquelles sont inscrits les noms
de leurs villages. Ces marches sont devenues un des moments forts de la lutte
des Palestiniens de 48 qui, réfugiés déplacés ou non, y participent massivement,
conscients que par leur persévérance, ils contribuent à la promotion à la fois
de leurs droits en tant que Palestiniens vivant dans leur pays occupé depuis
1948 et des droits des réfugiés palestiniens à retourner dans leur pays.
Transmis par l'auteur