Rami Almeghari - The Electronic Intifada
Il aura fallu cinq jours pour que Mohamed Wadi soit en mesure
de parler avec les médecins de l’hôpital Nasser du Caire, en Egypte.
Au
stade final, les malades Palestiniens sont livrés à leur sort : soumis
aux options thérapeutiques limitées à Gaza, aux restrictions de voyage
et aux lourdes charges financières résultant des soins en Egypte -
Photo : Abed Rahim Khatib/ APA images
Ce gazaoui de 40 ans a entrepris des démarches
inlassables pour qu’on lui accorde une admission à l’hôpital où il est
arrivé lundi dernier, dans le service de lutte contre la leucémie.
Et c’est le jeudi d’avant que le Ministère de la Santé
de Gaza avait délivré en urgence les papiers demandant le transfert
immédiat de Wadi, accompagné de son neveu Ramadan, au poste frontalier de Rafah dans le sud de la Bande de Gaza.
The Electronic Intifada a rencontré
Wadi dans la salle réservée aux malades atteints de leucémie. Sur son
fauteuil roulant, il raconte : « Comme je n’avais pas encore été admis à
l’hôpital, j’ai dû rester les trois premiers jours dans une clinique
privée. Je suis en compagnie de mon neveu depuis jeudi dernier.
Impuissant, mes cris perçants tard dans la nuit
dérangeaient les voisins. Mais je n’arrive pas à comprendre la raison
pour laquelle ne n’ai pas encore été admis à l’Institut Nasser alors que
je possède des papiers qui demandent clairement mon hospitalisation ».
Affaibli, ses yeux se remplirent de larmes pendant qu’il affichait son
souhait d’être admis à le service qui se trouve dans cet hôpital de huit
étages.
Dans ce contexte, le dentiste soupire en
ajoutant : »Actuellement, mon quotidien n’est que torture à cause de mes
souffrances que je calme avec des antidouleurs. Et encore, je peux à
peine me les procurer. Je suis embarrassé par cette situation car je
suis pris en charge financièrement par le ministère de la santé de
l’Autorité Palestinienne ».
Cependant, après une brève discussion avec le médecin
dans la clinique de lutte contre la leucémie, Wadi a été informé que son
admission n’était pas possible pour le moment car il fallait attendre
que l’un des 27 lits de la salle ne se libère.
Trahi par l’expression de son visage traversé par la déception, Ramadan
Wadi a saisi le fauteuil roulant de son oncle pour descendre de l’étage,
avec l’espoir de tomber sur un haut placé pour lui exposer le cas.
Une longue liste d’attente
The Electronic Intifada a réussi à
interroger Dr Haitham Sherif, membre du personnel de la clinique.
Manifestement désolé et navré, il explique que la situation échappe à
leurs mains. En effet : « La liste d’attente est un constat triste et
douloureux qui, malheureusement, ne concerne pas que Mohamed. J’ai ici
des cas de personnes en attente depuis environ deux ou trois semaines.
Dans cet hôpital, c’est le nombre réduit des lits qui pose réellement
problème et qui peut être tout simplement résolu par l’agrandissement de
la clinique, chose que nous, médecins, n’avons rien à voir ».
Les propos du médecin n’ont qu’une seule explication :
les patients en provenance de Gaza sont confrontés à une attente
insoutenable.
Je suis sorti dans le jardin de l’hôpital pour retrouver
les Wadi. Le neveu, Ramadan est revenu sur le combat de son oncle. Il
raconte : « Les deux mois passés ont usé de la santé de mon oncle.
Endurant toute sorte de souffrances, la maladie a fini par s’emparer de
ses jambes, et comme vous le voyez, il est paralysé sur ce fauteuil
roulant. Au terme de ces deux mois de soins intensifs à l’Hôpital
Européen de Gaza, les médecins ont tout de suite demandé notre
évacuation vers l’hôpital Nasser, ici au Caire ».
Il poursuit : « A notre arrivée à l’hôpital, jeudi
dernier au soir, les employés au service des urgences nous ont refoulé
en nous faisant comprendre que nous n’étions pas dans hôtel et qu’il
fallait attendre le samedi où l’hôpital prévoit de prendre les mesures
administratives nécessaires. Le personnel nous a expliqué que ces
papiers de transfert dont nous disposons doivent être vérifiés avant
d’entamer le traitement. C’est alors que nous avons demandé la raison
puisque ces papiers indiquent clairement que le patient doit
obligatoirement être admis immédiatement. Et surtout, où devons-nous
partir ? »
« A l’instant présent je me demande pourquoi nous
ont-ils transféré au Caire puisque l’objectif escompté n’a pas été
atteint et que nous continuons de souffrir. Pourquoi ? Ce déplacement a
carrément affecté la santé de mon oncle. Pendant les cinq derniers
jours, sa condition physique s’est clairement détériorée et après ses
jambes, c’est sa capacité visuelle qui est à présent touchée » fait-il
remarquer sur un ton irrité.
Les patients de Gaza prioritaires ?
Le directeur de l’hôpital Nasser, Dr Ahmed Abdel Nabi a informé The Electronic Intifada
que son établissement a longtemps donné la priorité aux malades venus
de Gaza, et pourtant, il y a eu quelques problèmes liés à la prise en
charge médicale des patients palestiniens.
Il raconte à ce titre : « J’ai travaillé pendant 15 ans
dans cet hôpital avant d’y être nommé directeur général. Il m’a été
donné de m’occuper de malades en provenance de Gaza, et je suis très
conscient des problèmes qui se posent, et que je scinderai en deux
partie. La première concerne l’hôpital et la seconde, le patient. Nos
frères palestiniens croient qu’ils arrivent ici en urgence pour recevoir
des soins sur le coup, d’où la naissance du malentendu. Et le problème
auquel nous nous heurtons est que la plupart des patients gazaouis
nécessitent une prise en charge pour traiter le cancer ou pour subir des
opérations chirurgicales ou tout simplement un suivi postopératoire à
la suite d’une intervention effectuée à Gaza. »
Dr Abdel Nabi va plus loin en avouant que l’hôpital a
reçu des instructions de fonctionnaires de haut rang pour donner la
priorité aux malades palestiniens en terme de médication, et de
conjuguer tous les efforts possibles afin de leur garantir une prise en
charge médicale optimale. Toutefois, il reconnait : « Au cours de ces
dernières années, les patients gazaouis se trouvent mal informés quant à
leur état de santé, et c’est pourquoi, ces mêmes patients sont plongés
pendant plusieurs jours dans l’angoisse et l’inquiétude en l’absence de
la moindre information de la part de l’hôpital ». Le directeur général
de l’hôpital déplore le nombre limité des spécialistes notamment en
pathologie.
A ce titre, il cite un exemple où il fait constater
qu’en Egypte, les spécialistes des prélèvements à partir du cerveau ou
de la colonne vertébrale se comptent sur les doigts de la main. Ainsi,
poursuit-il : « L’hôpital signe des contrats avec cette poignée de
médecins qui collaborent avec nous une journée par semaine. Des fois, il
leur arrive, pour une raison ou pour une autre, de reporter leur
intervention et cette situation nous met dans l’embarras puisque tout
l’hôpital et les patients doivent attendre le médecin. Et je dois
souligner qu’au sein de notre établissement, assurer un traitement et
des soins de qualité pour les patients, qu’ils soient de Gaza ou de
n’importe quel autre pays, est notre souci majeur ».
Il conclut : « Tous les 950 lits de l’hôpital sont
actuellement occupés. Le problème que nous rencontrons souvent est que
le patient qui arrive croit qu’il/elle doit absolument être admis sur le
champ. Or, la priorité va aux cas les plus urgents, tandis que ceux qui
peuvent attendre peuvent être traités dans des services de consultation
externes de l’hôpital ».
Les malades de Gaza n’ont pas le choix
Depuis le début du siège sur la Bande de Gaza, imposé
par Israël en 2007, les autorités Egyptiennes au niveau du passage
frontalier de Rafah avaient permis aux cas les plus critiques d’être
admis dans les hôpitaux en Egypte. Toutefois, le nombre des patients
gazaouis à passer outre la frontière pour recevoir des soins dans les
hôpitaux égyptiens a connu une nette augmentation après les attaques
israéliennes perpétrées contre la Bande de décembre 2008 à janvier 2009.
Mais le périple des malades de Gaza n’a jamais été une
mince affaire. En effet, selon un rapport de l’Organisation Mondiale de
la Santé (OMS), daté du mois de juillet 2011, environ 4.843 patients de
la Bande ont été, l’an dernier, évacués vers les centres médicaux
égyptiens. L’OMS a d’autre part soulevé les retards que rencontrent les
patients en route vers l’Egypte à cause du passage de Rafah. Et ce n’est
pas tout, la majorité écrasante de la population de Gaza, de plus en
plus pauvre, ne peut plus se permettre les coûts inabordables des
voyages vers l’Egypte, puisque ce sont les malades qui doivent payer de
leurs poches les frais du traitement.
L’OMS ajoute que depuis l’ouverture du passage
frontalier entre les deux pays, le nombre des transférés vers les
hôpitaux égyptiens a nettement grimpés au cours du second semestre 2010,
comparé aux six premiers mois de la même année.
Côté statistiques, l’OMS révèle que ces transferts
concernent en majorité les hommes âgés entre 18 et 40 ans. Ces patients
qui ont une chance d’accéder en Egypte ont moins de 50% de chance de
pouvoir traverser le point de contrôle d’Erez séparant Israël et Gaza.
C’est pourquoi, le corps médical de Gaza a tendance à envoyer les plus
jeunes dans les hôpitaux égyptiens plutôt que de les envoyer par Israël.
(Renvoi des patients de Gaza, OMS, le 14 juillet 2011)
Mais en attendant, aucune solution immédiate n’existe
encore pour atténuer les souffrances des patients de Gaza nécessitant
une prise en charge médicale.
De retour chez Mohamed Wadi, le dentiste se demande pour
la forme : »Que vais-je faire ? Le docteur au service de lutte contre
la leucémie m’a orienté vers le service de consultation externe où je
dois recevoir un traitement demain matin. Ensuite, je dois me rendre au
service de traitement de la douleur pour prendre les analgésiques dont
j’ai besoin jusqu’au jour de mon admission dans son service. A ce
rythme, il me faudra une journée, ou deux, voire une semaine. De toutes
les façons, je souhaite ne pas avoir à attendre beaucoup car je souffre
énormément ».
* Rami Almeghari est journaliste et conférencier universitaire vivant dans la bande de Gaza.
Vous pouvez le contacter à : rami_almeghari@hotmail.com.
21 novembre 2011 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/conte...Traduction de l’anglais : Niha