Mohammad Alsaafin et Nour Samaha - Al Jazeera
« Essayez d’imaginer que vous êtes dans une cellule, et qu’en
face de vous quelqu’un agonise » lance un des libérés à Al-Jazeera.
40 prisonniers Palestiniens des 1027 libérés ont été déportés et sommés de recommencer leurs vies à zéro - Photo : Reuters
Partie à la rencontre des prisonniers palestiniens
libérés à la suite de l’accord conclu en octobre 2011 entre Israël et le
Hamas, l’équipe d’Al Jazeera a rencontré deux d’entre eux devant être
déportés vers le Qatar. En effet, cette décision d’exil s’inscrit dans
le cadre de l’accord d’échange de 1027 prisonniers palestiniens contre
le soldat israélien Gilad Shalit, capturé en 2006 par le Hamas.
Hazem Asili et Abdelhakim Hnaini avaient été emprisonnés
en 1986 et 1993, respectivement. Le premier avait 25 ans et le second
27 ans. Ils livrent une interview exclusive à Al-Jazeera où ils
reviennent sur les conditions vécues dans les prisons israéliennes ainsi
que le traitement subi et décrivent le sentiment de jouir finalement de
la liberté.
Al Jazeera : Pour commencer, de quoi étiez-vous accusés ?
Asili : J’ai été accusé
d’appartenir à une cellule qui a commandité l’explosion d’un bus en
1983, et d’avoir coopéré avec une autre cellule qui avait lancé des
attaques, en 1986, contre des troupes de la Brigade Guivati.
Hnaini : Pour ma part, mon
accusation vient du fait de mon appartenance aux Brigades Izz ad-Din
al-Qassam, et de ma participation à quelques activités armées.
A.J : Et quelle a été la peine requise contre vous ?
Hnaini : La prison à perpétuité pour nous deux.
A.J : Pouvez-vous nous raconter un peu les ennuis que vous avez rencontré en prison ?
Asili : Il n’existe point
un sentiment pire que celui du geôlier qui veut vous briser et à vous
anéantir, qui cherche à vous ôter votre propre sens de l’humanité, à
vous réduire à un simple objet. C’était notre vie de tous les jours, un
combat mené 24h/24.
Personnellement, j’estime qu’il n’y a plus dégradant que
la fouille corporelle pour motif de sécurité, d’autant plus que nous
savons tous qu’il s’agit d’un faux prétexte. Nous fouiller alors que
nous sommes nus n’a rien à voir avec la sécurité, et n’a qu’une seule
explication : briser et annihiler notre volonté en usant des pires
supplices qui soient.
Ces souffrances et le mauvais traitement étaient
accompagnés des restrictions sévères imposées à quiconque désirait me
rendre visite. Les autorités pénitentiaires accordaient le droit de
visite aux membres de ma famille les plus proches [seulement]. C’est
très dur de vivre des années sans pouvoir rencontrer les autres membres
importants de ma famille comme mes neveux et nièces. Tous ces êtres
chers à mon cœur n’étaient pas autorisés à venir me voir. Bien
évidemment, on avance toujours les raisons sécuritaires qui, une fois de
plus se révèlent dépourvues de tout fondement. Comment voulez-vous que
ma nièce, âgée de 10 ans, puisse être une menace pour la sécurité si
elle me rend visite en prison.
Face à tout cela, l’israélien vient ensuite dépeindre
ses qualités et prétendre être le plus humaniste de tous. C’est vraiment
la cerise sur le gâteau ; ils viennent, mettent la main sur notre
terre, contrôlent le moindre aspect de nos vies, de nos mouvements, ce
que nous construisons, ce que nous apprenons...ils insistent que c’est
leur droit. En fait, c’est cette même mentalité qui est répandue en
prison.
Hnaini : Je voudrais juste
ajouter un petit détail. En fait, après toutes ces années vécues dans
le mauvais traitement, les gens comme Abu Jaber [Asili] et moi finissent
par s’habituer à ces abus, devenus routine. Nous oublions presque que
telle chose est inconcevable, par contre, ce sont les gens de
l’extérieur qui demeurent choqués quand ils entendent notre récit.
Je vous donne un exemple : imaginez que vous vivez dans
une cellule avec 16 prisonniers qui peuvent à peine se mettre debout,
l’un à côté de l’autre, pour faire la prière. Mais au bout d’un moment,
cela devient très normal et s’ancre dans notre quotidien.
Quant aux considérations sécuritaires, je dois souligner que durant les
quinze dernières années, j’ai vu mon frère deux fois seulement, or, il
n’a pas un casier judiciaire qui l’en empêche. Et il n’est pas le seul,
ma mère et mon père aussi, âgés respectivement de 75 et 80 ans,
n’avaient pas le droit de me rendre visite pour les mêmes raisons.
Et ce n’est pas tout, il existe aussi un autre aspect
alarmant : le manque de soins médicaux. Vous savez, un de nos frères
libérés, Ahmad al-Najjar se trouve avec un cancer de la gorge. Quand il
était en prison, il se rendait constamment à la clinique de
l’établissement, mais à chaque visite, le médecin lui disait toujours
qu’il ne souffrait que d’une infection. Un autre aussi qui a passé dix
ans en prison souffrant d’un cancer. Une fois au stade final, ils l’ont
envoyé chez lui pour finir ses jours. Actuellement, il est mourant à
l’hôpital de Bethlehem.
Bien sûr, les maladies, surtout les affections cutanées
se propagent facilement dans les cellules où nous sommes tous serrés et
entassés. Les responsables de la prison ne nous prodiguent aucun soin
jusqu’à ce qu’il y ait un cas désespéré. Alors, essayez d’imaginer que
vous vous trouvez dans une cellule où votre compagnon est en train de
mourir sous vos yeux chaque jour à cause de l’insuffisance des soins
médicaux. Rien que cela vous anéantit ; c’est la pire des souffrances.
Mais il faut dire que nous nous sommes habitués à tout
cela, chose qui ne cesse de choquer les gens de l’extérieur. En vérité,
ils arrivent à peine à nous croire.
Permettez-moi également de vous parler de l’isolement.
C’est exactement un espace de 1,8 mètre de long avec un banc pour dormir
et un petit endroit pour les toilettes. En dépit de l’étroitesse du
lieu qui permet difficilement de s’agenouiller pour la prière, on
s’amuse à mettre deux personnes dans la même cellule. Mais avec le
temps, tous ces détails sont devenus habituels pour nous.
A.J : Vous avez passé 19
et 25 ans de votre vie dans ces conditions, tout le temps enfermés dans
des espaces réduits, et, du jour au lendemain, vous être libres. Quel
est le sentiment qui vous traverse ?
Hnaini : J’ai reçu un coup
de fil de mon frère qui me demande où j’étais. J’ai répondu que j’étais
perdu ! Oui perdu dans cet immense machin [Centre Commercial à Doha,
Qatar]. J’ai le sentiment d’être sorti de l’enfer vers le paradis.
Seules les personnes ayant fait la prison pourront comprendre cela, car
la prison est une tombe. Aujourd’hui, sortir de cette tombe qu’est la
prison signifie pour moi renaitre.
Je me souviens une fois, dans la prison, nous regardions
un programme sur une chaine de télévision israélienne. Le thème du film
documentaire parlait des prisons en Scandinavie. Ce jour là, tous les
prisonniers des tôles israéliennes avaient bien rigolé, contrairement
aux téléspectateurs normaux supposés éprouver de la sympathie à l’égard
des prisonniers en Scandinavie. Ils doivent vraiment venir voir notre
état dans les prisons d’Israël pour comprendre.
Asili : Et vous avez sans
doute compris qu’il s’agit là d’une autre forme de torture psychologique
qui serait volontaire. A travers ces films, on tente de nous expliquer
que nous ne valons rien, et qu’on ne mérite même pas d’être traités ou
comparés à des êtres humains.
Hnaini : Avant de passer à
autre chose, je tiens à ajouter un autre point devenu un règlement au
sein des prisons israéliennes. Il y a ce que nous appelons bosta,
une sorte de voyage ou trajet que l’on effectue d’une prison à une
autre, ou de la prison vers l’hôpital. Bon, disons que j’exagère si
j’appelle ça hôpital, c’est en fait une prison avec un équipement
médical de base.
Asil : On vous met
tellement de bâtons dans les roues que finalement, on préfère rester
malade en prison que d’essayer de se rendre dans cet « hôpital ».
Hnaini : Laissez-moi vous
décrire notre souffrance et vous comprendrez ce qu’il vient de dire.
Pour aller à l’hôpital, on nous installe dans un fourgon qui est à la
base une cage métallique, avec des sièges métalliques. Un petit
ventilateur est accroché au plafond, juste ce qu’il faut pour empêcher
les quelques 25 personnes serrées à l’arrière d’étouffer. Les personnes
malades ont les mains et les jambes dans les chaines.
Dites-moi si ces mesures sont pour la sécurité ? Que
nous nous trouvons dans une cage métallique ligotés ! Moi je dis que
cela s’appelle racisme. Ils aiment nous voir souffrir. Je n’exagère pas
si je vous dis que sur une distance d’une ou deux heures à tout casser,
ils nous laissent jusqu’à 15 heures dans cette cage.
Tout cela pour que, une autre fois, si vous tombez malade et que le
médecin vous informe que vous serez transféré vers l’hôpital, vous
finirez par dire non. Mieux vaut rester que de refaire le même trajet où
vous mourrez 20 fois avant d’arriver. A ce titre, le médecin vous fait
signer un papier, comme ça, si vous périssez, il déclinera toute
responsabilité.
A.J : L’un de vous a été emprisonné au milieu des années 80 et l’autre depuis le début des années 90 !
Asili : Oui, avant même Internet [rires].
Hnaini : Nous parvenons à peine à manier les touches « appeler » et « raccrocher » sur un téléphone portable [rires].
A.J : Avez-vous déjà eu la possibilité d’utiliser les téléphones à l’intérieur ?
Asili : Non, bien sûr que non
Hnaini : Quelques
prisonniers se débrouillaient pour avoir un téléphone clandestinement.
Ils devaient enfreindre les règles pour venir à bout des règlements
racistes qui interdisent aux prisonniers tout contact avec leurs
familles. Vous savez, depuis la capture de Shalit, tous les prisonniers
gazaouis avaient été empêchés d’avoir le moindre contact avec leurs
familles. Cette démarche constitue une violation du droit international
et une punition à l’égard des familles des prisonniers.
A.J : Ils n’ont même pas le droit d’appeler leurs familles ?
Hnaini : Tout à fait. Je vais vous raconter une petite
histoire. Les détenus de la prison du Néguev avaient un jour réussi à se
procurer quelques téléphones portables. Avec l’un des appareils, ils
ont pris en photo cinq ou six prisonniers qui, dans leur cellule,
étaient en train de préparer un poulet farci pour le diner. Un gars a
par la suite utilisé son téléphone pour télécharger la photo en ligne.
Et voici le résultat : les téléphones avaient été
confisqués, la photo publiée dans les médias israéliens, le prisonnier
ayant téléchargé la photo a été accusé « d’incitation » et envoyé à
l’isolement pendant quatre mois. Et puis, le comble de l’absurdité, une
nouvelle loi a été adoptée stipulant l’interdiction d’acheter un poulet
complet pour la cuisine.
A.J : Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce que vous avez fait ?
Asili : Vous savez, j’ai
agi de façon naturelle. Vous ne pouvez pas rester, les bras croisés, et
accepter que quelqu’un vienne et vous arrache tous vos droits, sauf si
vous considérez que cette personne est meilleure que vous. Eux par
contre, c’est leur idéologie qui leur enseigne cela et leur fait croire
qu’ils sont supérieurs à nous et que de toute façon, nous devons
accepter cela. J’ai agi spontanément, sans que personne ne m’en incite
et je me suis rebellé contre eux. Non seulement ils volent ma terre,
mais ils se croient meilleurs que moi et que nous n’appartenons pas au
même rang.
Je suis prêt à défier tous les israéliens pour qu’ils
nous traitent tous sur le même pied d’égalité. Qu’ils nous donnent les
mêmes avantages sociaux et politiques accordés aux juifs. Qu’ils me
traitent, moi qui appartiens à cette terre, comme ils traitent quelqu’un
venu de Russie de n’importe quelle autre contrée qui n’a absolument
aucune relation avec cette terre. Qu’ils me considèrent un citoyen à
part entière comme les leurs ; qu’ils me donnent ce qu’ils donnent aux
leurs et je serai extrêmement ravi de cohabiter et arrêterai de les
combattre. Qu’ils me donnent le droit de voter et d’être élu et nous
déposerons les armes. Je les mets tous au défi.
Hnaini : Je voudrais
ajouter un détail très important. Il faut que tout le monde sache que
nous ne haïssons point les juifs à cause de leur religion. Ce que nous
haïssons est l’occupant. Regardez autour de vous, pourquoi les Qataris
se promènent-ils en toute sécurité et tranquillité sans armes ? Parce
qu’ils ne sont pas occupés. Pourquoi les Français se promènent-ils sans
armes ? Pareil, leur pays n’est pas occupé.
Asili : Mais autrefois, le
peuple français avait pris les armes. Quand les Français avaient été
occupés, ils ont résisté. Toutefois, quand il s’agit de nous, c’est
encore pire. Quand les Français avaient été occupés, tout le monde s’est
uni d’une seule voix pour les soutenir, et pour soutenir leur lutte. Ce
même exemple d’occupation, une fois appliqué chez les Palestiniens,
c’est le monde entier qui, au lieu de nous soutenir, préfère s’allier à
l’occupant. En vérité, nous ne sommes pas seulement occupés, mais
l’ennemi veut nous dépouiller de notre dignité. Pire encore, l’occupant
veut vider mon droit de lutte contre l’oppresseur de sa légitimité en le
qualifiant de terreur, d’une part, et à clamer le droit et l’éthique de
son occupation, d’autre part.
Hnaini : Si nous n’étions
pas occupés, nous n’aurions jamais pris les armes pour nous battre. Nous
ne cherchons que la paix et la sécurité, mais l’occupant refuse de nous
les donner. Nous ne rêvons pas de combats, nous rêvons de vivre dans
nos maisons, en paix.
Le 25 octobre 2011 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction : Niha
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction : Niha