27 Juillet 2011
Quand les Palestiniens auront résolu la question de leur représentation et quand la communauté israélienne aura révélé Israël pour ce qu’il est - c’est-à-dire le seul pays raciste du Moyen-Orient -, alors, politique et réalité pourront fusionner à nouveau.
Manifestation de soutien à la Palestine à Londres.
La vraie cause des maux de tête des diplomates israéliens.
La vraie cause des maux de tête des diplomates israéliens.
(Claudia Gabriela Marques Vieira/Flickr)
L’ambassadeur israélien en Espagne, Raphael Schutz, vient juste de terminer son mandat à Madrid. Dans une tribune publiée dans l’édition en hébreu de Ha’aretz, il résume ce qu’il qualifie de séjour très lugubre et semble véritablement soulagé d’en avoir fini.
Ce genre de lamentations semble actuellement être la lettre d’adieu type de tous les ambassadeurs israéliens en Europe occidentale. Avant Schutz, il y a eu l’ambassadeur israélien à Londres, Ron Prosor, qui, en route pour son nouveau poste aux Nations-Unies à New York, s’est énormément plaint, et sur le même ton, de son incapacité à s’exprimer sur les campus au Royaume-Uni et s’est lamenté à propos de l’atmosphère hostile en général. Et avant lui encore, l’ambassadeur à Dublin a exprimé un même soulagement au terme de son mandat en Irlande.
Ces trois râleurs étaient pathétiques, mais le dernier qui revient d’Espagne les bat tous. Comme ses collègues à Dublin et Londres, il a attribué son lamentable mandat à l’antisémitisme, celui des temps anciens et celui du pays. Ses deux amis des autres capitales sont restés très vagues sur les origines d’un nouvel antisémitisme car tant dans l’histoire de la Grande-Bretagne que dans celle d’Irlande, il est difficile de distinguer depuis le Moyen Age une quelconque période précise d’antisémitisme.
Mais l’ambassadeur à Madrid, sans la moindre hésitation, a rejeté la responsabilité de ses déboires et tourments sur l’Inquisition espagnole du XVe siècle. Ainsi, selon lui le peuple d’Espagne (son article était titré, Pourquoi les Espagnols nous haïssent) est anti-israélien soit parce qu’il est incapable d’assumer sa responsabilité dans l’Inquisition, soit parce qu’il y souscrit par d’autres moyens encore à notre époque.
Cette idée que les jeunes Espagnols doivent se voir imputer les atrocités perpétrées il y a plus de 500 ans, et non les politiques criminelles qui s’appliquent aujourd’hui, ou cette autre idée qu’il est possible de ressortir l’Inquisition espagnole comme unique explication au large soutien public à la cause palestinienne en Espagne, ne peuvent trotter que dans les têtes de ces diplomates israéliens désespérés qui ont, depuis longtemps, perdu la bataille de la moralité en Europe.
Mais cette nouvelle lamentation - et je suis convaincu qu’il y en aura d’autres à l’avenir - exprime quelque chose de plus important. La lutte de la société civile en soutien aux droits des Palestiniens dans les pays clés de l’Europe est un succès. Avec peu de ressources, dépendant parfois de l’action de très petits groupes d’individus engagés, et aidée dernièrement par son plus gros atout - l’actuel gouvernement d’Israël -, cette campagne a en effet rendu la vie quasiment infernale à tout diplomate israélien dans cette partie du monde.
De sorte que lorsque évaluons ce qui se profile à l’horizon, nous qui avons agi en Occident, nous avons le droit, un court instant, d’être satisfaits pour le bon travail que nous avons fait.
Ces trois ambassadeurs grincheux ne se trompent pas en sentant que ce n’est pas uniquement la politique israélienne en Cisjordanie et dans la bande de Gaza occupées qui est dénoncée, mais que c’est aussi la nature excessivement raciste de l’État juif qui a galvanisé les citoyens de conscience et justes - beaucoup étant juifs d’ailleurs - autour de la campagne pour la paix et la justice en Palestine.
En dehors de la question de l’occupation et de la réalité quotidienne de l’oppression partout en Israël et en Palestine, on distingue plus clairement que la plus formidable leçon de l’histoire nous viendra finalement de Palestine : les régimes du Mal ne survivront pas indéfiniment, et la démocratie, l’égalité et la paix atteindront la Terre sainte, comme le reste du monde arabe.
Mais avant que cela n’arrive, nous devons nous-même nous sortir de cette emprise des politiciens sur nos vies. En particulier, nous ne devons pas nous laisser égarer par le jeu des politiciens au pouvoir. L’initiative de déclarer aux Nations-Unies la Palestine, sur 22 % de ce qu’elle représentait à l’origine, en tant qu’État indépendant est une mascarade, qu’elle réussisse ou non.
Un appel spontané palestinien pour que la communauté internationale reconnaisse la Palestine dans l’enclave de Cisjordanie avec seulement une partie du peuple palestinien à l’intérieur, peut éventuellement impressionner ce gouvernement israélien à direction Likoud, mais il ne constitue pas un moment déterminant dans le combat pour la libération de la Palestine. Soit ce sera un non-évènement, soit il fournira aux Israéliens un prétexte pour de nouvelles annexions et dépossessions. Il s’agit d’une manœuvre de plus dans le jeu des politiciens au pouvoir qui ne nous mène nulle part.
Quand les Palestiniens auront résolu la question de leur représentation et quand la communauté israélienne aura révélé Israël pour ce qu’il est - c’est-à-dire le seul pays raciste du Moyen-Orient -, alors, politique et réalité pourront fusionner à nouveau.
Et lentement et sûrement, nous serons en mesure de replacer les pièces et de former le puzzle de la réconciliation et de la vérité. Ceci doit se baser doublement sur la reconnaissance qu’une solution doit inclure tous les Palestiniens (dans les territoires occupés, en exil et en Israël) et sur la construction d’un régime nouveau pour l’ensemble du territoire de la Palestine historique, offrant égalité et prospérité à tous ceux qui y vivent actuellement ou qui en ont été expulsés par la force au cours des 63 années d’existence d’Israël.
Le malaise évident que ces trois diplomates ont ressenti et exprimé n’est pas dû à un quelconque mépris manifesté à leur égard dans les ministères ou gouvernements étrangers. Mais si de nombreux Européens peuvent rendre la vie malheureuse à ces diplomates, leurs gouvernements respectifs peuvent toujours voir les choses autrement.
Que ce soit le désespoir financier et les pressions extérieures israélienne et américaine qui ont conduit la Grèce à collaborer contre la Flottille de la Liberté pour Gaza, ou la force de l’intimidation qui a fait taire même les journaux progressistes comme The Guardian en Occident, Israël est toujours sûr de son immunité en dépit de la misère de ses diplomates.
C’est pourquoi nous devons faire en sorte qu’il n’y ait pas que les ambassadeurs israéliens à se sentir en mauvaise posture dans les capitales européennes, mais tous ceux qui les soutiennent ou qui ont trop peur d’affronter Israël et de lui demander des comptes.
Ilan Pappe est professeur d’histoire et directeur du Centre européen pour les études sur la Palestine à l’université d’Exeter. Son dernier livre, Out of the Frame : The Struggle for Academic Freedom in Israel est publié chez Pluto Press, 2010).
Source info Palestine
Publié par UN PAYSAN DE L'ALLIER