samedi 25 juin 2011

Apathie collective pour punition collective

samedi 25 juin 2011 - 06h:57
Meg Walsh - Miftah
J’ai l’impression que ce qui m’entoure se referme sur moi à toute allure. Les barres de métal qui m’emprisonnent sont affreuses et le sol est couvert d’ordure. Des enfants aux abois essaient de me vendre des chewing gums et des bonbons.
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Checkpoint, Bethlehem... Toute une population enfermée, sous occupation depuis des dizaines d’années...
Les bonbons, c’est la dernière chose que je veux en ce moment ; ce que je veux c’est sortir d’ici. Des corps se pressent contre moi dans leur effort pour passer dans la porte tournante qui ne laisse passer que peu de personnes à la fois. Si je ne me bats pas, je ne passerai jamais.
Un soldat crie sur un adolescent pour une raison que j’ignore et on refuse le passage à un père tandis qu’on laisse la fille et sa femme passer. Un vieil homme dans une file de voitures sort ses emplettes alimentaires une a une de son coffre et un jeune soldat les inspecte, le doigt sur la gâchette. Des voitures font marche arrière et les gens s’impatientent. Je suis en colère.
Il faut que je traverse le checkpoint chaque fois que je veux entrer à Jérusalem en revenant de Ramallah, alors même que Jérusalem Est est en territoire palestinien. Je dois répondre aux questions habituelles comme : "Que faisiez-vous en Cisjordanie ?" ou "Avez-vous des amis palestiniens ?" Je suis furieuse d’être forcée de mentir. Avoir des amis palestiniens ne devrait pas être considéré comme un crime. Et je déteste qu’ils réussissent presque à me culpabiliser comme si je faisais vraiment quelque chose de mal.
Et par dessus tout, je déteste la manière dont ils traitent les Palestiniens et même si je suis mal à l’aise il y a de fortes chances que je passe le checkpoint sans trop de problèmes. Il en va bien autrement pour eux. Chaque rencontre accidentelle au checkpoint peut se transformer en persécution, détention ou pire car tout dépend de l’humeur du soldat.
J’avais sous-estimé la colère et l’anxiété que je ressentirais dans ces circonstances. Autour de moi, certaines personnes semblent très en colère et d’autres ont juste l’air de s’ennuyer. A cause de la liberté dont j’ai joui toute ma vie, je refuse d’accepter ce processus de déshumanisation. Ici et maintenant, je jure de ne jamais m’habituer, de ne jamais devenir insensible à tout ça. Pour moi ce serait devenir complice de l’injustice que constitue la domination absolue d’un groupe de gens sur un autre -ce serait trahir l’humanité. Suivant la couleur de votre carte d’identité et de la langue que vous parlez, vous êtes plus ou moins en danger.
Je ne dirai pas merci à ces soldats quand ils me rendront mon passeport. Je ne légitimerai pas leur rôle en leur témoignant de la gratitude. On ne me forcera pas à admettre que c’est un privilège de voir ses droits respectés.
Quand ils m’interrogent je leur dis que je suis allée à Naplouse au puits de Jacob qui est un site biblique où Jésus a rencontré la Samaritaine selon la tradition. Cela correspond au rôle de touriste chrétienne que je dois jouer comme tous les visiteurs qui veulent avoir des contacts avec les Palestiniens. On me regarde d’un air soupçonneux mais on me laisse passer la barrière avec les autres, comme si nous étions un troupeau d’animaux.
Quand on voit les politiques mises en place et le système d’apartheid à l’oeuvre, il est difficile de ne pas entrer dans le cercle infernal de la haine. C’est difficile de continuer à voir "l’autre", celui qui fait la loi, comme un être humain -ils deviennent des robots pris dans un système qui leur enseigne à obéir aux ordres et à ne pas poser de questions. Ce système nie les lois humanitaires naturelles et c’est donc une gageure de rester humain dans cet environnement inhumain. Les gens ne sont pas faits pour être emprisonnés dans des cages, ni littéralement ni au sens figuré et la race et la religion ne devraient pas être des facteurs de discrimination. Il est très ironique que tout cela se passe en "Terre Sainte".
Mais comment communiquer aux autres ce que j’ai vu et ressenti quand la plupart des gens préfèrent le confort et l’ignorance à la conscience dans notre monde injuste ? Si les mots étaient capables de décrire cette oppression, je ne crois pas qu’elle pourrait se perpétuer un seul instant. Le fossé entre les mots et l’expérience vécue est large et ceux qui ont le pouvoir de changer les choses ne se rendront peut-être jamais compte de la réalité - la réalité du cauchemar qu’est l’occupation. C’est seulement parce que je l’ai expérimentée en vivant ici que j’ai fini par changer -à force de le regarder en face, de me sentir impuissante, de craindre sans cesse et partout l’intrusion de l’arbitraire.
En Palestine je me sens souvent inutile et pourtant je sais qu’il faut que je reste ici même si c’est loin d’être confortable pour moi. Je ne peux pas continuer d’être complice ou neutre parce que j’ai vu ce que cela signifiait dans ce conflit et comment l’apathie collective avait malheureusement permis à l’occupation de la Palestine de durer 44 ans. Je me tiens sur un pont entre deux mondes -un dans lequel les puissants sont silencieux et l’autre dans lequel les opprimés crient sans être entendus. C’est au delà de ce paradoxe que je cherche des réponses. Et un peu d’espoir.
* Meg Walsh écrit pour le département d’information et des médias de l’organisation the Palestinian Initiative for the Promotion of Global Dialogue and Democracy (MIFTAH). On peut la joindre à : mid@miftah.org.
22 juin 2011 - Uruknet - Pour Consulter l’original :
www.uruknet.info?p=78882
Traduction : Dominique Muselet
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