jeudi 13 janvier 2011

Soutenir le droit au retour des réfugiés, c’est dire NON au racisme israélien

mercredi 12 janvier 2011 - 06h:09
Ilan Pappé
Exposé d’Ilan Pappé à la Conférence de Stuttgart
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Je remercie tous les organisateurs ; je sais qu’il a fallu beaucoup d’efforts pour nous réunir tous. C’est une grande réussite. (...) Vous nous avez également donné une magnifique occasion de nous rencontrer les uns et les autres et nous vous en sommes très reconnaissants. En raison de l’oppression israélienne, il est plus facile de se rencontrer ici qu’en Palestine où pourtant nous devrions être autorisés à le faire ; espérons-le, un jour nous serons tous réunis là-bas, sans devoir nous rendre dans les collines gelées de Stuttgart pour créer une vie commune !
Je pense que c’est bien l’essentiel de l’histoire sioniste de ne pas permettre aux gens de mener une vie normale, de ne pas leur permettre d’être des amis normaux, et de les obliger à passer par toutes ces difficultés pour satisfaire cette aspiration humaine élémentaire qui est de vivre ensemble.
Nous vivons des temps très bizarres. D’une part, en tant que militants, nous ne pourrions pas avoir rêvé un meilleur gouvernement israélien. Je pense en effet que ce gouvernement rend tout à fait superflue une analyse sophistiquée de ce qu’est le sionisme en Israël. Il est très facile d’expliquer, non seulement ce qu’est la politique menée par Israël, mais aussi l’idéologie raciste qui la sous-tend. D’autre part, l’économie israélienne est celle qui a connu les plus grands succès au cours des trois dernières années ; elle a fait beaucoup mieux que l’Allemagne, beaucoup mieux que la plupart des puissances économiques de l’Occident ; son système bancaire est très stable, sa monnaie est l’une des plus fortes dans le monde et elle ne souffre pas du tout de toutes les difficultés qui ont affecté les économies capitalistes occidentales au cours des trois dernières années.
Le résultat est un écart très déconcertant entre ce que le citoyen occidental moyen pense d’Israël et la façon dont les Israéliens, en particulier les juifs israéliens, se voient eux-mêmes. Ils pensent qu’ils vivent dans une société très performante ; ils croient que le conflit israélo-arabe est une chose du passé, que la question palestinienne est terminée ; que, oui, il y a un problème à Gaza, que oui il y a un problème avec le Hezbollah au Liban, mais que c’est un problème qui concerne l’ensemble du monde, que ce n’est pas un problème qui concerne particulièrement les Israéliens ; que cela fait partie de la soi-disant guerre contre le terrorisme.
Nous vivons aussi des temps bizarres car, en dépit de cela - Mazin Qumsiyeh en a parlé hier en détail, je n’ai donc pas à le répéter - nous vivons aussi une époque où certaines politiques particulières et spécifiques d’Israël sont sévèrement critiquées. Les gens vont manifester contre le massacre à Gaza, les gens vont manifester contre l’attaque de la flottille pour Gaza, et pourtant, personne n’ose attaquer l’idéologie qui est derrière ces politiques. Il n’y a pas de manifestations contre le sionisme, parce que le Parlement européen considère, même une manifestation contre le sionisme, comme de l’antisémitisme.
Imaginez qu’à l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud, vous n’ayez pas été autorisé à manifester contre l’apartheid sud-africain, mais seulement contre le massacre de Soweto ! Cela, est encore un grand succès israélien. Et l’Allemagne joue un rôle très important dans ce succès, dans le fait que le principal problème et la principale raison des politiques criminelles [d’Israël] n’est pas analysé, n’est pas discuté, n’est pas abordé, seulement les symptômes. Je ne suis pas médecin, mais je sais que si vous traitez les symptômes et non la cause de la maladie, vous ne guérissez pas le patient.
Donc je pense que ce dont nous avons vraiment besoin, en tant que militants - je pense qu’il est plus facile de vous parler de cela qu’à des gens qui ne savent rien du conflit ou qui se situent totalement de l’autre côté - c’est de changer un peu ce que nous faisons. Pas en ce qui concerne notre campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) qui a beaucoup de succès ; ou le genre d’actions que nous faisons en Allemagne et ailleurs en solidarité avec le peuple palestinien. Je pense que c’est un chapitre remarquable de l’activité de la société européenne, pas moins remarquable, comme cela a été souligné hier, que le chapitre de la lutte contre l’apartheid, mais, pour la plupart d’entre nous, nous n’utilisons pas encore le bon langage. Nous, la plupart d’entre nous, n’utilisons pas encore le genre de vocabulaire que nous devrions utiliser pour faire passer le message au sujet du problème dont nous nous occupons.
Parce que l’un des plus grands paradoxes de ce qui se passe en Israël et en Palestine, est que, d’une part, ce n’est pas une histoire compliquée ; c’est une histoire que l’on a déjà vue : des colons européens qui arrivent pour, soit liquider, soit expulser le peuple autochtone. À cet égard les sionistes n’ont rien inventé de nouveau. Mais d’autre part, Israël a réussi, avec l’aide des alliés qu’il a partout dans le monde, y compris dans ce pays, à construire cette explication complexe ...... qui est tellement complexe que seuls les Israéliens sont capables de la comprendre ! Et vous n’êtes pas autorisé à intervenir, surtout si vous êtes Allemand, vous n’êtes pas autorisé à interférer dans cette analyse, car elle est très complexe !
Non, ce n’est pas du tout complexe. Et c’est pourquoi l’histoire est si importante. Comprendre l’histoire, pas si complexe, de ce qu’a été le mouvement sioniste et de ce qu’il est en train de faire aux autochtones de la Palestine, c’est cela toute l’histoire. Oui, il y a d’autres histoires qui lui sont connectées, je suis d’accord : le sort des juifs en Europe, l’Holocauste, que sais-je, les relations entre le christianisme et le judaïsme au cours des 2000 ans écoulés, mais ce sont des à-côtés. Elles ne sont pas l’histoire principale, elles font partie de l’histoire, mais ce n’est pas par elles qu’il faut commencer.
C’est pourquoi, en Israël, quand ils apprennent l’histoire de leur propre pays - même, malheureusement, les étudiants palestiniens qui sont citoyens israéliens - ils commencent à Odessa. Je me souviens de cet étudiant palestinien, à l’Université, qui me disait « pouvez-vous nous expliquer pourquoi nous, qui sommes nés à R...ou à S... ou dans le Néguev, nous devons commencer notre histoire à Odessa ? » Ils ne savaient même pas où se trouvait Odessa. Et je lui ai dit : c’est parce que vous êtes sous occupation, même à l’intérieur d’Israël, pas seulement en Cisjordanie, pas seulement dans la bande de Gaza. Les Palestiniens vivant en Israël sont aussi sous occupation, et sont aussi colonisés, et si nous ne comprenons pas cela, nous ne pourrons pas sortir de l’impasse.
Parce que ce qu’on appelle le « processus de paix », qui a commencé en 1967, semble se dérouler sur Mars, sur la Lune ! C’est, dans l’histoire, le seul processus de paix que je connaisse qui n’ait jamais eu aucun rapport avec le problème qu’il était censé résoudre. Ce dont ils parlaient, à Genève en 1977, à Madrid en 1991, à Oslo en 1993, avait très peu à voir avec l’essence du problème. Ils traitaient des symptômes - je suis d’accord - mais pas de l’essence du problème.
Et cela, c’est le second plus grand succès israélien : le fait que non seulement l’opinion publique ne traite pas de l’essence du problème, mais que le processus de paix lui aussi réussisse à l’éviter. Donc si vous revenez à l’histoire, et que vous utilisez aujourd’hui le bon vocabulaire, vous n’êtes pas anachronique ; vous êtes en réalité une personne très pertinente et tout-à-fait à jour. Je vais vous expliquer ce que je veux dire.
Si vous dites que le sionisme est du colonialisme, vous êtes l’étudiant le plus jeune et le plus à jour que j’aie rencontré. Quiconque tenterait de vous décourager en disant que c’est anachronique, que ce n’est pas utile, que c’est de l’antisémitisme ... est lui-même anachronique ; il vit sur la lune ou sur Mars, et peut continuer à parler de quelque chose qui n’a rien à voir avec ce qui se passe sur le terrain.
En fait, si vous connaissez l’hébreu, vous savez que toute la langue hébraïque, de 1882 jusqu’à aujourd’hui, qui a été construite pour décrire ce que le mouvement sioniste est en train de faire en Palestine, utilise, encore et encore, les mots « hityachwut, hituachahut » ; et la seule façon de traduire ces mots est COLONISER. Il n’y a pas d’autre traduction.
Ainsi le mouvement sioniste, à la fin du XIXè siècle, époque où le colonialisme disposait de très bonnes relations publiques, utilisait très volontiers le mot coloniser. Mais, par la suite, les sionistes ont appris que le colonialisme n’était pas si populaire, alors ils l’ont traduit différemment, ils ont trouvé le mot « settlement » [« implantation »], qui signifie quelque chose d’autre en anglais ; et ils ont trouvé cette réponse : « Oui, c’est coloniser, mais ce n’est pas comme “coloniser”, c’est une chose différente ».
Encore une fois, c’est complexe, et nous seuls, les juifs israéliens pouvons comprendre pourquoi la colonisation israélienne et le colonialisme blanc en Afrique « ne sont pas pareils ». Mais si vous n’êtes pas un juif israélien, vous ne pouvez pas le comprendre ; si vous n’êtes pas un sioniste juif israélien, bien sûr, vous ne pouvez pas le comprendre ! Et je pense qu’il est important de ramener cela, dans nos écoles, dans notre approche du public, dans nos négociations avec les élites politiques de ce pays, et en Occident, et de dire : vous avez affaire avec le dernier projet colonialiste et, aussi bizarre que cela puisse paraître, même au XXIè siècle, ce projet colonialiste emploie les mêmes tactiques que le colonialisme du XIXè siècle.
Je pense que toute personne décente en Occident, comme au temps du colonialisme, ne prendra pas parti pour le colonialisme. Mais vous devez nettoyer votre vocabulaire, vous devez nettoyer votre esprit et vous devez penser que ce que les gens disent à propos de ce que vous dites est absolument sans pertinence. Ce qu’ils disent n’a pas d’importance ; ils vont vous considérer comme antisémite même si vous soutenez la solution de deux États parce que cela signifie que vous ne soutenez pas la solution de deux États comme ils l’entendent. Parce que vous ne comprenez pas le problème ; vous pensez que la solution de deux États consiste en un État souverain et indépendant sur la Cisjordanie et la bande de Gaza, non, vous ne comprenez pas.
L’État pour les Palestiniens, c’est deux Bantoustans, divisé par douze en Cisjordanie, et clôturé comme un camp de concentration à Gaza, qui n’a pas de connexion entre les deux, et qui a une petite municipalité à Ramallah que l’on appellera gouvernement ; voilà l’État. Et si vous ne comprenez pas que c’est un État, cela montre [de leur point de vue] que vous avez encore beaucoup à apprendre sur la complexité du conflit !
Le colonialisme est un message du passé que nous devrions accepter et que nous devrions traiter, et nous devrions recruter des anciens combattants de même que des cohortes de jeunes militants pour travailler sur une chose pour laquelle il devrait être partout facile de recruter des gens : la lutte contre le colonialisme, la lutte contre l’idée que quelqu’un de l’extérieur a le droit de démolir la vie des gens qui sont à l’intérieur. Car c’est cela qu’ils ont fait en 1882, et en 1948, et c’est cela qu’ils ont fait hier dans le Néguev, ou en Cisjordanie, et ils vont le faire encore la semaine prochaine si nous continuons à parler de négociations de paix, de solution à deux États, de toutes sortes de concepts sans pertinence qui n’ont rien à voir avec les réalités sur le terrain.
Le second concept du passé sur lequel je pense que nous devrions insister et que nous devrions transmettre, que ce soit pour essayer de protester contre quelque chose qu’Israël est en train de faire aujourd’hui, ou que ce soit pour commémorer en janvier ce qu’Israël a fait dans la bande de Gaza, ou lorsque nous commémorons en mai le crime qu’Israël a commis en 1948, est celui du nettoyage ethnique.
C’est, bien sûr, un concept qui a été développé dans les années 1990 à cause de ce qui s’est passé au cours des guerres dans les Balkans, mais même avant ces évènements, le nettoyage ethnique était considéré par la communauté internationale comme une idéologie et une politique inacceptables. Seul le génocide est considéré par la communauté internationale comme une chose pire que le nettoyage ethnique. Et bien souvent les deux sont liés, comme on peut le voir dans d’autres endroits, et comme on peut le voir en Israël et en Palestine. Lorsque vous autorisez la poursuite d’une politique de nettoyage ethnique, il n’y a pas à être surpris si ses auteurs passent un jour à un génocide. Parce que dans les deux cas, vous devez totalement déshumaniser les personnes que vous expulsez ou massacrez, même si ce sont des enfants ; elles doivent être totalement déshumanisés.
Quiconque a vécu en Israël assez longtemps, comme c’est mon cas, sait que la principale corruption subie par les gens au cours du service militaire est la totale déshumanisation des Palestiniens. C’est pourquoi, quand il voit un bébé palestinien, un soldat israélien ne voit pas un bébé, il voit un ennemi potentiel. Entre chasser le bébé de la maison à coups de pieds, et tuer le bébé, la route n’est pas très longue. Et je pense que le message à transmettre touchant la purification ethnique est un message de criminalisation, non des politiques de l’État d’Israël, mais de criminalisation de l’État d’Israël. Et c’est ce que nous devrions faire.
Nous devrions le faire parce que seule une approche fasciste de la vie prétendrait que, dans toute situation historique, un État et un pays sont une seule et même chose. Non, ce n’est pas le cas. Parfois l’État représente la pire chose qui puisse arriver à un pays. Et la pire chose qui soit arrivée à la Palestine, c’est l’État d’Israël. Si nous voulons faire de la Palestine un pays où les gens pourraient vivre comme des égaux, en fait vivre de bien des façons mieux que dans d’autres parties du Moyen-Orient, peut-être même mieux que dans certaines parties de l’Europe, il faut mettre au premier plan le pays, au détriment de l’État. Je sais que ce n’est pas facile, et il ne s’agit pas de mettre en question le droit des États à exister.
Nous sommes des individus, nous sommes des militants, nous n’avons pas le pouvoir de contester le droit d’un État à exister, nous n’avons pas le pouvoir d’éliminer des États - Israël a le pouvoir d’éliminer des États, pas nous. Ce que nous avons, c’est le pouvoir moral de dire aux gens : le type d’État que vous avez fondé, et le type d’État que vous soutenez, est en train de détruire le pays dans lequel vous vivez. La création de cet État a conduit, en 1948, à l’expulsion de la moitié de la population indigène de la Palestine. Montrez-moi n’importe quelle autre situation où la communauté internationale viendrait dire, sous le slogan de la paix : pour faire de ce pays un endroit paisible, il fallait expulser la moitié des gens qui y vivaient.
Ce n’est qu’en Israël et en Palestine que l’on a ce moment historique bizarre où les Nations-Unies - incarnant la volonté de la communauté internationale - disent au monde qu’elles autorisent Israël à expulser la moitié de la population de la Palestine au nom de la paix. Et quand vous commencez par là l’histoire d’Israël, il est très difficile de vous rétracter ; vous devez expliquer qu’en fait vous devez étudier l’histoire, et revenir à 1947 et 1948, et dire que la partition, ou l’idée de partition est une idée immorale. Ce n’est même pas une bonne idée de « real » politique, mais cela bien sûr on ne pouvait pas le savoir en 1947. Je peux comprendre, qu’en 1947-1948, on aurait dit « voyons si, en divisant le pays en deux » cela pourrait marcher. Qui pouvait le savoir ?
Mais 60 ans plus tard, peut-on encore prétendre que de couper en deux le bébé, si vous voulez, est différent du jugement de Salomon ? Vous connaissez l’histoire du jugement de Salomon ? Vous connaissez cette histoire du bébé et des deux mères [qui se le disputent], et que c’est la véritable mère qui refuse que le bébé soit coupé en deux. Nous savons qui est la véritable mère dans le cas d’Israël et de la Palestine. Nous savons qui est tout le temps prêt, soi-disant, à le couper. Donc je pense que toute l’idée de la purification ethnique est liée au soutien international qui lui a été fourni ; pas par un soutien direct, mais par l’accord et le consentement des Nations-Unies, et par la suite de la Communauté européenne et des États-Unis, pour dire que la seule façon d’établir la paix en Palestine, c’était que les Israéliens expulsent assez de Palestiniens, et s’emparent d’une partie suffisante de la Palestine pour créer la « seule démocratie du Moyen-Orient ».
Avec le projet sioniste, ils ont corrompu le sens commun de tout le vocabulaire que nous avions en Occident à la fin des années 1940 et au début des années 1950. C’est ainsi que vous établissez une démocratie ? En expulsant la population autochtone, de sorte que vous puissiez avoir une majorité juive ? Mais c’est ce que tous les jeunes Israéliens croient. Ils apprennent dans les départements de science politique que, pour construire une société démocratique, où la majorité peut décider ce qu’il faut faire, vous avez le droit de définir d’abord qui constitue la majorité, même par le meurtre de l’autre partie, de façon à être sûr de ce que sera le résultat des élections démocratiques.
Les Israéliens ne trouvent pas du tout bizarre que, si vous établissez une démocratie, vous pouvez aussi perpétrer un nettoyage ethnique, et un génocide, de façon à obtenir le bon électorat pour la future démocratie. Mais beaucoup de gens en Occident parlent d’Israël comme d’un État démocratique ; parce que, disent-ils, c’est la majorité qui vote et qui décide quoi faire. Le fait que la majorité doit être maintenue en permanence par le nettoyage ethnique, par des massacres, par la colonisation, par l’emprisonnement [des Palestiniens] dans de grands ghettos comme Gaza, n’est jamais évoqué comme faisant partie de la démocratie israélienne.
Je pense que c’est cela que nous devrions mettre en lumière. La seule façon de maintenir Israël comme un État démocratique, selon l’idéologie sioniste, est de continuer à être un État criminel. C’est presque comme de permettre dans la pire sorte de prison, à la pire espèce de criminels d’avoir un système démocratique, par la force de leurs armes, par la force brutale, par leur puissance.
Le troisième et dernier concept dont je voudrais vous parler, vient du colonialisme et du nettoyage ethnique qui sont les principales idéologies moteur de l’État juif. Le nettoyage ethnique et le colonialisme sont en effet les raisons pour lesquelles il y a un État juif en Israël. Ce n’est pas, bien sûr, ce que l’on enseigne, aussi bien aux Israéliens nés en Israël qu’aux gens qui soutiennent Israël dans le monde. On nous parle de deux idéologies. On nous parle de la nécessité de trouver un endroit sûr pour les juifs, et nous savons que ce n’est pas un endroit très sûr pour les juifs - au contraire, Israël est le seul endroit dangereux pour les juifs, c’est là qu’ils sont morts en grand nombre depuis 1948 -, et que c’est l’endroit où les juifs peuvent se recréer en tant que mouvement national et où ils peuvent exercer leurs droits à l’autodétermination.
Mais nous savons qu’Israël ne s’intéresse pas au droit à l’autodétermination pour les juifs, c’est pourquoi il encourage des centaines et des milliers de non-juifs dans le monde à venir s’installer en Israël, car ce qui est important pour Israël n’est pas l’autodétermination pour le peuple juif, ce qui est important pour Israël est de s’assurer que ce ne soit pas un État arabe. Et si vous êtes un Bahaï, et que vous vivez sur une montagne dans l’Himalaya, mais que vous n’êtes pas un Arabe, vous deviendrez un citoyen israélien juif en un rien de temps, si vous êtes prêt à venir. Il n’y a pas de problème. Les rabbins feront en sorte que vous soyez un juif et, si vous êtes un homme, ils pourront vous faire subir quelque opération douloureuse, mais dans l’ensemble vous êtes le bienvenu car vous n’êtes pas un Arabe. Et si vous êtes un Arabe juif, vous devrez vous « désarabiser », sinon vous ne serez pas le bienvenu dans la société juive israélienne.
Ainsi, le troisième et dernier concept est celui de la pureté ethnique. La pureté ethnique de l’État, et cela est lié au droit au retour [des réfugiés palestiniens]. La plupart des gens, et spécialement certains de nos meilleurs amis - et je ne dis pas cela ironiquement puisque je viens de publier un livre avec Noam Chomsky, que j’inclus ici - certains de nos meilleurs amis sont contre le droit au retour. Ils s’appuient sur des considérations pratiques ; ils vous diront qu’il est irréaliste de dire aux réfugiés qu’ils devraient s’attendre à la possibilité de revenir ; ils vous diront qu’ils devraient [au contraire] être encouragés à réfléchir à un avenir différent.
Je voudrais dire que, dans cette analyse, le point de départ n’est pas la praticabilité, n’est pas la « real » politique. Parce que si la base d’analyse de la situation est la « real » politique - comme le fait Uri Avnery, comme le fait Noam Chomsky, et beaucoup d’autres, et ce n’est pas cyniquement que je dis « nos bons amis », ils sont mes bons amis mais je suis, sur ce point, en total désaccord avec eux - cela signifie que c’est l’équilibre des forces qui détermine votre attitude.
Eh bien, si c’est l’équilibre des forces - comme nous l’avons entendu hier, entre la plus grande et la plus puissante armée du Moyen-Orient, et les plus faibles forces militaires du monde - qui détermine notre attitude, nous ne devrions même pas être réunis aujourd’hui. Nous devrions céder aux diktats israéliens. Nous savons que les Israéliens sont très clairs au sujet de ce qu’ils veulent : ils veulent autant de territoire palestinien que possible, avec aussi peu de Palestiniens que possible ; c’est ce qu’ils voulaient en 1882, et c’est ce qu’ils veulent en 2010. Cela n’a pas changé. Les moyens ont changé, les circonstances historiques ont changé, mais la vision de ce qui serait une florissante et prospère société israélienne, à savoir une société avec aussi peu d’Arabes que possible, et autant de territoire palestinien que possible, cela n’a pas changé. Donc, si la « real » politique détermine notre attitude, nous devrions céder à cette vision.
En tout état de cause, nous ne nous occupons pas de « real » politique quand nous contestons ce que veut Israël. Et la raison pour laquelle les Israéliens refusent, même de reconnaître, le droit au retour, sans parler de la mise en œuvre pratique de ce droit, ce n’est pas comme certains le pensent parce qu’ils auraient un sérieux problème de conscience à admettre qu’ils ont expulsé et massacré un peuple, trois ans après l’Holocauste. J’ai cru autrefois que c’était là le problème, je l’admets. Je le croyais, j’étais plein d’espoir parce que je suis un optimiste ; n’étant pas très grand, je voyais la moitié du verre plein. Je croyais que les Israéliens ne voulaient pas parler du droit au retour parce que des gens qui, comme Uri Avnery par exemple, avaient été impliqués dans le nettoyage ethnique, se sentaient malheureux à ce sujet. Et je croyais que, si vous parliez du droit au retour, vous apportiez ... comme une sorte de panacée, le remède à la maladie.
Non, malheureusement je pense que cela n’a rien à voir avec ça. D’un point de vue sioniste cela fait sens : les Arabes ne sont pas les bienvenus. Qu’il s’agisse des Arabes que nous avons expulsés, ou des Arabes que nous n’avons jamais touchés, ou de ces Arabes juifs qui insistent à demeurer arabes même s’ils sont juifs, ils ne sont pas les bienvenus car nous voulons être une démocratie ! Et ces gens voudraient venir ! C’est la principale raison qui est derrière le refus israélien du droit au retour.
Alors - et je vais terminer là-dessus - quand vous soutenez le droit au retour [des réfugiés palestiniens], vous ne soutenez pas seulement, ce que nous faisons tous, le droit des personnes expulsées à revenir si elles le veulent. Vous ne reconnaissez pas seulement le crime de nettoyage ethnique de 1948, vous n’adhérez pas seulement aux résolutions des Nations Unies qui soutiennent très clairement le droit au retour, vous dites en plus un très simple NON au racisme. C’est cela que vous faites. Vous dites NON au seul État raciste du Moyen-Orient.
Nous n’avons pas de très jolis régimes au Moyen-Orient, je suis d’accord ; les régimes politiques du Moyen-Orient ne sont guère inspirants, je ne recommanderais pas aux futures sociétés de s’en inspirer pour construire leurs politiques ; mais aucun d’eux n’est raciste. Le seul État raciste est l’État juif d’Israël. Un des seuls moyens de s’en prendre à cet État raciste est de le contester sur la question du droit au retour des réfugiés. Non pas parce qu’il serait praticable ou pas praticable, mais parce qu’il touche au code génétique de l’État juif. L’idée que vous pouvez coloniser n’est pas nouvelle. Mais l’idée que vous pouvez, au XXIè siècle, maintenir cette colonisation en maintenant ouvertement un État raciste, ne devrait pas être considérée comme acceptable, surtout pas dans ce pays. MERCI.
Le texte de cet exposé a été établi en anglais par Claudine Faehndrich à partir de l’enregistrement vidéo de la Conférence de Stuttgart (novembre 2010) et traduit en français par JPH.
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10 janvier 2011 - Silvia Cattori
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