dimanche 24 octobre 2010

Pourquoi Gaza fonctionne mieux que Ramallah

publié le samedi 23 octobre 2010

Menahem Klein

 
Contrairement aux idées reçues, le Hamas gère mieux son territoire que l’Autorité palestinienne le sien. Mais aucun des deux n’est prêt pour devenir un Etat indépendant.
Question : lequel des deux gouver­nements suivants fonctionne le mieux, celui de Salam Fayyad, Premier ministre de l’Autorité palestinienne (AP) en Cisjordanie ou celui du Hamas dans la bande de Gaza ? Réponse : celui du Hamas. Question subsidiaire : lequel de ces deux gouvernements cesserait de fonctionner en l’absence de soutien extérieur ? Réponse : celui de Cisjordanie. Dans la bande de Gaza, le gouvernement d’Ismaïl Haniyeh, Premier ministre issu du Hamas, fonctionne bien, en dépit du siège imposé par Israël à ce territoire, du boycott dont il est l’objet de la part de la communauté internationale et de l’absence d’aide financière des grands organismes internationaux. En Cisjordanie, les incontestables compétences personnelles de Salam Fayyad, les résultats obtenus par son gouvernement de technocrates dans l’amélioration des conditions de vie en Cisjordanie, les excellentes relations entretenues par le président de l’AP, ­Mahmoud Abbas, avec la communauté internationale et l’aide étrangère massive que reçoivent ses institutions n’ont pas débouché sur une meilleure administration que celle dirigée par le Hamas. Ce sont là les conclusions d’une étude récente de Yezid Sayigh, professeur au King’s ­College de Londres.
Par ailleurs, l’opinion dominante qui souligne le contraste entre le régime brutal du Hamas et le gouvernement démocratique d’Abbas et Fayyad est erronée. Le Hamas est arrivé au pouvoir au terme d’un processus électoral parfaitement démocratique et sous supervision internationale, un processus sans précédent dans le monde arabe. A l’inverse, le terme légal du mandat présidentiel de Mahmoud Abbas est dépassé depuis janvier 2009, mais celui-ci occupe toujours ses fonctions. Son gouvernement travaille uniquement par décrets présidentiels et ne dispose d’aucune légitimité parlementaire. En Cisjordanie, la vie démocratique est à l’arrêt, tandis que des services de sécurité omniprésents interfèrent en permanence avec le travail des institutions civiles. En ce sens, il y a peu de différence entre la bande de Gaza et la Cisjordanie, à ce détail près que les relations publiques de la Cisjordanie sont plus efficaces.
Mais il existe une différence essentielle entre ces deux régions. Dans la bande de Gaza, les services de sécurité du Hamas exercent sans entraves leur contrôle sur la totalité du territoire – de quoi faire pâlir d’envie le gouvernement de Salam Fayyad. Car, en Cisjordanie, le travail des services de sécurité palestiniens dépend de leur collaboration avec Israël, l’administration palestinienne n’exerçant son pouvoir que sur moins de la moitié du territoire et, même sur cette portion, elle ne peut opérer que selon les paramètres fixés par Israël. Autrement dit, le complexe militaro-colonial déployé par Israël n’a cessé de s’étendre sur le terrain, en dépit (voire à cause) de la réouverture d’un canal de discussion avec les Palestiniens. Jusqu’à ce jour, les négociations diplomatiques n’ont jamais pu mettre fin à ce complexe, mais lui ont au contraire permis de renforcer son emprise. Ce qui a mis fin à la présence israélienne dans la bande de Gaza, ce sont des alternatives radicales à la négociation : la violence frontale du Hamas et le retrait unilatéral décidé par Ariel Sharon en septembre 2005.
Lequel des deux gouvernements palestiniens est prêt pour l’indépendance ? Aucun. Dans les deux territoires, Israël maîtrise l’intégralité des frontières extérieures, de l’espace aérien, des registres de population et de l’espace électromagnétique, ainsi que la majeure partie du réseau routier et de l’approvisionnement en eau et en électricité. Dès lors, on peut se demander quel changement majeur est nécessaire pour faire s’approcher les Palestiniens de l’indépendance. De toute évidence, c’est en Cisjordanie que ce changement majeur doit se produire, même s’il y a peu de chances qu’il puisse survenir dans le cadre des négociations actuelles. On le sait, ces dernières risquent de renforcer l’emprise du complexe colonialo-sécuritaire israélien sur la Cisjordanie, au lieu d’y mettre fin. Dès lors, une ­évacuation totale de ce complexe n’est pas seulement une condition nécessaire, mais la ­condition préalable à la création d’un Etat ­palestinien souverain.
publié par Haaretz et en français par Courrier international