Par Stefano Chiarini
En souvenir aussi de Stefano Chiarini.
« La première impulsion pour commencer ce projet d’histoire orale fondé sur les témoignages des survivants du massacre de Sabra et Chatyla me vint pendant ces journées tragiques de septembre 1982, et c’était pour sortir de ce sentiment d’impuissance qui nous tenaillait face à tant d’horreur, et pour rappeler que le sang palestinien, libanais et arabe est égal à celui de tous les autres hommes. Le monde ces jours-ci, commémore à juste titre les victimes des Tours Jumelles mais les réfugiés palestiniens massacrés à Beyrouth, à peu près le même nombre, ont été totalement oubliés. Personne n’a payé, le principal responsable, Ariel Sharon, a même été défini par le président Bush comme un ‘homme de paix’ ».
Septembre 2004
Bayan el Hout –originaire de Jérusalem, élève de Edward Saïd, enseignante à la Faculté de Sciences politiques de Beyrouth depuis 1979- depuis sa maison tranquille de Beyrouth, proche du quartier de Fakhiani, cœur de la résistance palestinienne jusqu’à l’été 1982, raconte les motivations qui l’ont amenée à découvrir, vérifier et publier, d’abord en arabe et maintenant en anglais, non seulement les noms des 906 personnes tuées et des 484 disparus, mais aussi les circonstances de leur mort et la responsabilité du commandement israélien.
C’est difficile à croire mais jusqu’à présent personne n’avait jamais voulu savoir le nombre des victimes du massacre du 16 au 18 septembre 1982 dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatyla encerclés par l’armée israélienne : certainement pas le gouvernement de Tel Aviv, ni celui de Washington qui en arriva même à menacer le gouvernement belge de déplacer le commandement OTAN de Bruxelles à Varsovie s’il ne bloquait pas le procès intenté à Ariel Sharon ; certainement pas les gouvernements des USA, France et Italie qui, en septembre 1982, avaient en toute hâte retiré leurs troupes, laissant ainsi les camps de réfugiés sans aucune défense ; certainement pas les exécutants matériels des Phalanges libanaises, ni le gouvernement de Beyrouth aux fragiles équilibres et nullement intéressé par le sort des Palestiniens ; et pas même l’ANP, toujours prise dans des nécessités de plus en plus pressantes et tragiques, mais apeurée aussi par les pressions états-uniennes et israéliennes. Mais certains ont brisé cette étouffante omertà.
La vie de Bayan el Hout allait changer pour toujours à treize heures ce samedi 18 septembre 1982. « J’étais chez moi, à la Corniche el Mazra, l’immeuble était complètement vide, seule avec une voisine et ses trois enfants, quand j’ai reçu la visite d’une patrouille israélienne conduite par un officier qui cherchait mon mari, directeur du bureau de l’OLP au Liban. Au moment de sortir l’officier me dit brusquement : "Vous voyez comme nous sommes civils… ce n’est pas ce que vous pensez." J’avais à peine fermé la porte qu’un journaliste à la radio, la voix brisée, commença à parler du massacre dans les camps de Beyrouth. Toute cette hypocrisie me fût insupportable : de quelle civilité avait-il parlé ? Peut-on se trouver civils du simple fait qu’on appuie sur un bouton et qu’on ne sent pas dans les narines l’odeur de la chair brûlée des bombes au phosphore ? Ou parce qu’il y a des killers locaux pour ‘finir le travail’ sans se salir les mains avec le sang des victimes ? ».
La période la plus difficile et dangereuse de la recherche fut sans aucun doute le début, au lendemain du massacre. Beyrouth Ouest était encore occupée par les Israéliens, et au gouvernement, avec Amin Gemayel, il y avait les Forces Libanaises, les hommes qui avaient accompli le massacre.
« Nous rencontrions les témoins en secret, hors des camps où nous aurions risqué d’être tués ou arrêtés -poursuit Bayan el Hout- et les enregistrements étaient immédiatement copiés pour empêcher qu’ils ne puissent être détruits ». « Les Israéliens -ajoute l’historienne palestinienne- ont toujours tout fait pour effacer notre existence mais aussi notre mémoire. Leur premier objectif à Beyrouth fut justement les instituts de recherche, le centre d’études palestiniennes, les archives cinématographiques, photographiques et les documents papier ». Les copies des bandes d’enregistrement étaient ensuite rangées, par dix, dans des paquets cadeau aux couleurs vives et offerts à des amis et connaissances à l’occasion de quelque fête ou anniversaire. Pour une plus grande sécurité il fallait cependant en transcrire le contenu, « mais la terreur était telle -rappelle en souriant Bayan el Hout- que nous ne trouvâmes aucune dactylo prête à le faire. Une connaissance nous dit même qu’elle ne se sentait pas de nous aider parce que son voisin aurait pu entendre le bruit de la machine à écrire et la dénoncer. Finalement, une jeune fille se proposa de le faire, en écrivant tous les enregistrements à la main pendant que sa famille dormait. »
La recherche sur Sabra et Chatyla, commencée comme un projet d’histoire orale, allait devenir en 1983 une véritable enquête pour identifier les victimes du massacre et le déroulement des événements. Le virage eut lieu à l’occasion de la publication du rapport israélien sur le massacre, selon lequel il n’y aurait pas eu plus de 700-800 morts : « Ce qui me mit hors de moi, en particulier -déclare Bayan el Hout- c’est quand ils dirent que pas plus d’une vingtaine d’enfants et une quinzaine de femmes avaient été tués. C’est là que je compris à quel point il était important d’établir scientifiquement les noms et le nombre des victimes ».
Il fallait cependant croiser les témoignages oraux avec les listes officielles, même partielles, toutes top secret. Le travail était sur le point de s’arrêter quand, par un de ces hasards surprenants qui arrivent souvent dans des moments aussi dramatiques, un des « techniciens » présents dans l’équipe gouvernementale, le psychiatre Abdul Rahman al-Labbani, Ministre des Affaires sociales, réussît à se faire remettre, pour les faire suivre ensuite à Bayan el Hout, les listes de noms des victimes faites par la Croix-Rouge et par la Défense civile et une autre liste. Toutes les trois aujourd’hui (l’article a été écrit en 2004, NdT) encore inédites. En ce point, les aspects et les dimensions du massacre commencèrent à apparaître pour ce qu’ils étaient et la recherche put repartir en utilisant aussi les autres listes palestiniennes et les registres d’un cimetière voisin.
Le nombre des noms des victimes palestiniennes et libanaises arriva ainsi, entre interviews et listes officielles, à 906 auquel furent ensuite ajoutés ceux des 484 autres « disparus » et « enlevés », à propos desquels étaient connues les circonstances de l’arrestation par les phalangistes ou les israéliens : ceci pour un total de 1390 victimes. En dehors de ce chiffre se trouvent ensuite ceux qui ont disparu sans laisser de trace et les membres de familles entières qui ont été enterrés avec des voisins et des connaissances dans les refuges où ils s’étaient abrités. Parmi les victimes dont on n’a aucune nouvelle se trouvent de nombreux habitants étrangers du camp, travailleurs immigrés ou volontaires unis à leurs voisins palestiniens par la misère commune ou par les mêmes idéaux. Parmi eux, six immigrés bengalais tués chez eux ou le jeune infirmier noir de nationalité britannique, volontaire au Gaza Hospital, que tout le monde appelait « Osman », enlevé et tué le matin de samedi 18 septembre 1982. Personne n’a jamais su qui il était. En tenant compte de ces éléments, le nombre total des victimes du massacre pourrait dépasser les 3.000 personnes.
Dans la recherche de Bayan el Hout, à côté des listes des tués, des disparus et des personnes enlevées, se trouvent aussi 47 histoires particulièrement représentatives du point de vue de leur contenu humain : pour l’atrocité des exécutions -de nombreuses femmes enceintes furent écartelées dans les rues, des nouveaux-nés coupés en morceaux et recomposés sur des tables comme des gâteaux, des adolescents furent attachés par les jambes à deux jeeps qui les tranchèrent en deux en partant en sens opposés- la responsabilité des commandements et des soldats israéliens mais aussi pour des gestes de pitié isolés et inattendus.
Certains soldats permirent à des familles de s’enfuir du camp, d’autres firent un rapport à leurs supérieurs, mais personne n’arrêta les "killers". Sharon et ses généraux savaient bien ce qui était en train de se passer à Chatyla. Une lueur d’humanité brilla aussi parfois chez les bouchers des Forces Libanaises comme pour cet homme, au fond d’un puits où on jetait les vivants et les morts, qui fut sauvé par un phalangiste fils d’un collègue de travail avec qui il passait tous ses dimanches, avant la guerre.
« Au cours de la recherche, nous dit Bayan el Hout, ont émergé de nombreux détails inédits de grand intérêt : comme par exemple le fait que le massacre ne concerna pas seulement Sabra et Chatyla, mais aussi plusieurs quartiers voisins ; ou que les assassins, pour ne pas alarmer les habitants du camp et pouvoir les surprendre chez eux, essayèrent dans les premières heures, semble-t-il sur le conseil de certains experts israéliens, de n’utiliser que des armes blanches comme des couteaux et hachettes, mais qu’ils furent obligés ensuite d’ouvrir le feu à cause de la résistance désespérée d’une quinzaine d’adolescents palestiniens : rien à voir avec les 2.500 terroristes armés dont faisait état Ariel Sharon ». Un geste héroïque qui permit à beaucoup de se mettre à l’abri.
Le massacre, d’après la recherche, a eu en réalité plusieurs phases : « Au début, nous dit Bayan el Hout en nous montrant des graphiques, ils ne voulaient laisser personne en vie, et c’est pour ça que le premier jour le nombre des tués est beaucoup plus important que celui des personnes enlevées ou disparues. Puis au fil des heures, le rapport s’inverse soit à cause d’une certaine fatigue ou satiété chez les tueurs, soit parce que les commandements israéliens, avec les journalistes qui commençaient à se diriger vers Chatyla, décidèrent de faire faire ‘le travail’ ailleurs, loin des regards indiscrets ».
Sur le thème, central, des rapports entre commandements israéliens et responsables des Forces Libanaises, au premier rang desquels Elie Hobeika, tué il y a deux ans (2002, NdT) à Beyrouth la veille d’un possible voyage en Belgique pour témoigner contre Ariel Sharon, sont sortis récemment d’importants documents de preuves, qui sont arrivés chez les avocats des victimes par une source anonyme des services secrets états-uniens ou israéliens. Jusqu’à présent cependant, pas le moindre élément de vérité n’est arrivé ni du côté israélien, ni du côté phalangiste : donnée que la publication de cette recherche en anglais, et le temps qui passe, pourraient changer. « Après avoir fini ce travail de vingt années -nous dit Bayan el Hout avant de retourner à ses travaux- j’espère que maintenant, grâce aussi à la mobilisation internationale "Per non dimenticare Sabra e Chatyla" (Pour ne pas oublier Sabra et Chatyla, organisation toujours active, fondée par l’auteur de l’article, NdT) qui voit arriver aujourd’hui des délégations provenant de plusieurs pays, Italie, Espagne, Usa, Malaisie, France, le monde commencera à donner la même valeur au sang des Palestiniens, et surtout que les responsables de ce crime atroce seront jugés et qu’ils paieront pour leur crime. Il n’y a pas d’autre voie, si nous voulons la paix, que de passer par la porte étroite et inconfortable de la mémoire et de la justice ».
Cet article a été publié le 14 septembre 2004 par il manifesto, et republié le 3 février 2009, à l’occasion du deuxième anniversaire de la mort de Stefano Chiarini, journaliste au manifesto, spécialiste du Moyen-Orient et fondateur de l’association ‘Per non dimenticare Sabra e Chatyla ' : Pour ne pas oublier Sabra et Chatyla.
Un voyage est organisé chaque année à cette date, pour soutenir les projets initiés par Stefano dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban ; une délégation y est en ce moment, septembre 2010.
Septembre 2004
Bayan el Hout –originaire de Jérusalem, élève de Edward Saïd, enseignante à la Faculté de Sciences politiques de Beyrouth depuis 1979- depuis sa maison tranquille de Beyrouth, proche du quartier de Fakhiani, cœur de la résistance palestinienne jusqu’à l’été 1982, raconte les motivations qui l’ont amenée à découvrir, vérifier et publier, d’abord en arabe et maintenant en anglais, non seulement les noms des 906 personnes tuées et des 484 disparus, mais aussi les circonstances de leur mort et la responsabilité du commandement israélien.
C’est difficile à croire mais jusqu’à présent personne n’avait jamais voulu savoir le nombre des victimes du massacre du 16 au 18 septembre 1982 dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatyla encerclés par l’armée israélienne : certainement pas le gouvernement de Tel Aviv, ni celui de Washington qui en arriva même à menacer le gouvernement belge de déplacer le commandement OTAN de Bruxelles à Varsovie s’il ne bloquait pas le procès intenté à Ariel Sharon ; certainement pas les gouvernements des USA, France et Italie qui, en septembre 1982, avaient en toute hâte retiré leurs troupes, laissant ainsi les camps de réfugiés sans aucune défense ; certainement pas les exécutants matériels des Phalanges libanaises, ni le gouvernement de Beyrouth aux fragiles équilibres et nullement intéressé par le sort des Palestiniens ; et pas même l’ANP, toujours prise dans des nécessités de plus en plus pressantes et tragiques, mais apeurée aussi par les pressions états-uniennes et israéliennes. Mais certains ont brisé cette étouffante omertà.
La vie de Bayan el Hout allait changer pour toujours à treize heures ce samedi 18 septembre 1982. « J’étais chez moi, à la Corniche el Mazra, l’immeuble était complètement vide, seule avec une voisine et ses trois enfants, quand j’ai reçu la visite d’une patrouille israélienne conduite par un officier qui cherchait mon mari, directeur du bureau de l’OLP au Liban. Au moment de sortir l’officier me dit brusquement : "Vous voyez comme nous sommes civils… ce n’est pas ce que vous pensez." J’avais à peine fermé la porte qu’un journaliste à la radio, la voix brisée, commença à parler du massacre dans les camps de Beyrouth. Toute cette hypocrisie me fût insupportable : de quelle civilité avait-il parlé ? Peut-on se trouver civils du simple fait qu’on appuie sur un bouton et qu’on ne sent pas dans les narines l’odeur de la chair brûlée des bombes au phosphore ? Ou parce qu’il y a des killers locaux pour ‘finir le travail’ sans se salir les mains avec le sang des victimes ? ».
La période la plus difficile et dangereuse de la recherche fut sans aucun doute le début, au lendemain du massacre. Beyrouth Ouest était encore occupée par les Israéliens, et au gouvernement, avec Amin Gemayel, il y avait les Forces Libanaises, les hommes qui avaient accompli le massacre.
« Nous rencontrions les témoins en secret, hors des camps où nous aurions risqué d’être tués ou arrêtés -poursuit Bayan el Hout- et les enregistrements étaient immédiatement copiés pour empêcher qu’ils ne puissent être détruits ». « Les Israéliens -ajoute l’historienne palestinienne- ont toujours tout fait pour effacer notre existence mais aussi notre mémoire. Leur premier objectif à Beyrouth fut justement les instituts de recherche, le centre d’études palestiniennes, les archives cinématographiques, photographiques et les documents papier ». Les copies des bandes d’enregistrement étaient ensuite rangées, par dix, dans des paquets cadeau aux couleurs vives et offerts à des amis et connaissances à l’occasion de quelque fête ou anniversaire. Pour une plus grande sécurité il fallait cependant en transcrire le contenu, « mais la terreur était telle -rappelle en souriant Bayan el Hout- que nous ne trouvâmes aucune dactylo prête à le faire. Une connaissance nous dit même qu’elle ne se sentait pas de nous aider parce que son voisin aurait pu entendre le bruit de la machine à écrire et la dénoncer. Finalement, une jeune fille se proposa de le faire, en écrivant tous les enregistrements à la main pendant que sa famille dormait. »
La recherche sur Sabra et Chatyla, commencée comme un projet d’histoire orale, allait devenir en 1983 une véritable enquête pour identifier les victimes du massacre et le déroulement des événements. Le virage eut lieu à l’occasion de la publication du rapport israélien sur le massacre, selon lequel il n’y aurait pas eu plus de 700-800 morts : « Ce qui me mit hors de moi, en particulier -déclare Bayan el Hout- c’est quand ils dirent que pas plus d’une vingtaine d’enfants et une quinzaine de femmes avaient été tués. C’est là que je compris à quel point il était important d’établir scientifiquement les noms et le nombre des victimes ».
Il fallait cependant croiser les témoignages oraux avec les listes officielles, même partielles, toutes top secret. Le travail était sur le point de s’arrêter quand, par un de ces hasards surprenants qui arrivent souvent dans des moments aussi dramatiques, un des « techniciens » présents dans l’équipe gouvernementale, le psychiatre Abdul Rahman al-Labbani, Ministre des Affaires sociales, réussît à se faire remettre, pour les faire suivre ensuite à Bayan el Hout, les listes de noms des victimes faites par la Croix-Rouge et par la Défense civile et une autre liste. Toutes les trois aujourd’hui (l’article a été écrit en 2004, NdT) encore inédites. En ce point, les aspects et les dimensions du massacre commencèrent à apparaître pour ce qu’ils étaient et la recherche put repartir en utilisant aussi les autres listes palestiniennes et les registres d’un cimetière voisin.
Le nombre des noms des victimes palestiniennes et libanaises arriva ainsi, entre interviews et listes officielles, à 906 auquel furent ensuite ajoutés ceux des 484 autres « disparus » et « enlevés », à propos desquels étaient connues les circonstances de l’arrestation par les phalangistes ou les israéliens : ceci pour un total de 1390 victimes. En dehors de ce chiffre se trouvent ensuite ceux qui ont disparu sans laisser de trace et les membres de familles entières qui ont été enterrés avec des voisins et des connaissances dans les refuges où ils s’étaient abrités. Parmi les victimes dont on n’a aucune nouvelle se trouvent de nombreux habitants étrangers du camp, travailleurs immigrés ou volontaires unis à leurs voisins palestiniens par la misère commune ou par les mêmes idéaux. Parmi eux, six immigrés bengalais tués chez eux ou le jeune infirmier noir de nationalité britannique, volontaire au Gaza Hospital, que tout le monde appelait « Osman », enlevé et tué le matin de samedi 18 septembre 1982. Personne n’a jamais su qui il était. En tenant compte de ces éléments, le nombre total des victimes du massacre pourrait dépasser les 3.000 personnes.
Dans la recherche de Bayan el Hout, à côté des listes des tués, des disparus et des personnes enlevées, se trouvent aussi 47 histoires particulièrement représentatives du point de vue de leur contenu humain : pour l’atrocité des exécutions -de nombreuses femmes enceintes furent écartelées dans les rues, des nouveaux-nés coupés en morceaux et recomposés sur des tables comme des gâteaux, des adolescents furent attachés par les jambes à deux jeeps qui les tranchèrent en deux en partant en sens opposés- la responsabilité des commandements et des soldats israéliens mais aussi pour des gestes de pitié isolés et inattendus.
Certains soldats permirent à des familles de s’enfuir du camp, d’autres firent un rapport à leurs supérieurs, mais personne n’arrêta les "killers". Sharon et ses généraux savaient bien ce qui était en train de se passer à Chatyla. Une lueur d’humanité brilla aussi parfois chez les bouchers des Forces Libanaises comme pour cet homme, au fond d’un puits où on jetait les vivants et les morts, qui fut sauvé par un phalangiste fils d’un collègue de travail avec qui il passait tous ses dimanches, avant la guerre.
« Au cours de la recherche, nous dit Bayan el Hout, ont émergé de nombreux détails inédits de grand intérêt : comme par exemple le fait que le massacre ne concerna pas seulement Sabra et Chatyla, mais aussi plusieurs quartiers voisins ; ou que les assassins, pour ne pas alarmer les habitants du camp et pouvoir les surprendre chez eux, essayèrent dans les premières heures, semble-t-il sur le conseil de certains experts israéliens, de n’utiliser que des armes blanches comme des couteaux et hachettes, mais qu’ils furent obligés ensuite d’ouvrir le feu à cause de la résistance désespérée d’une quinzaine d’adolescents palestiniens : rien à voir avec les 2.500 terroristes armés dont faisait état Ariel Sharon ». Un geste héroïque qui permit à beaucoup de se mettre à l’abri.
Le massacre, d’après la recherche, a eu en réalité plusieurs phases : « Au début, nous dit Bayan el Hout en nous montrant des graphiques, ils ne voulaient laisser personne en vie, et c’est pour ça que le premier jour le nombre des tués est beaucoup plus important que celui des personnes enlevées ou disparues. Puis au fil des heures, le rapport s’inverse soit à cause d’une certaine fatigue ou satiété chez les tueurs, soit parce que les commandements israéliens, avec les journalistes qui commençaient à se diriger vers Chatyla, décidèrent de faire faire ‘le travail’ ailleurs, loin des regards indiscrets ».
Sur le thème, central, des rapports entre commandements israéliens et responsables des Forces Libanaises, au premier rang desquels Elie Hobeika, tué il y a deux ans (2002, NdT) à Beyrouth la veille d’un possible voyage en Belgique pour témoigner contre Ariel Sharon, sont sortis récemment d’importants documents de preuves, qui sont arrivés chez les avocats des victimes par une source anonyme des services secrets états-uniens ou israéliens. Jusqu’à présent cependant, pas le moindre élément de vérité n’est arrivé ni du côté israélien, ni du côté phalangiste : donnée que la publication de cette recherche en anglais, et le temps qui passe, pourraient changer. « Après avoir fini ce travail de vingt années -nous dit Bayan el Hout avant de retourner à ses travaux- j’espère que maintenant, grâce aussi à la mobilisation internationale "Per non dimenticare Sabra e Chatyla" (Pour ne pas oublier Sabra et Chatyla, organisation toujours active, fondée par l’auteur de l’article, NdT) qui voit arriver aujourd’hui des délégations provenant de plusieurs pays, Italie, Espagne, Usa, Malaisie, France, le monde commencera à donner la même valeur au sang des Palestiniens, et surtout que les responsables de ce crime atroce seront jugés et qu’ils paieront pour leur crime. Il n’y a pas d’autre voie, si nous voulons la paix, que de passer par la porte étroite et inconfortable de la mémoire et de la justice ».
Cet article a été publié le 14 septembre 2004 par il manifesto, et republié le 3 février 2009, à l’occasion du deuxième anniversaire de la mort de Stefano Chiarini, journaliste au manifesto, spécialiste du Moyen-Orient et fondateur de l’association ‘Per non dimenticare Sabra e Chatyla ' : Pour ne pas oublier Sabra et Chatyla.
Un voyage est organisé chaque année à cette date, pour soutenir les projets initiés par Stefano dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban ; une délégation y est en ce moment, septembre 2010.