Nordine Mzalla
C’est au Centre international des conférences, situé au nord de Téhéran, que se tient, depuis hier matin, la conférence pour le désarmement nucléaire. En présence de plus de 40 pays représentés par des ministres ou des hauts responsables dans des secteurs spécifiques, l’Iran, pays hôte, anime le front de la protestation contre le fait accompli nucléaire militaire. Un rendez-vous qui remet un peu de vérité dans le débat, comme ce discours d’Ahmadinejad emprunt de modération et de responsabilité.
C’est le ministre iranien des Affaires étrangères, Mouchehir Moutaki, qui a prononcé l’allocution d’ouverture en rappelant la conjoncture faite de pressions et de menaces quant au programme nucléaire civil. Puis, ce fut bien entendu au charismatique président de la République islamique Mahmoud Ahmadinejad de prononcer un discours confirmant les grandes orientations de la politique iranienne en matière d’énergie nucléaire dans le monde. Il s’agit en fait d’un credo partagé par de nombreux Etats de différents continents et qui se résume sous ce slogan porté sur les affiches et autres banderoles annonçant l’événement : «Nuclear energy for all, nuclear weapons for none», ce qui signifie littéralement en français «pour une énergie nucléaire accessible à tous et des armes nucléaires pour personne». En effet, l’intransigeant chef d’Etat iranien qui refuse tout chantage sur la question a réitéré tout l’argumentaire qui justifie la position de Téhéran par rapport «aux mensonges des Etats-Unis et de ses alliés».
«Les paradoxes des Américains mis à nu»
Mettant en exergue le «déficit d’humanisme» de certains détenteurs de l’arme nucléaire et d’autres armes de destruction massive, Ahmadinejad rappelle les différents crimes exécutés ou orchestrés par les Américains et leurs alliés dans l’histoire contemporaine. Par une véritable synthèse des horreurs, d’Hiroshima aux massacres en cours en Afghanistan ou en Irak, l’orateur donne avec force détails des informations peu répandues telles que l’utilisation de déchets nucléaires en Irak par l’occupant ou le nombre affolant de têtes nucléaires pointées par la plus grande puissance du monde et visant des objectifs vitaux des pays ciblés. Certain d’une large approbation devant une audience attentive à ce récit sur les monstruosités de la menace nucléaire, le président iranien n’a pas eu de mal à prouver les contradictions flagrantes entre les discours des détenteurs de la bombe atomique qui veulent empêcher toute maîtrise de l’énergie nucléaire chez les pays non détenteurs de ces effrayantes armes et signataires du Traité de non-prolifération. Une opposition à des ambitions pacifiques tandis que ces fournisseurs en combustibles et technologie n’hésitent pas à appuyer le développement de l’atome chez des pays qui défient le TNP et possèdent l’arme atomique. Le leader iranien se pose alors la question : «Jusqu’à quand va-t-on laisser Israël ignorer le TNP ?» Et de marteler, après chaque démonstration sur l’hypocrisie occidentale, qu’«il faut dénucléariser le monde pour sécuriser l’humanité». S’adressant aux politiques américains et à leurs soutiens, il déclare solennellement en provoquant une vive émotion dans la salle : «L’ère de l’arme nucléaire est révolue, vous devez en finir avec les rêves de domination et de profit éternel de nos richesses que vous ont légués vos prédécesseurs et les jeter dans la poubelle de l’histoire.»
Réformer l’AIEA
Sur un plan plus pratique, le président iranien suggère de réformer en urgence l’AIEA, l’Agence internationale de l’énergie atomique, «utilisée, à l’instar du Conseil de sécurité de l’ONU, comme un outil de répression injuste au service des Américains». Il propose par exemple la suspension des membres qui détiennent l’arme atomique pour remettre de la logique dans le principe de promotion du nucléaire civil, ce qui devait être la réelle vocation de l’AIEA. «Un rôle qui a produit l’effet inverse ces dernières années et encouragé la course à l’armement tant le sentiment d’injustice et le déficit de crédibilité a été manifeste», ironise le tribun. Cependant, Ahmedinejad n’omettra pas de rappeler que son pays collabore étroitement avec l’AIEA malgré ses dysfonctionnements. Il évoque plus de 4 500 contrôles par an en plus de caméras braquées sur les installations. Une omniprésence qui n’a jamais permis de conclure avec des preuves sur une déviation du programme civil, comme l’a signifié Salehi Ali Akbar à la tête de l’organisation iranienne de l’énergie atomique : «L’AIEA a confirmé plus de 20 fois que notre programme n’est pas déviant.» C’est donc dans le sillage de cette critique constructive au sujet de la désinformation occidentale que les interventions des participants sont venues renforcer cette conviction que l’ordre établi en matière nucléaire ne peut rien garantir de bon pour la planète. Les ministres syrien, irakien, libanais et omanais des Affaires étrangères ainsi que bien d’autres intervenants ont abondé dans le sens d’une nécessaire prise en charge de la dénucléarisation sans attendre en instituant des mécanismes juridiques pour la rendre effective.
L’incontournable partage du nucléaire civil
Par-delà ce message contre le nucléaire militaire et autres armes non conventionnelles et de destruction massive, s’est affirmée lors des prises de parole des représentants des divers pays ayant engagé des programmes sur l’atome ou non la prise de conscience générale que le nucléaire civil et pacifique s’impose à l’échelle de la planète pour dépasser l’époque des énergies fossiles. A ce propos, le président iranien a été aussi explicite : «En raison de la pollution, du réchauffement climatique, du coût des énergies fossiles, de l’intérêt du nucléaire dans la médecine et de l’industrie, nous devons inévitablement nous tourner vers l’utilisation généralisée de cette énergie atomique.» Des propos qui expliquent le succès de cette réunion qui a réussi à rassembler tant de pays malgré une pernicieuse diabolisation permanente de l’Iran, œuvre des Etats-Unis et de leurs satellites inconditionnels. La conférence de Téhéran semble contredire une fois pour toutes la coupable théorie qui prétend que des pays sont plus responsables que d’autres, une théorie paternaliste entretenue par les Occidentaux. La suite des travaux aujourd’hui ici à Téhéran devrait confirmer ce succès iranien contre la propagande atlantiste qui piège un débat qui concerne toute l’humanité.