K. Selim - Le Quotidien d’Oran
Ne faites pas des discours, agissez !
Détrompez-vous, ce n’est pas une interpellation de plus de la « rue arabe » - ainsi appelée car n’ayant pas le droit d’exister en tant qu’opinion publique reconnue et dont les évolutions seraient mesurables à travers des sondages – en direction des dirigeants.
Cette « rue » a renoncé à leur demander quelque chose et elle est pleinement consciente que les rencontres, régulières, des dirigeants n’ont d’autre but que de cultiver l’illusion qu’il existe une institution panarabe. Ce n’est donc pas la rue qui interpelle nos dirigeants, mais la secrétaire d’Etat américaine aux Affaires étrangères, Mme Hillary Clinton. Elle les invite à « agir », à faire « progresser l’initiative de paix arabe avec des actes, et pas seulement des discours », et à cesser de menacer de la retirer quand il y a une « difficulté ». Voilà donc une première : la représentante qualifiée de l’hyperpuissance américaine constate, comme le font les populations de notre aire soumise, que les chefs d’Etat arabes aiment cultiver l’inaction.
Mais la « concordance de vues » entre Mme Clinton et les opinions arabes ne va pas plus loin, les deux ne demandant pas le même type d’action.
En réalité, le discours « franc » de Mme Clinton énonce un changement de la politique étasunienne. Depuis des décennies, ce que l’Empire exigeait - et obtenait - des Etats arabes, c’était de ne rien faire, de l’inaction. Et de s’en remettre à la diplomatie américaine pour résoudre le confit du Proche-Orient. Les Etats arabes et l’OLP, en entrant dans la supercherie d’Oslo, ont fait de la paix une « option stratégique » qui justifiait leur inaction. Depuis la conclusion des accords d’Oslo, la colonisation israélienne s’est étendue et la purification ethnique s’est accentuée.
Et alors qu’Israël a mené deux guerres ouvertes, contre le Liban et Ghaza, les dirigeants arabes ont continué à défendre leur « option stratégique » et donc à ne pas bouger le petit doigt. On a donc laissé le Liban et Ghaza se faire massacrer. La grande Egypte a décidé de créer un mur d’acier pour interdire aux Palestiniens de Ghaza de faire passer des marchandises par les tunnels.
Aujourd’hui, l’administration américaine n’exige plus de « l’inaction », elle veut de l’action. Eriger le tunnel d’acier en est une qu’elle a chaleureusement applaudie. Mais elle veut plus : que les avions d’El Al puissent utiliser l’espace aérien des Etats arabes, que l’on normalise sans attendre un Etat palestinien et sans doute que tous les « services » du monde arabe collaborent avec le Mossad. Et que Dubaï détruise les enregistrements des caméras de surveillance quand les agents israéliens viennent tuer.
Il y avait, ce jeudi, de l’impatience dans le propos de Mme Hillary Clinton. Elle veut un engagement plus poussé des Etats arabes qui ne doivent pas s’offusquer pour des petites broutilles israéliennes, comme l’expulsion annoncée de milliers de Palestiniens de Cisjordanie et la judaïsation au pas de charge d’El-Qods. Sur ces questions, Mme Clinton n’attend pas d’eux des actes, mais le silence !
Gageons qu’il n’y aura pas beaucoup de dirigeants arabes pour dire à la représentante de l’Empire qu’elle en fait trop. Sur l’Iran, les Etats-Unis sont autrement plus sérieux et essaient d’organiser une sainte alliance pour sanctionner, voire faire la guerre. Et ils demanderont, encore, aux Etats arabes de se mobiliser et « d’agir » contre la menace perse, alors que les territoires palestiniens se réduisent à une peau de chagrin.
La « rue arabe », silencieuse, observe ces bouffonneries et n’attend rien des dirigeants.
17 avril 2010 - Le Quotidien d’Oran - Editorial