lundi 15 mars 2010

Le rapport secret palestinien

publié le dimanche 14 mars 2010

Gilles Paris

 
(La notion de secret est toute relative, ne serait-ce que parce que les Palestiniens sont parmi les mieux écoutés, mais pas au sens où on l’entend…)
Le site electronic intifada a rendu public cette semaine un rapport [1] rédigé en décembre 2009 par le responsable palestinien des négociations avec Israël, Saëb Erekat (la presse en avait fait état, mais seulement partiellement à notre connaissance). Il est précédé d’un commentaire particulièrement acerbe. L’Autorité palestinienne n’est manifestement pas la tasse de thé des animateurs du site, qui ne se privent pas de rappeler que l’unité de négociation dirigée par M. Erekat est coordonnée par un think-tank britannique, Adam Smith International Ltd, et financée entièrement par des fonds occidentaux (ce dont il ne se cache pas).
Chargé de ce dossier depuis bientôt deux décennies, longtemps sous la houlette de Ahmed Qoreï, Saëb Erekat, par ailleurs député de Jéricho, dresse un tableau particulièrement sombre de la situation, auquel s’ajoute la cassure interne palestinien dont le Hamas, et lui seul, est présenté comme responsable. A cet instant, les Palestiniens enregistrent échec sur échec. La tentative de lier la reprise des négociations à un gel de la colonisation israélienne a échoué. De même, la partie israélienne semble avoir convaincu les Etats-Unis qu’il ne faut pas reprendre les négociations là où elles s’étaient arrêtées en décembre 2008.
Autant sur le premier point la position palestinienne est consistante, autant elle laisse à désirer sur le second compte tenu des prises de positions du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, qui minore au printemps 2009 leur intérêt. Il est vrai que les déclarations, à ce moment là, de M. Abbas sont suivies d’un discours du nouveau premier ministre, Benyamin Nétanyahou, qui montre que son prédécesseur, Ehoud Olmert, était autrement plus ouvert à l’automne 2008 même si son mandat politique se limitait depuis septembre à expédier les affaires courantes (il avait démissionné à la suite de scandales politico-financiers).
Saëb Erekat rappelle (version palestinienne) ces positions sur les principaux sujets : annexion de 6,5% de la Cisjordanie (les Palestiniens acceptent 1,9%) compensée par des échanges de terre, partage de Jérusalem selon un principe “clintonien” (ce qui est peuplé de Palestiniens est palestinien, ce qui est peuplé d’Israéliens est israélien), acceptation de 5000 réfugiés de 1948 en cinq ans (les Palestiniens en demandent 150 000 sur dix ans).
Face à ce tableau, “quoi faire” se semande le Lénine de Jéricho, avant de proposer des pistes qui en disent long sur le manque d’alternatives palestiniennes :
1) recourir aux Nations unies (comme si elles pouvaient jouer un rôle en surplomb des Etats-Unis dans cette affaire) pour tenter de préserver la Ligne verte comme base de négociation, surtout pour la question de Jérusalem, en un mot sauver la formulation de la “feuille de route” acceptée en 2003 par toutes les parties et selon laquelle il convient de “mettre fin à l’occupation qui a commencé en 1967″. Faire de même pour que le règlement de la question des réfugiés se fasse en référence à la résolution 194 qui, selon les Palestiniens, contient le principe d’un “droit au retour” contesté par les Israéliens. Même sans faire référence à ce “droit”, ce que déplore avec virulence electronic intifada, le cadre de cette résolution semble présenter des avantages indéniables pour les Palestiniens. Comme si les Nations unies pouvaient jouer un rôle en surplomb des Etats-Unis dans cette affaire.
2) saisir la Cour internationale de justice pour prendre acte des violations imputées aux Israéliens. Au vu de la condamnation de la “clôture de sécurité”, on se demande bien en quoi ce recours peut modifier le rapport de force.
3) obtenir des termes de références américains, sur le modèle des “paramètres Clinton”, pour tenir le choc dans les négociations face au rouleau-compresseur israélien.
4) enfin, et c’est sans doute le plus intéressant, imaginer des plans B palestiniens. Parmi ceux-ci, Saëb Erekat évoque une remobilisation de l’OLP sur un mode incantatoire, la création de l’Autorité palestinienne s’est accompagné en effet d’un rétrécissement sans précédent du mouvement national palestinien aux territoires de Gaza et de Cisjordanie, puis de la Cisjordanie s’agissant du Fatah, sa colonne vertébrale. Il parle aussi d’une réflexion approfondie sur la viabilité de la solution des deux Etats (c’est la menace à peine voilée d’une conversion à la solution de l’Etat unique que la presse a principalement relatée).
Il évoque aussi, et c’est nouveau, une campagne de résistance non-violente (une “intifada blanche” selon le chroniqueur militaire du Yédioth Aharonoth, Alex Fishman) : boycottage des produits israéliens, interdiction du travail palestinien (principalement de construction) dans les colonies israéliennes (est-ce réalisable ?) Saëb Erekat évoque enfin la ”bombe atomique palestinienne” : la dissolution de l’Autorité palestinienne et la dénonciation des accords d’Oslo. Leur caractère dissuasif est effectivement indiscutable. Mais la direction palestinienne en a-t-elle jamais eu la capacité ?
[1] voir en anglais et en PDF sous l’article
publié sur le blog du Monde "Guerre ou Paix"