lundi 15 mars 2010

La voie indirecte vers un État palestinien ?

15/03/2010
* Daoud Kuttab est directeur du Community Media Network à Amman, en
 Jordanie. Il a enseigné le journalisme à l’université de Princeton.
* Daoud Kuttab est directeur du Community Media Network à Amman, en Jordanie. Il a enseigné le journalisme à l’université de Princeton.
Par Daoud Kuttab*

Les Palestiniens et les Israéliens ont des attentes différentes, et probablement contradictoires, des négociations indirectes relancées par les États-Unis.
Israël a accueilli favorablement la décision de la Ligue arabe, quelque peu réticente, d'appuyer l'appel du président palestinien Mahmoud Abbas pour que le principe de ces discussions soit accepté par les Arabes. Il est clair que du point de vue du gouvernement de droite du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, l'amorce de discussions indirectes, alors même que les activités de colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem n'ont pas été gelées, peut être en quelque sorte considérée comme une victoire. Il faut rappeler que, alors que ces discussions indirectes n'en étaient qu'à la phase préparatoire, le gouvernement israélien avalisait le projet de construction de 112 unités d'habitation au sud de Bethléem, ainsi que 1 600 nouvelles implantations dans Jérusalem-Est.
Pour les Palestiniens, ces discussions, même indirectes, doivent se concentrer sur un seul point stratégique : les frontières. Cette nouvelle idée a pour but d'amener les Israéliens et les Palestiniens à un accord sur les frontières d'un État palestinien dont tous, parties prenantes et communauté internationale, s'accordent à dire que c'est la seule solution pour en finir avec ce conflit engagé depuis de trop longues années.
Les Palestiniens veulent que les territoires occupés par les Israéliens depuis la guerre de juin 1967 constituent le territoire de l'État palestinien. Cette demande est en accord avec les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, notamment la résolution 242 qui établit « l'inadmissibilité de l'acquisition de territoires par la guerre ».
Mais un retour aux frontières de 1967 impliquerait que d'importantes implantations, ainsi que de plus petites et Jérusalem-Est, seraient alors intégrées dans ce nouvel État palestinien. Peu de gens y croient. Les discussions précédentes ont envisagé le principe d'un échange de territoires, ce qui permettrait à Israël de garder de nombreuses grandes implantations en échange de territoires israéliens cédés aux Palestiniens. L'échange le plus probable comprendrait probablement des territoires qui permettraient de créer un corridor entre la Cisjordanie et la bande de Gaza.
Le cas de Jérusalem sera probablement plus difficile à résoudre. Les Palestiniens et les Israéliens ont déclaré publiquement qu'ils ne voulaient pas d'un mur de séparation entre Jérusalem-Est et Jérusalem-Ouest. La plupart des idées qui circulent actuellement reprennent la proposition de l'ancien président américain Bill Clinton pour que les communautés juives de Jérusalem intègrent Israël et que les communautés arabes intègrent la Palestine.
Mais cette idée est fragilisée par la récente invasion de propriétés palestiniennes au cœur du quartier Sheikh Jarah de Jérusalem-Est par des militants de la droite israélienne. Des centaines de pacifistes israéliens, accompagnés d'activistes internationaux, ont rejoint les Palestiniens évincés pour protester contre les actions de ces colons radicaux qui ont reçu le soutien de responsables municipaux et gouvernementaux.
Dans ces circonstances, il est malheureusement peu probable que les négociations indirectes aboutissent à un résultat tangible pour ce qui est des frontières d'un État palestinien - d'autant plus improbable que ces négociations indirectes sont supposées aboutir dans un délai de quatre mois.
Le processus pourrait cependant être aussi important que le résultat pour les deux parties. Pour les Israéliens, ces discussions permettront un relâchement des pressions américaines et internationales tout en apportant une forme de légitimité à la position de M. Netanyahu consistant à discuter d'une paix sans pour autant renoncer aux implantations et à Jérusalem. Certains diront que cet apparent soutien au processus de paix sans concession de territoires est la position qu'Israël maintient, avec succès, depuis des années.
Mais pour les Palestiniens, ce processus est différent de ceux entrepris par le passé. Le refus entêté de s'asseoir face à face à la table des négociations tant que les activités d'implantations ne sont pas totalement gelées a eu pour effet de polariser l'attention sur ce que de nombreux observateurs considèrent comme le point crucial du régime de colonisation israélien.
Palestiniens et Israéliens, ainsi que la communauté internationale, sont conscients des modalités de ce qui constituerait un accord acceptable pour les majorités respectives des deux camps. En insistant sur la nécessité d'aboutir à des accords sur les frontières dans un délai limité, les Palestiniens disent en fait qu'il n'est pas nécessaire de négocier par étapes ; ils préfèrent d'abord valider un accord final et ensuite revenir sur les modalités de son application.
Le nouvel aspect le plus intéressant de cette reprise du dialogue indirect est peut-être ce qui est en train de se passer sur le terrain dans les territoires occupés. Le Premier ministre palestinien Salam Fayyad travaille activement à un plan stratégique dont on s'attend à ce qu'il entraîne de facto un État palestinien dans les 18 mois. On constate par ailleurs une montée des manifestations à caractère non violent tandis que les actes de violences et les attentats-suicide sont de moins en moins courants.
Les négociateurs américains qui envisagent de jouer un rôle actif dans ces discussions indirectes, et qui s'assiéront pour la première fois à la table des négociations si un face-à-face devait avoir lieu, ont apparemment promis aux Palestiniens que les États-Unis n'hésiteront pas à pointer du doigt le camp qui osera faire échouer les négociations.
Une telle déclaration de la part des Américains (dans le cas où Israël serait le fautif) donnerait aux Palestiniens l'occasion de déclarer l'échec de ces discussions et donc d'envisager une déclaration unilatérale de création d'un État palestinien dans l'espoir que la communauté internationale reconnaîtra un tel État. L'Europe a déjà déclaré qu'elle reconnaîtrait, le cas échéant, cette déclaration unilatérale. Dans ce cas, les Américains auraient quelques difficultés à refuser de reconnaître un État palestinien alors même que la communauté internationale a déjà établi que c'est la seule solution acceptable à cet insoluble conflit.

© Project Syndicate, 2010.
Traduit de l'anglais par Frédérique Destribats.