David Cronin - Pulse
Alors qu’en 2009 certains gros titres donnaient l’impression qu’il y avait des frictions entre les diplomaties israélienne et européenne sur tous les sujets... la réalité est qu’Israël jouit de relations extrêmement cordiales et profitables avec l’UE.
En décembre 2006, Olmert suscita une controverse quand une caméra le surprit à indiquer au Premier ministre italien, Romao Prodi, ce qu’il fallait déclarer pendant une conférence de presse commune.
Un des travers de la spécialisation dans les affaires de politique européenne, comme ce fut mon cas ces quinze dernières années, est que certains présupposés s’ancrent fermement dans votre cerveau. Longtemps, mon esprit critique est resté en berne lorsque j’écoutais des hauts représentants de l’Union européenne parler du Moyen-Orient. J’acceptais avec joie le discours officiel selon lequel ils s’efforçaient de parvenir à une solution juste du conflit entre Israël et les Palestiniens et qu’il serait insensé de laisser le dit processus de paix dans une situation de "sanglante mise de côté", selon les termes de Chris patten, l’ancien commissaire de l’Union européenne.
Les attaques israéliennes contre le Liban en 2006 et contre Gaza il y a seulement un peu plus d’un an ont illustré à quel point j’avais été naïf et crédule. Dans le premier exemple, Tony Blair avait empêché l’UE d’appeler formellement à un cessez-le-feu parce qu’il voulait qu’Israël se voie reconnue toute la latitude qu’elle jugeait nécessaire pour combattre le Hezbollah (le massacre de civils libanais par Israël pendant cette guerre de 33 jours n’avait provoqué guère plus que des déclarations de "regrets" de la part de londres).
Il est vrai que l’UE avait demandé instamment un arrêt de la violence qu’Israël avait infligée au 1,5 million d’habitants de Gaza fin 2008, début 2009. Cependant, en qualifiant l’agression de "disproportionnée," les membres les plus importants de l’UE avaient implicitement approuvé la version israélienne des événements - que tout avait été provoqué par les missiles que le Hamas lançait sur les villes de Sderot et d’Ashkelon au sud d’Israël. "Gaza étaient une crise en suspens," me disait Marc Otte, l’envoyé spécial de l’UE pour la paix au Proche Orient. "Croyez-vous que les Palestiniens pouvaient continuer à tirer des roquettes sur Israël sans qu’Israël réagisse ?"
Otte faisait une lecture délibérément sélective de l’histoire récente. Loin de simplement réagir à ce que le Hamas avait fait, Israël avait créé les conditions qui ont incité le Hamas à faire s’abattre dans la poussière ses armes rudimentaires (sans comparaison, il faut le dire, avec les machines à tuer ultramodernes de l’arsenal israélien). Dans les mois qui avaient précédé, le Hamas avait observé une cessation des hostilités avec Israël que l’Egypte avait obtenue en juin 2008. Cependant, tout changea le 4 novembre de cette année. Parce que le monde entier était surtout intéressé par l’élection par l’Amérique de son premier Président noir, le décision israélienne de rompre le cessez-le-feu avec un raid sur Gaza qui avait tué six membres du Hamas était passée généralement inaperçue à l’international. En conséquence, la plupart des media grand public avait ignoré le fait que les roquettes tirées par le Hamas sur le sud d’Israël venaient en représailles pour le raid de novembre.
Pire encore que sa complicité dans la propagation des mensonges israéliens, l’UE s’est abstenue de tenir Israël pour responsable de ses crimes de guerre. L’enquête réalisée par une équipe nommé par l’ONU sous la direction de Richard Goldstone, un juge sud-africain en retraite, sur la conduite de la guerre contre Gaza par Israël était aussi exhaustive que possible compte tenu des circonstances (avec le refus de coopération des autorités israéliennes). Mais quand les 575 pages du rapport d’enquête ont été discutées à l’Assemblée générale de l’ONU en novembre 2009, 22 des 27 Etats membres de l’UE ont refusé de l’adopter. Une conclusion majeure du rapport était qu’il n’y avait pas "d’objectif militaire justifiable" derrière dix des onze incidents qu’il a examinés et dans lesquels des civils ont été visés par Israël, s’est avérée trop gênante pour la plupart des gouvernements européens.
Alors qu’en 2009 certains gros titres donnaient l’impression qu’il y avait des frictions entre les diplomaties israélienne et européenne sur tous les sujets, depuis le statut de Jérusalem jusqu’à l’article du tabloïd suédois qui suggérait que les soldats israéliens prélevaient systématiquement les organes des cadavres de palestiniens, la réalité est qu’Israël jouit de relations extrêmement cordiales et profitables avec l’UE. Cette réalité a été mise en relief par Javier Solana, faisant un voyage d’adieux en Israël à l’automne, peu de temps avant sa démission du poste de chef de la diplomatie européenne. "Aucun pays extérieur au continent européen n’a le type de relations avec l’Union européenne qui est celui qu’a Israël," avait-il dit. "Israël, permettez-moi de le dire, est un membre de l’Union européenne sans être membre de ses institutions. Elle est membre de tous les programmes [de l’UE], elle participe à tous les programmes."
A mon sens, l’aspect le plus troublant de cette coopération est la manière dont les sociétés israéliennes d’armement sont devenues éligibles aux financements européens. Avec Israël comme principal participant extérieur au "programme cadre" pour la recherche scientifique, l’UE est devenue la deuxième plus grande source de subvention de la recherche pour ce pays. Les officiels de Tel Aviv avec qui j’ai discuté prévoient que la participation israélienne au programme pluriannuel, qui a démarré en 2007, aura rapporté 500 millions d’euros à son achèvement en 2013.
Parmi les bénéficiaires de ces subventions, se trouve Motorola Israël. Israël participe à un programme de surveillance financé par l’UE connu sous le nom d’iDetect4All, qui met en oeuvre des capteurs pour détecter des intrusions dans des bâtiments ou des sites de grande importance économique. Le concept derrière iDetect4All est similaire à celui qui est derrière le système radar que Motorola a installé dans 47 colonies israéliennes de Cisjordanie ces cinq dernières années. Le Jerusalem Post a présenté ce système comme une "clôture virtuelle" qui utilise des caméras thermiques pour repérer les personnes non autorisées à entrer dans les colonies.
Un autre bénéficiaire des subventions de l’UE est Israel Aerospace Industries (IAI), le constructeur d’avions utilisés pour terroriser les civils palestiniens. Cette entreprise joue un rôle essentiel dans le projet Ciel Propre
de l’UE, qui cherche à réduire la contribution de l’aviation au changement climatique en développant des moteurs d’avion moins polluants. Du fait qu’IAI s’est vue donner carte blanche par la Commisson européenne pour déposer des brevets sur toute innovation réalisée dans le cadre de ce projet, il est tout à fait envisageable que des avions utilisés dans de futurs bombardements de la Palestine auront été développés avec l’aide involontaire du contribuable européen.
Avigdor Lieberman avec Javier Solana, qui avait déclaré qu’"Israël était membre de l’UE sans être membre de ses institutions".
Il est hautement probable que l’intégration d’Israël dans l’Union européenne ira encore plus loin dans un avenir proche. En 2008, les chefs de la diplomatie de l’UE ont approuvé un plan pour "rehausser" leurs relations avec Israël au travers d’un "partenariat privilégié" qui permettrait à Israël de faire partie du marché unique européen des biens et services. Les démarches pour donner un effet concret à ce rehaussement sont au point mort depuis en raison de la guerre contre Gaza et du malaise de certaines capitales européennes devant la ligne dure du gouvernement de Benjamin Netanyahou. Néanmoins, certaines étapes significatives ont été franchies ces derniers mois. En novembre dernier, par exemple, un accord sur les échanges agricoles a été finalisé aux termes duquel 80 % des produits frais israéliens et 95 % des aliments élaborés en Israël peuvent être exportés vers l’Union européenne sans droits de douane. Un accord de coopération entre Europol, l’agence policière européenne, et Israël a aussi été conclu (même s’il attend toujours d’être ratifié par les gouvernements européens). Ceci en dépit de nombreux rapports d’organisations des droits de l’homme selon lesquels les détenus en Israël sont torturés de façon routinière et en dépit des règles applicables depuis 1998 qui interdisent Europol de traiter des données obtenues par des méthodes cruelles.
Un facteur qui a contribué à ouvrir la voie à cette coopération est tout un ensemble d’organisations de lobbying dédiées à la promotion d’Israël a commencé à se développer à Bruxelles. L’American Jewish Committee, le Congrès Juif Européen et le B’nai Brith ont tous créé des bureaux des affaires européennes ces toutes dernières années, tandis qu’une alliance interpartis de députés européens (European Friends of Israel) a été fondée en 2006. Ces organisations ont répondu à la révulsion générale de l’opinion publique devant l’agression israélienne en qualifiant ceux qui critiquent Israël, dont des juifs de gauche, d’antisémites (une affirmation absurde sachant que la plupart des militants solidaires avec la Palestine abhorrent l’antisémitisme). Ils ont également fait valoir qu’il est dans l’intérêt de l’Europe de se lier à Israël parce que son économie est prospère et a fait preuve de résilience devant la récession économique mondiale.
La machine de propagande bien huilée a contribué à convaincre les décideurs politiques qu’Israël devait être vue comme une sorte de Canada méditerranéen, un pays "normal" industrialisé présentant de nombreuses similarités avec l’Europe. Mais Israël n’est pas un pays normal, c’est un pays qui occupe illégalement le territoire d’un autre peuple.
Les relations toujours plus approfondies de l’UE avec Israël ne peuvent pas être disjointes des brutalités infligées au quotidien aux Palestiniens. Plus ces relations seront étroites, plus l’Europe devra s’accommoder de l’oppression de la Palestine. L’Union européenne ne peut pas aider à résoudre les problèmes du Moyen Orient si elle participe à l’aggravation de ces problèmes.
Né à Dublin en 1971, David Cronin est le correspondant à Bruxelles de l’agence de presse Inter Press Service. Il a d’abord occupé cette fonction pour le quotidien irlandais The Sunday Tribune après avoir été travaillé comme chargé de recherches et attaché de presse auprès du Parlement européen. Entre 2001 et 2006, il a collaboré à European Voice, hebdomadaire du groupe The Economist. (Source)
Le livre de David Cronin Europe’s Alliance with Israel : Aiding the Occupation sera publié dans le courant de l’année par Pluto Press.
4 mars 2010 - Pulsemedia.org - Publié par Mounadil et traduit par Djazaïri
http://info-palestine.net/article.php3?id_article=8302
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