samedi 14 novembre 2009

De l’ère !

publié le vendredi 13 novembre 2009

Gilles Paris
Ancien ambassadeur des Etats-Unis en Israël, Martin Indyck n’est pas un plaisantin et il connaît une chose ou deux du dossier israélo-palestinien. Quand il évoque, au terme d’un article fourni du New York Times, la possibilité d’“une nouvelle ère”, il doit être pris au sérieux.

L’ironie de l’histoire est que l’artisan palestinien d’Oslo (qui goûta fort peu de voir Yasser Arafat récolter seul les fruits de ses efforts), Mahmoud Abbas, est celui qui semble le plus déterminé aujourd’hui à jeter au panier cet accord (1993) et ceux qui en découlent (Gaza-Jéricho, 1994 ; Olso II, 1995). Thomas Friedman a bien résumé dans le New York Times, encore lui, (on y revient avec un peu de retard) l’exaspération devant un processus vicié, à la réserve près que la dérive d’Oslo ne date pas d’hier.

Que peut faire aujourd’hui Mahmoud Abbas ? Après un tel coup d’éclat et compte tenu de son état d’esprit si on lit ces confidences de Menahem Klein qui recoupent les “fuites” palestiniennes, il peut difficilement revenir aujourd’hui sur sa revendication de la nécessité d’un “gel” de la colonisation. Mais il est tout aussi peu probable que le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, cède sur toute la ligne sur ce point. Peut-il reconsidérer à la marge ses propositions de gel limité dans le temps et dans l’espace (hors les “blocs” et Jérusalem-Est) ? M. Abbas peut-il alors accepter un “meilleur” marché ? Ce genre de pratiques a pu fonctionner pendant les cinq premières années d’Oslo. On doute aujourd’hui que cela soit encore possible [1].

Ce qui frappe donc dans cette séquence, c’est combien elle dévoile l’absence d’alternatives des principaux acteurs. Côté palestinien, M. Abbas compte dans le gouvernement de Salam Fayyad un théoricien de l’auto-dissolution de l’Autorité palestinienne, Ali Jarbaoui, ancien professeur de sciences politiques à Bir Zeit. Mais cette dissolution était alors conçue pour provoquer un réengagement américain, alors qu’aujourd’hui elle solderait précisément une initiative américaine ratée.

La dissolution de l’Autorité placerait également Israël, principal bénéficiaire du statu quo jusqu’à présent, dans une situation totalement inédite. Il est peu probable, compte tenu de la clarté des résultats des élections de février, que ce coup de boutoir entraînerait une redistribution des cartes politiques, mais que ferait Israël d’une Cisjordanie sans Autorité ? [2]

La question se poserait également pour les Occidentaux, car cette dissolution marquerait la fin de leur tactique dite “la Cisjordanie d’abord” mise au point après la prise de contrôle de Gaza par le Hamas. Elle signerait la fin d’un modèle expérimental d’Etat virtuel, hors-sol, perfusé à grand frais, opposé au chaos et à la misère de Gaza.

PS : verve diplomatique, suite, avec le communiqué de l’Elysée suite à la rencontre entre M. Nétanyahou et Nicolas Sarkozy :

“Le Président de la République et le Premier ministre de l’Etat d’Israël, M. Benjamin NETANYAHOU, se sont entretenus aujourd’hui au Palais de l’Élysée.

Les deux dirigeants ont évoqué les principales questions internationales et notamment les moyens de relancer sans délai le processus de paix au Moyen Orient. Le Président de la République et le Premier ministre israélien ont marqué leur accord pour déployer tous les efforts dans ce but et rester en contact étroit sur cette question. Le dossier nucléaire iranien a également été évoqué à la lumière des dernières évolutions.

Le chef de l’Etat et le Premier ministre ont par ailleurs exprimé leur satisfaction concernant l’excellente relation bilatérale entre la France et Israël et le développement de la coopération entre les deux pays.”

[1] Lors d’ un rapide passage aux Etats-Unis, Netanyahou aurait accepté de faire quelques "concessions" sur les colonies, de les limiter pour un temps...tandis que Clinton essaie de calmer le jeu dans les pays arabes irrités par son alignement sur Netanyahou. Dans le même temps, on annonce le 12 novembre que la commission électorale palestinienne déclare impossible la tenue de l’élection palestinienne en janvier. Pas de surprise...CL, Afps

[2] voir aussi le précédent article de Gilles Paris :

Abou Mazen fossoyeur, acte II ?

Près d’une semaine après son coup d’éclat (renoncer à se représenter à la présidence de l’Autorité palestinienne), Mahmoud Abbas alimente la tension. Son entourage laisse entendre désormais que si rien ne changeait dans la relation avec Israël et les Etats-Unis, il serait prêt à démanteler cette Autorité si mal nommée, créant un vide sans précédent depuis 1993.

Les réactions en chaîne d’une telle décision seraient considérables : Israël serait-il obligé de se réengager dans la gestion des territoires palestiniens (en fait la Cisjordanie) ; que deviendrait l’aide internationale massive qui soutient une économie palestinienne placée sous perfusion depuis les bouclages israéliens massifs de 2000 ?

Les manières de M. Abbas ont alerté le BESA Center for Strategic Studies qui a découvert, comme l’explique Hillel Frisch dans une note alarmiste, que Yasser Arafat, cinq ans après sa mort, s’est subrepticement réincaré sous les traits précédemment patelins d’Abou Mazen. Pour le coup, Hillel Frisch souhaite ardemment que M. Abbas mette sa décision à effet, comme pour des raisons diamétralement opposées Sari Makdisi, sur le site de Foreign Policy (pour qui ne craint pas l’overdose).

L’imbroglio israélo-palestinien a conduit la Maison Blanche, à l’occasion de l’entretien accordé à la dernière minute par Barack Obama au premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, le 9 novembre, à publier un communiqué qu’on pourrait croire directement inspiré par la verve baathiste syrienne (sans compter que les photographes étaient invités à regarder ailleurs ce jour-là) :

“The President and Prime Minister Netanyahu discussed a number of issues in the U.S.-Israel bilateral relationship. On s’en doutait un peu.

The President reaffirmed our strong commitment to Israel’s security, and discussed security cooperation on a range of issues. The President and Prime Minister also discussed Iran and how to move forward on Middle East peace.” Saperlipopette !

La geste abbasienne (inspirée par Mohammed Ghneim, “Abou Maher” ? On peut en faire l’hypothèse) a permis de découvrir l’existence de Robert Serry, qui s’inquiète gravement de la situation (qui ne s’en inquiète pas ? me direz-vous !).

A cet instant, ce blog plaide coupable et se couvre la tête de cendres : il avait omis de porter à la connaissance de ses lecteurs le fait que Robert Serry est le coordinateur des Nations unies pour le processus de paix depuis près de deux ans. Voilà cette grave lacune comblée.

publié sur le blog du Monde "Guerre ou Paix"

http://israelpalestine.blog.lemonde.fr/ Synthèse et note : C. Léostic, Afps