entretien avec Yehuda Shaul
« Le gouvernement israélien nous ment. Il trahit ses propres troupes. A Gaza, les dérapages n’étaient pas des cas isolés mais une pratique généralisée. Les témoignages de soldats ne manquent pas. Et je vous parle là d’une vingtaine de soldats, en majorité encore en service et favorables à une offensive contre le Hamas. » Du haut de ses 26 ans, Yehuda Shaul est un ancien combattant. Il a servi l’armée israélienne de 2001 à 2004, dont deux ans dans les territoires palestiniens, qui l’ont profondément marqué. Il dirige Breaking the Silence (Briser le silence), une organisation de vétérans qui veut forcer la société israélienne à regarder en face la réalité brute.
« Et la réalité de l’offensive à Gaza, c’est que le gouvernement s’est débarrassé des limites morales. Il a changé les règles de la guerre. Sans le moindre débat dans la société civile », assène Yehuda Shaul. Nous l’avons rencontré hier à Genève, alors qu’au Palais des Nations faisait rage une tout autre bataille, très diplomatique.
– Vous affirmez qu’un changement fondamental s’est produit durant la guerre de Gaza. Lequel ?
– Je ne reconnais plus l’armée. Nous avions été formés à préserver la vie des civils. A ne jamais tirer en cas de doute. Il y avait bien sûr des dérapages et des abus, nous en avons documenté certains. Mais, à Gaza, c’est tout autre chose. Une fois les civils avertis (par des tracts ou des coups de fil) qu’une attaque israélienne était imminente, les soldats devaient attendre cinq minutes puis considérer qu’il n’y avait que des ennemis sur le champ de bataille. Bombardés à coups d’obus et de mortiers, abondamment mitraillés, les bâtiments étaient pris d’assaut par les troupes, lançant parfois des grenades avant d’entrer…
– Quelles étaient les consignes ?
– Il n’y avait pas vraiment de consignes, mais une mission précise à accomplir et une priorité absolue : préserver sa propre vie, quitte à tuer des innocents. Cette guerre serait devenue impopulaire en Israël si l’armée perdait beaucoup d’hommes. Ce n’était donc pas une volonté d’éliminer beaucoup de Palestiniens. Mais à l’armée on sait que la meilleure protection pour un soldat, c’est d’avancer avec une puissance de feu maximale. Le résultat, ce sont donc des tanks qui lancent des dizaines d’obus. Autrefois, avant chaque tir, il fallait l’aval d’un commandant ! Ajoutez à cela les récits d’officiers déclarant aux soldats que si Israël n’était pas une démocratie, ils pourraient mieux faire leur boulot. Ou encore les Palestiniens abattus au cas où ils auraient été des informateurs du Hamas. Sans parler des zones rasées alors que les combats avaient cessé depuis longtemps et que les quartiers étaient abandonnés. Personne ne sait ce qui s’est réellement passé dans la bande de Gaza.
– Que voulez-vous dire ?
– La société israélienne croit qu’il s’agissait d’attaquer les « méchants » du Hamas. Cela, personne ne va le leur reprocher. Mais était-ce le véritable objectif ? Il y a eu beaucoup de bombardements, mais relativement peu de combats face à face. Gaza City n’a même pas été envahie… Les autorités israéliennes font tout pour discréditer notre travail, mais le public commence à prendre au sérieux nos témoignages. Et à poser des questions.
[1] Yehuda Shaul, 26 ans, ancien combattant fondateur de Breaking the Silence. Une organisation de vétérans qui veut forcer la société israélienne à regarder en face la réalité brute.
publié par 24heures