Philippe Leymarie
Il s’agit de simuler une attaque aérienne massive, et de tester l’interopérabilité entre plusieurs systèmes anti-missiles israéliens et américains. Ces manœuvres supervisées par l’amiral Mark Fitzgerald, commandant la 6ème flotte US en Méditerranée, interviennent dans un contexte tendu : les négociations sur le programme nucléaire iranien, la polémique sur le rapport Gladstone (Onu), et l’énième blocage du règlement de la question palestinienne.
Bien que cet exercice soit prévu de longue date, et non connecté à une situation géopolitique particulière, il est clair — selon par exemple le quotidien Haaretz — que le scénario est surtout construit autour d’une attaque de missiles iraniens sur Israël, pour tester le système de défense de ce pays , ainsi que la capacité de l’armée américaine à lui venir en aide en cas de besoin.
Selon certaines rumeurs, le gouvernement américain pourrait d’ailleurs décider — après la fin de ces manoeuvres, le 3 novembre — de laisser en territoire israélien les batteries Patriot-Pac3, et en Méditerranée orientale ou en mer Rouge quelques bâtiments équipés du système antimissile Aegis, préfiguration de la nouvelle forme que pourrait prendre le « bouclier » anciennement envisagé en Pologne et en République tchèque.
Au large des ports israéliens de Haïfa et Ashdod, on peut voir ces jours-ci certains des dix-sept navires de l’US Navy entrés pour l’occasion dans les eaux israéliennes [1]. Un millier de soldats américains sont mobilisés, et autant côté israélien. Du matériel a été acheminé ces dernières semaines par une quinzaine de gros porteurs militaires US.
Grandeur nature
Ce test grandeur nature des défenses israéliennes est bien sûr simulé, avec projectiles à blanc tirés depuis des navires ou des avions de chasse. Ou de simples coups numériques virtuels, d’ordinateur à ordinateur. L’exercice a rendu nécessaire l’activation de tout ce que les forces armées israéliennes ( IDF ou Tsahal) comptent de radars, capteurs, et batteries de contre-missiles, ainsi qu’un imposant arsenal américain. Sont concernés :
le bouclier antimissile de théâtre israélien Arrow2 (ou Hetz), couplé à des radars Green Pine (Pin vert) ;
le dispositif antimissile américain Aegis (déployé à bord de bâtiments de l’US Navy) ;
le système américain THAAD (Theater High Altitude Area Defense), d’interception en haute altitude ;
les batteries Hawk, et Patriot, dans leur version la plus récente (Pac3) ; [2]
le radar X-Band américain Joint Tactical Air ground Surveillance (JTAGS) installé depuis l’an dernier dans le Neguev, avec des personnels militaires US.
Tirs barrage
En ligne de mire, la montée en puissance de l’arsenal offensif iranien, et la crainte qu’un jour, ces engins soient pourvus de têtes nucléaires. Le test d’un missile Shihab3 à rayon d’action de 2000 km, le mois dernier, plaçait Israël ainsi que les bases américaines au Proche-Orient à portée des projectiles iraniens.
En avril dernier, Israël avait testé — avec succès, a-t-il été dit — le système Arrow2, spécialement conçu pour faire face à une menace iranienne : le Jerusalem Post explique que ce système prend en compte l’éventuel tir d’une salve de missiles en « barrage », destinée à saturer l’espace et détourner les moyens de détection, qui risqueraient de laisser passer un engin portant éventuellement, un jour, une charge nucléaire.
Une source dans le milieu de la défense avait indiqué à ce journal israélien, en février dernier, que la plupart des missiles balistiques testés actuellement par l’Iran pourraient embarquer des têtes nucléaires, mais que leur destruction en altitude à mi parcours, par le système Arrow, devrait épargner les populations. [3]
L’exercice en cours vise à perfectionner les moyens de discrimination entre missiles (conventionnels ou non), et à raccourcir le processus de prise de décision, pour le déclenchement d’ un tir de destruction. Le radar X-Band, qui porte à plusieurs milliers de kilomètres, donnerait l’alerte six fois plus vite que le radar israélien "Green Pine", et fait espérer une destruction de l’engin intrus à mi-course (sur un parcours total de 11 minutes), avant même qu’il ait quitté le territoire de tir (iranien, par exemple).
Posture défensive
L’Etat israélien a toujours laissé ouverte la possibilité de déclencher des frappes préventives contre les installations nucléaires iraniennes. Mais, en raison de limitations tactiques (le rayon d’action de son aviation militaire) et diplomatiques (la possibilité de survol de la Syrie ou de l’Irak), et surtout des fortes réserves de l’allié américain, Israël est contraint — s’il veut conserver l’indispensable appui militaire de Washington — de privilégier cette posture défensive.
D’autant que, pour la première fois depuis l’accord stratégique conclu en 1996 avec Ankara, la Turquie vient d’exclure l’aviation israélienne des manœuvres annuelles « Aigle anatolien », qui devaient débuter il y a une dizaine de jours, dans l’espace aérien turc : elles étaient couplées, de fait, avec « Juniper Cobra ».
Ce contretemps, intervenu au dernier moment, sur décision politique d’Ankara (pour protester contre le rejet par Israël du rapport Gladstone sur la guerre à gaza), a retardé d’une semaine le déclenchement de l’exercice israélo-américain. Il prive pour le moment l’aviation israélienne d’une « allonge » qui lui était précieuse, au moins à titre d’entraînement, au dessus d’un pays frontalier de la Syrie et de l’Iran — ses deux adversaires potentiels. Le gouvernement turc, au moment même où il manifestait sa mauvaise humeur à l’égard d’Israël, a envisagé d’étendre sa coopération militaire avec son voisin syrien...
Le Dôme et la Baguette
Les responsables iraniens ont promis à plusieurs reprises de riposter avec vigueur en cas d’attaque israélienne ou américaine : « Même si un missile s’abat sur notre territoire, avant que la poussière (de l’explosion) ne retombe, les missiles iraniens auront fait exploser le coeur d’Israël », a par exemple averti le 9 octobre dernier Mojtaba Zolnour, un religieux proche du Guide suprême iranien Ali Khamenei.
Samy Cohen, directeur de recherche au CERI, qui vient d’enquêter en Israël [4], fait état d’un changement dans la perception de la menace iranienne : la plupart des experts rencontrés « ne croient pas que l’Iran prendra le risque de se faire détruire par une attaque nucléaire israélienne de seconde frappe », prévue à partir de sous-marins. Le doute existe également sur « les capacités opérationnelles de l’armée de l’air de détruire les installations nucléaires iraniennes en une frappe unique », alors que « Tsahal ne cache pas qu’il n’a pas les moyens de parer à une pluie de missiles de type Katioucha ou Graad jusque sur Tel-Aviv ».
En même temps qu’il perfectionne - avec le ferme soutien américain - son système de défense balistique, l’Etat israélien cherche cependant à se prémunir contre les roquettes et missiles à courte portée tirés depuis la bande de Gaza (par les miliciens Hamas), ou à partir du sud-Liban (par le Hezbollah) : c’est le projet « Dôme d’acier », dont les essais seraient encourageants, les premières batteries devant être mises en place en principe l’an prochain. Pour les militaires israéliens, il y a urgence, le Hamas et le Hezbollah ayant eu le temps de reconstituer leurs stocks. Un autre système baptisé « Baguette magique », qui n’est pas plus opérationnel, visera les missiles et roquettes de moyenne portée (70 à 250 km) dont disposent notamment la Syrie et le Hezbollah. [1]
[1] Notes
[1] Au fait, qu’en est-il, ou qu’en sera-t-il, des « eaux palestiniennes » ?
[2] Des batteries Patriot américaines avaient été déployées pour la première fois en Israël en 1991, pour tenter d’arrêter les tirs de Scud irakiens.
[3] Ce qui reste pour le moins à prouver. Et de quelles populations s’agit-il ?
[4] Cf. Le Monde, 20 octobre 2009.
publié sur le blog du Monde diplomatique "Défense en ligne"