dimanche 6 septembre 2009 - 12h:15
Faris Giacaman
Selon le site internet de Graines de la Paix, on leur apprend au camp "à développer l’empathie, le respect et la confiance ainsi que les techniques de leadership, de communication et de négociation - tous les éléments essentiels qui faciliteront une coexistence pacifique pour la prochaine génération." Ils dépeignent un tableau optimiste, et la plupart des gens à l’université sont très surpris d’entendre que je pense que ces activités sont peu judicieuses, au mieux, et immorales, au pire. Pourquoi diable devrais-je être contre la "coexistence", demandaient-ils toujours ?
Au cours des dernières années, il y a eu des appels grandissants pour mettre un terme à l’oppression d’Israël sur le peuple palestinien par le biais d’un mouvement international de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS). L’une des objections les plus courantes pour le boycott, c’est qu’il est contre-productif, et que « le dialogue » et « une promotion de la coexistence" sont beaucoup plus constructifs que les boycotts.
Avec le début des accords d’Oslo en 1993, il y a eu toute une industrie qui a déployé ses efforts pour faire venir les Israéliens et les Palestiniens dans ces groupes de « dialogue ». L’objectif déclaré de ces groupes est la création de la compréhension entre les « deux parties du conflit," afin de "construire des ponts » et « surmonter les obstacles." Toutefois, l’hypothèse que ces activités contribueront à faciliter la paix n’est pas seulement incorrecte, mais elle manque en fait de morale.
L’hypothèse que le dialogue est nécessaire afin de parvenir à la paix ne tient absolument pas compte. du contexte historique de la situation en Palestine. Cela suppose que les deux parties ont commis, plus ou moins, une quantité égale d’atrocités contre l’autre et sont également coupables des torts qui ont été causés. Cela suppose qu’aucune des deux parties n’a totalement raison ou totalement tort, mais que les deux parties ont des revendications légitimes qui devraient être examinées, et que certains points doivent être surmontés.
Par conséquent, les deux parties doivent écouter le point de vue de "l’autre" afin de favoriser la compréhension et la communication, ce qui conduirait probablement à une « coexistence » ou « réconciliation ».
Une telle approche est jugée "équilibrée" ou "modérée", comme si c’était une bonne chose. Toutefois, la réalité sur le terrain est très différente du point de vue « modéré » de ce soi-disant « conflit ». Même le terme « conflit » est trompeur, car il implique un litige entre deux parties symétriques. Ce n’est pas la réalité, il ne s’agit pas d’un cas de simple malentendu ou de haine mutuelle qui se trouverait sur le chemin de la paix. Le contexte de la situation en Israël/Palestine est celle du colonialisme, de l’apartheid et du racisme, une situation dans laquelle il y a un oppresseur et un opprimé, un colonisateur et un colonisé.
Dans le cas du colonialisme et de l’apartheid, l’histoire montre que les régimes coloniaux n’abandonnent pas le pouvoir sans lutte et résistance populaire, ou de pressions directes internationales. Il est particulièrement naïf de croire que la persuasion et les "discussions" pourront convaincre un système oppressif de renoncer à son pouvoir.
Le régime de l’apartheid en Afrique du Sud, par exemple, a pris fin après des années de lutte avec l’aide indispensable d’une campagne internationale de sanctions, désinvestissements et de boycotts. Si l’on avait proposé aux opprimés Sud-Africains vivant dans des bantoustans d’essayer de comprendre le point de vue de l’autre (c’est-à-dire le point de vue de la suprématie blanche d’Afrique du Sud), les gens auraient éclaté de rire à une notion aussi ridicule.
De même, pendant la lutte des Indiens pour l’émancipation de la domination coloniale britannique, le Mahatma Gandhi n’aurait pas été vénérée comme un combattant de la justice, s’il avait renoncé à satyagraha - "s’en tenir fermement à la vérité", son terme pour son mouvement de résistance non-violente - et s’il avait plaidé pour le dialogue avec les occupants colons britanniques afin de comprendre leur version de l’histoire.
Maintenant, il est vrai que certains Sud-Africains blancs étaient solidaires des opprimés noirs sud-africains, et ont participé à la lutte contre l’apartheid. Et il y avait, bien sûr, certains opposants britanniques à la politique coloniale de leur gouvernement. Mais ces partisans se sont explicitement tenus aux côtés des opprimés avec l’objectif clair de mettre fin à l’oppression, de lutter contre les injustices commises par leurs gouvernements et leurs représentants.
Donc, tout rassemblement des deux parties ne peut être moralement sain que lorsque les citoyens de l’état d’oppression sont solidaires avec les membres du groupe opprimé, et non pas sous la bannière de "dialogue" pour « comprendre l’autre version de l’histoire." Le dialogue n’est acceptable que lorsqu’il est engagé pour mieux comprendre le sort des opprimés, et non pas dans le cadre "d’écouter les deux parties."
Cependant, les partisans palestiniens de ces groupes de dialogue ont affirmé que de telles activités pourraient être utilisées comme outil - non pas pour promouvoir ce que l’on appelle la « compréhension », - mais en fait pour remporter la lutte palestinienne pour la justice sur les Israéliens en les persuadant ou "en leur faisant reconnaître notre humanité."
Toutefois, cette hypothèse est également naïve. Malheureusement, la plupart des Israéliens ont été victimes de la propagande sioniste et de ses nombreux exutoires qui les alimentent depuis leur plus jeune âge. En outre, il faudra un énorme effort concerté pour contrer cette propagande par le biais de la persuasion. Par exemple, la plupart des Israéliens ne seront pas convaincus que leur gouvernement a atteint un niveau de criminalité qui justifie un appel au boycott.
Même s’ils sont logiquement convaincus de la brutalité de l’oppression israélienne, il ne sera probablement pas suffisant de susciter en eux toute forme d’action dirigée contre lui. Cela s’est avéré vrai à de nombreuses reprises et est évident dans le lamentable échec de ces groupes de dialogue à former un mouvement global de lutte contre l’occupation depuis leur création, avec le processus d’Oslo.
En réalité, seule une pression soutenue - et non la persuasion - fera réaliser aux Israéliens que les droits des Palestiniens doivent être rétablis. C’est la logique du mouvement de BDS qui est totalement opposé à la fausse logique du dialogue.
Sur la base d’un rapport de 2002 non publié réalisé par Israel/Palestine Center for Research and Information, le San Francisco Chronicle a indiqué en Octobre dernier que rien qu"entre 1993 et 2000, les gouvernements occidentaux et des fondations ont dépensé entre 20 millions et 25 millions de dollars pour les groupes de dialogue. "Par la suite, une enquête à grande échelle réalisée auprès de Palestiniens qui ont participé aux groupes de dialogue a révélé que ces dépenses énormes avaient échoué à produire "un seul pacifiste des deux côtés."
Cela confirme la conviction, chez les Palestiniens, que l’ensemble de l’entreprise est une perte de temps et d’argent.
L’enquête a également révélé que les participants palestiniens ne sont pas pleinement représentatifs de leur société. De nombreux participants ont tendance à être "les enfants ou les amis de hauts responsables palestiniens ou des élites économiques. Seuls 7% des participants étaient des résidents de camps de réfugiés, bien qu’ils représentent 16% de la population palestinienne."
L’enquête a également révélé que 91% des participants palestiniens n’avaient pas conservé de liens avec les Israéliens qu’ils avaient rencontrés. En outre, 93% n’ont pas été contactés par l’action de suivi du camp, et seulement 5% étaient d’accord avec l’idée que cela avait aidé à « promouvoir la culture de la paix et le dialogue entre les participants."
Malgré l’échec retentissant de ces projets sur le dialogue, de l’argent continue à y être investi. Comme l’a expliqué Omar Barghouti, l’un des membres fondateurs du mouvement BDS en Palestine, dans The Electronic Intifada : "il y a eu tellement de tentatives de dialogue depuis 1993 ... c’est devenu une industrie - que nous appelons l’industrie de la paix."
Cela pourrait être en partie attribuable à deux facteurs. Le facteur dominant est l’utilité de tels projets dans les relations publiques.
Par exemple, le site internet des Graines de la Paix promeut sa légitimité en présentant une sélection impressionnante de soutiens venant de politiciens et autorités populaires, comme Hillary Clinton, Bill Clinton, George Mitchell, Shimon Peres, George Bush, Colin Powell et Tony Blair, entre autres.
Le deuxième facteur est le besoin de certains "gauchistes" et "libéraux" israéliens de sentir qu’ils font quelque chose d’admirable pour "se poser des questions », alors qu’en réalité ils ne prennent aucune réelle position contre les crimes commis en leur nom par leur gouvernement.
Les politiciens et les gouvernements occidentaux continuent de financer de tels projets, ce qui renforce leur image de partisans de la "coexistence" et les participants "libéraux" israéliens peuvent s’exonérer de toute culpabilité en participant à la noble action de "promotion de la paix." Une relation de symbiose, en quelque sorte.
Le manque de résultats de ces initiatives n’est pas surprenant, puisque les objectifs des groupes de dialogue et de "coexistence" n’incluent pas de convaincre les Israéliens d’aider les Palestiniens à obtenir le respect de leurs droits inaliénables. L’exigence minimale d’une reconnaissance de la nature oppressive d’Israël est absente dans ces groupes de dialogue.
Au contraire, ces organisations opèrent sous l’hypothèse douteuse que le "conflit" est très complexe et à multiples facettes, où il y a "deux versions dans chaque histoire, et chaque récit a certaines affirmations valables et d’autres fausses.
Comme l’explique clairement l’appel lancé par la Campagne palestinienne pour le boycott universitaire et culturel d’Israël, toute activité commune israélo-palestinienne - qu’il s’agisse de films ou des camps d’été - ne peut être acceptable lorsque leur objectif est de mettre fin, de protester et/ou de sensibiliser à l’oppression des Palestiniens.
Tout Israélien cherchant à interagir avec les Palestiniens, avec l’objectif clair de solidarité et de les aider à mettre fin à l’oppression, sera accueilli à bras ouverts.
Toutefois, la prudence est conseillée lorsque des invitations sont envoyées pour participer à un dialogue entre les "deux côtés" du soi-disant « conflit ». Toute demande pour un discours "équilibré" sur cette question - quand la devise « il y a deux versions dans chaque histoire" est formulée presque religieusement - est moralement et intellectuellement malhonnête, et ignore le fait que, quand il s’agit d’un cas de colonialisme, d’apartheid et d’oppression, il n’existe pas d"équilibre".
En général, la société de l’oppresseur ne renoncera pas à ses privilèges sans pressions. C’est pourquoi la campagne BDS est un important instrument de changement.