1) Plus de deux mille ans après la naissance du Christ à Bethléem, la ville abrite aujourd'hui l'accouchement par césarienne du nouveau Fatah et sa transformation de mouvement de libération de la Palestine en parti du pouvoir.
A notre avis, l'opération va produire une créature anormale. Il suffit de se rappeler le discours inaugural de Mahmoud Abbas dans lequel la lutte armée a été remplacée par la résistance populaire telle qu'énoncée par "la légalité internationale". En conséquence, et en toute logique, on peut se poser les questions suivantes : pouvons-nous continuer à considérer le Fatah comme le mouvement de libération de la Palestine ? depuis quand un mouvement de libération nationale annule-t-il la lutte armée pour chasser l'envahisseur ? et pour revenir à la légalité internationale, si une telle chose existe encore, rappelons-nous qu'elle énonce textuellement le droit des peuples qui sont soumis à une occupation illégale à lutter contre l'occupant jusqu'à la fin de l'occupation.. Le problème c'est que, 54 ans après le premier coup de feu de la révolution palestinienne, nous ne sommes arrivés à rien et même pire, au lieu de chasser l'occupant nous sommes devenus ses amis. Et pendant ce temps, tout au long des années et des décennies, l'occupant a poursuivi ses crimes, son implantation sur la terre de Palestine par tous les moyens, à preuve le pillage des terres par les colons en Cisjordanie et dans Jérusalem occupée, pillage encouragé par tous les gouvernements israéliens sans exception. Nous pouvons donc confirmer que nous sommes en présence de la première révolution dans le monde qui commence par la lutte armée et termine par la résistance populaire sans avoir réalisé quoi que ce soit de matériel ou d'immatériel sur le terrain.
2) Le peuple palestinien peut désormais entrer dans le Guinness Book. Il a réussi, sous une direction politique "rationnelle, réfléchie et pragmatique", à devenir le premier, et peut-être le dernier, peuple dépourvu d'État mais pourvu de deux gouvernements, l'un à Gaza et l'autre à Ramallah. Le sixième congrès du Fatah qui s'est tenu au bout de ...vingt ans après le cinquième, est venu diviser ce qui était déjà divisé, partager ce qui était déjà partagé et consacrer le fait accompli. On peut dire sans exagération que le congrès a morcelé le peuple palestinien entre Gaza, la Cisjordanie, les camps de réfugiés, les prisonniers, les martyrs, les blessés et réduit à la portion congrue les Palestiniens qui sont toujours sur leur terre, les Arabes de l'intérieur comme on les appelle, ou les Palestiniens de 48.
En outre, le congrès a annoncé au monde entier que le Fatah est désormais le parti du pouvoir, ni plus ni moins, qui se conforme à l'agenda préétabli en coordination avec les Israéliens et les Américains. Pour ce qui est de la démocratie dont Monsieur Abbas s'est montré si fier dans son discours de 6.290 mots qui a duré deux heures et demi, elle s'est illustrée dans les discussions très chaudes sur les problèmes qui se sont accumulés pendant vingt ans, qui avaient parfois un caractère personnel et qui concernaient entre autres des transactions ayant pour objet un siège au comité central ou un autre au conseil de la révolution, à un tel point que les agents de la garde rapprochée du président Abbas, dont le mandat s'est terminé en janvier dernier, se sont permis de tabasser les congressistes qui ont osé s'exprimer, parmi lesquels Toufic el Tirawi, ex-chef des renseignements militaires de l'autorité abassienne (voir l'émission Hissad al Youm de la chaîne Al Jazeera du 05/08/09).
3) Il n'est pas question de mettre en doute qui que ce soit parmi les cadres du Fatah qui sont entrés sur les domaines de l'autorité incomplète de Ramallah avec des autorisations israéliennes, après étude et analyse minutieuses des services de sécurité (Shabak), d'autant que nombreux d'entre eux ont sacrifié à la révolution palestinienne, quand elle existait, le meilleur de leur vie, car ce mouvement avait rassemblé et continue de rassembler dans ses rangs des milliers de militants et de patriotes prêts à tout pour la cause de leur peuple.
Mais on ne peut pas non plus passer sous silence les déclarations gouvernementales israéliennes selon lesquelles les autorités d'occupation, tant au niveau sécuritaire que politique, ont fait tout leur possible pour assurer le succès du sixième congrès du Fatah dans Bethléhem occupée.
On se rappelle par ailleurs, en toute objectivité et transparence, que le secrétaire général du FPLP, Abou Ali Moustafa, était également rentré dans son pays et sur sa terre avec une autorisation israélienne, sauf que l'occupant lui avait permis de rentrer dans sa patrie pour l'assassiner sur les ordres du ministre travailliste de la Guerre de l'époque (août 2002), Beniamin ben Elizer, à la suite du bombardement aérien de son bureau à Ramallah. Ce qui montre bien la différence de traitement entre les personnes acceptées par l'État hébreu, tels les "nouveaux Palestiniens", et les véritables militants qui sont restés convaincus jusqu'à leur dernier souffle que la lutte armée est la seule voie pour la libération de la terre et des hommes et l'établissement d'un État palestinien laïc et démocratique.
4) Monsieur Abbas a mentionné dans son discours "la période tunisienne a été très importante et nous a permis de profiter dans ce pays cher à notre coeur de l'expérience de nos frères en matière de réalisme, dans le cadre de l'école politique de Habib Bourguiba et de son successeur Zein el Abidine Ben Ali". Certes, nous avons beaucoup appris des deux leaders tunisiens, nous avons appris par exemple du président Ben Ali comment on transforme un État en une basse-cour privée. C'est ainsi que la constitution a été modifiée pour permettre au président tunisien d'obtenir un mandat supplémentaire. De manière générale, les élections dans le monde arabe constituent une manipulation à visage découvert sous la forme d'un virus qui "tue" des dizaines de millions d'Arabes au nom de la "démodictature" importée de l'occident. En ce qui concerne le réalisme de Bourguiba, on se demande ce qu'il a apporté au peuple palestinien. Le réalisme politique consiste-t-il à négocier avec l'occupant pour obtenir un État et réaliser le rêve d'autodétermination du peuple palestinien ?
L'école réaliste exige-t-elle qu'on annule toutes les formes de résistance armée et qu'on qualifie d'absurdes les missiles de la résistance ?
Ou consiste-t-elle à faire confiance à la politique impérialiste des États-Unis et à compter, comme le fait Abbas, sur Obama qui a promis la solution des deux États ?
Abbas, qui se prend pour un fin politicien, ferait-il semblant d'oublier que le précédent président américain avait promis la même chose ?
Comment peut-il ignorer que cette même administration s'est contentée d'exprimer ses regrets lorsque deux familles palestiniennes de Jérusalem ont été expulsées de leur maison dans le quartier de Sheih Jarrah, pour laisser la place à des colons dans le cadre d'une politique de nettoyage ethnique délibérée de Al Quds ?
5) Monsieur Abbas s'est remémoré la Nakba et rappelé la Naksa, mais il a délibérément "oublié" de reconnaître que les accords d'Oslo, qu'il présidait avec certains de ses proches, ont été source de misère pour le peuple palestinien ; il a aussi omis de mentionner que ces accords ont réussi à cumuler les méfaits de la Nakba et de la Naksa ; comme il s'est abstenu de raconter que les négociations secrètes avec les Israéliens, préalables à Oslo, se sont déroulées derrière le dos des leaders arabes, qu'il a pourtant couvert de louanges dans son discours "historique". Il aurait mieux fait de déclarer officiellement la mort et l'enterrement des accords d'Oslo au bout de 16 ans, au lieu de rappeler le plan de paix américain appelé feuille de route en se vantant des avancées palestiniennes dans son application. Rappelons que le premier paragraphe de cette feuille de route énonce textuellement que l'autorité d'Oslo est dans l'obligation de supprimer le "terrorisme palestinien", ce qui nous donne peut-être la clé du mystère des rafles et emprisonnements et tortures jusqu'à la mort par des méthodes dignes des services de renseignements israéliens, des combattants palestiniens dans les geôles de l'Autorité. Et c'est peut-être en application de cette feuille de route que Abbas a refusé de relâcher les membres de Hamas emprisonnés par l'Autorité, pour permettre aux cadres du Fatah de Gaza de se rendre au congrès.
6) Le président de l'Autorité a volontairement omis de mentionner les Palestiniens de 48 en tant que partie intégrante du peuple palestinien. Cette posture dangereuse montre bien que Abbas considère que nos positions "extrémistes" en tant que Palestiniens de 48, nuisent à la solution du problème palestinien. De plus, elle est dans la droite ligne israélienne officielle qui nous considère comme un ramassis de tribus et de confessions. En fait, Abbas a déclaré au monde entier et à la face des députés arabes de la Knesset qui ont participé à l'inauguration du congrès (Mohammad Barakeh, Talab el Saneh et Ahmad al Tibi), la rupture officielle avec les Palestiniens de l'intérieur. Il est donc temps d'affirmer, pour ceux qui ont oublié ou fait semblant d'oublier, que le mouvement national palestinien, et plus précisément l'organisation de libération de la Palestine, a adopté depuis les accords d'Oslo, une stratégie fautive qui impose aux Palestiniens de 48 d'accepter tous les accords négociés avec l'État hébreu, notamment les accords d'Oslo qui les ont exclus comme ils ont exclu l'ensemble des réfugiés. La preuve la plus évidente en est que les négociateurs d'Oslo ont accepté la condition israélienne de ne pas libérer les prisonniers politiques de l'intérieur sur le fondement qu'ils sont des citoyens traîtres à leur nation accusés de collusion avec l'ennemi, qui est depuis devenu un ami, en temps de guerre. De plus, les Palestiniens de 48 continuent, jusqu'ici, à faire l'objet d'une marginalisation totale par rapport à la solution du problème palestinien, en raison, entre autres, de l'incapacité regrettable de certains dirigeants arabes de l'intérieur qui se sont abstenus, pour des raisons objectives ou personnelles, de participer à la construction de la décision nationale palestinienne, en dépit du fait qu'ils sont aussi des victimes de la Nakba..
Il est temps pour les partis et dirigeants de l'intérieur de revoir la notion de participation à l'élaboration de la solution du problème palestinien. En réponse à cette marginalisation, nous disons à Monsieur Abbas, au Fatah, aux Arabes et aux autres, que nous n'avons besoin ni de certificat d'affiliation ni d'acceptation de personne pour continuer à faire partie de la nation arabe et du peuple palestinien. Et nous affirmons à tous ceux qui veulent l'entendre que nous sommes nés en Palestine et que nous demeurons attachés à notre appartenance à notre peuple et que nous refusons de devenir les Arabes d'Israël et que ni le Fatah, ni l'Autorité incomplète, ni l'OLP ne peuvent compter, comme ils l'ont fait jusqu'à présent sur notre accord implicite dans aucune négociation faite en notre nom.
Conclusion : Puisque Monsieur Abbas a mentionné dans son discours le président Gamal Abdel Nasser, rappelons-lui la célèbre déclaration du regretté président egyptien : "Les peuples qui transigent avec l'impérialisme au sujet de leur liberté ratifient en même temps leur contrat d'esclavage".
Source : arabe 48