Entretien avec Qadoura Fares
Le dernier congrès du Fatah s’est tenu il y a vingt ans. Qu’est-ce qui a amené l’organisation de cette conférence ?
Qadoura Fares. Pourquoi maintenant ? C’est comme ça. L’unité du mouvement était en danger si la direction continuait à reporter sans cesse la tenue de ce congrès.
Quels sont les principaux points qui seront discutés durant ce congrès ?
Qadoura Fares. L’ordre du jour du congrès est riche. Mais je pense que le plus important pour nous est de réévaluer notre agenda politique au regard de la crise politique que traverse le processus de paix. En face de nous, nous n’avons qu’un gouvernement israélien extrémiste. Il n’y a pas de négociations. D’autre part, il est important d’examiner les structures de l’organisation, les procédures de décision à l’intérieur du mouvement et, bien sûr, d’élire une nouvelle direction.
Farouk Kadoumi, qui est à la tête du Fatah (mais qui se trouve à Tunis et ne viendra pas au congrès), a lancé de graves accusations contre Mahmoud Abbas et Mohammed Dahlan, il y a quelques jours, les impliquant dans « l’assassinat » de Yasser Arafat. Quel est votre sentiment ?
Qadoura Fares. Farouk Kadoumi a fait une erreur. Il a utilisé des documents fournis par des médias. Mais il ne représente pas la majorité et pas même une petite minorité au sein du mouvement. Il a fait cela pour des raisons personnelles, pas pour renforcer ou développer le mouvement.
Comment avez-vous préparé ce congrès, sachant qu’il apparaît qu’à l’intérieur du Fatah tout le monde n’est pas sur la même longueur d’ondes ?
Qadoura Fares. Concernant la préparation, il y a eu pas mal d’obstacles. D’une part, le Hamas a empêché nos cadres de la bande de Gaza de participer au congrès. D’autre part, j’estime que le comité préparatoire du congrès a fait un certain nombre d’erreurs. Ceux qui y participaient n’avaient pas en tête - et donc n’ont pas pris en compte, comme s’ils ne s’en souvenaient pas - le fait que ce congrès est le premier depuis vingt ans. ce qui veut dire que pour beaucoup de cadres du mouvement, c’est la première fois qu’ils ont l’opportunité de participer à un tel congrès. C’est d’ailleurs leur droit. Mais leur nom même n’a pas été mentionné. Ce qui revient à les empêcher de prendre toute leur part dans le congrès et dans les débats. Résultat, beaucoup de cadres sont en colère.
Quelle sera votre attitude durant le congrès ? Vous ferez-vous le porte-parole de Marwan Barghouti ?
Qadoura Fares. Je suis certain qu’il y aura un consensus autour de Marwan Barghouti dans les rangs du Fatah. Les délégués au congrès auront à coeur de l’élire au comité central du Fatah. Plusieurs autres proches de Marwan seront également candidats pour l’élection du comité central.
Quelles sont vos orientations ? En quoi se distinguent-elles de celles de Mahmoud Abbas ?
Qadoura Fares. Nous pensons d’abord que le mouvement, le Fatah, doit être beaucoup plus actif pour être à l’initiative. Il faut changer la mentalité du mouvement, pas seulement la politique que nous avons menée depuis vingt ans. Tout doit être changé, en fait. Nous ne pouvons pas poursuivre les négociations alors que la colonisation se poursuit dans les territoires palestiniens, qu’Israël ne reconnaît pas, dans ses principes, nos droits nationaux. Dans ces conditions, on ne peut pas continuer à négocier. Cela ne rime à rien. C’est juste utile pour l’occupation, pas pour le peuple palestinien.
Comment comptez-vous renforcer votre position au sein du Fatah ?
Qadoura Fares. Pour être franc, nous n’avons aucun représentant au sein du comité préparatoire au congrès. Il y a eu de nombreux problèmes. Ils ont mis en place les cadres qui leur sont favorables, qui voteront pour eux. Malgré cela, nous avons décidé de participer au congrès. Nous ferons de notre mieux pour faire avancer nos idées et les faire partager par le plus grand nombre.
Pensez-vous nécessaire de changer le comité central du Fatah ?
Qadoura Fares. Il le faut. Peut-être ne parviendrons-nous pas à changer tous les membres du comité central. Mais je pense que la majorité sera remplacée.
Est-ce que quelqu’un, au sein de la tendance que vous représentez, entend présenter sa candidature à la tête du Fatah ?
Qadoura Fares. Le congrès est souverain sur la question du secrétaire général. Il sera bien évidemment amené à discuter de cette question. Mais je pense qu’Abou Mazen (Mahmoud Abbas) continuera à être le leader du mouvement.
Comment l’idée même de résistance doit-elle être portée par le Fatah ?
Qadoura Fares. Nous sommes, en tant que Fatah, les fondateurs de la résistance du peuple palestinien [1]. Nous devons continuer notre résistance jusqu’à la victoire. Mais, bien sûr, il y a de nombreuses questions qui se posent, notamment celle de savoir quel type de résistance il faut développer. Je tiens à souligner que nous préférerions retourner à la table des négociations et qu’Israël reconnaisse nos droits. Mais si ce n’est pas possible, le peuple palestinien ne doit pas abandonner son droit à résister. C’est le droit de tout peuple dans le monde d’avoir la liberté, le droit à l’autodétermination, de construire un État indépendant.
Qu’est-ce que le Fatah doit faire, selon vous, pour reconstruire l’unité palestinienne ?
Qadoura Fares. Tout en reconnaissant qu’il est de notre responsabilité de retrouver cette unité, il faut toutefois souligner que nous ne pourrons parvenir seuls à une réconciliation avec le Hamas. Cette organisation a également des responsabilités qu’elle doit assumer. Elle doit partager cette volonté de réconciliation. Malheureusement, jusqu’à maintenant, l’attitude du Hamas ne montre pas une volonté de réconciliation. Mais après l’élection de notre nouvelle direction, nous reconsidérerons toutes les questions et toutes les possibilités. En sachant que le plus important est de poursuivre le dialogue et de parvenir à un accord avec le Hamas.
[1] voir, toujours dans l’Humanité :
Cinquante années d’une lutte inégale. Histoire du Fatah
Le sixième congrès du Fatah se tient à quelques mois du cinquantième anniversaire de la création du Mouvement de libération nationale palestinien.
C’était en octobre 1959 à Koweit. Un petit groupe de jeunes universitaires palestiniens qui avaient tous fait leurs études au Caire décide de créer un Mouvement de libération nationale palestinien. C’est-à-dire l’acronyme du Fatah (inversion de Hataf en arabe). Une appellation copiée sur celle du FLN algérien qui constituait alors, en pleine guerre d’indépendance de l’Algérie, un modèle pour les mouvements de libération arabes. On est un peu plus de dix ans après 1948 et la création d’Israël, ce que les Palestiniens appellent la « Nakba », la « catastrophe ». Le peuple palestinien ne se remet pas de l’exode forcé de plus de la moitié de la population de la Palestine historique, charcutée par le plan de partage de l’ONU pour faire place à l’État d’Israël.
Il est éclaté entre les divers pays arabes qui ont accueilli les milliers de réfugiés - Liban, Syrie, Jordanie, Irak, Koweit et pays du Golfe - et ceux qui vivent sous occupation, qu’elle soit israélienne, jordanienne ou égyptienne. La Cisjordanie est sous la botte jordanienne et la bande de Gaza sous la « protection » de Nasser, le président égyptien, qui se pose en libérateur de toute la nation arabe. Les deux régimes entendaient bien utiliser la cause palestinienne, considérée comme sacrée par l’ensemble de l’opinion publique arabe, au mieux de leurs intérêts respectifs.
En fait, l’embryon du futur Fatah naît et se développe au sein de la Ligue des étudiants palestiniens, constituée au Caire en 1951 et dont Yasser Arafat sera élu président en 1953. Elle regroupait des étudiants de toutes les tendances politiques. Beaucoup venaient des Frères musulmans, mouvement islamiste né en Égypte trente ans plus tôt, mais on y trouvait aussi des baasistes, des communistes, des nationalistes arabes, tous mus par la volonté de libérer la Palestine.
Parmi les fondateurs du Fatah se trouvaient Yasser Arafat, Khalil Ibrahim Wazir et Salah Khalaf (1) qui deviendront les trois grands organisateurs de la lutte armée contre Israël - mais aussi Farouk Kaddoumi, en principe toujours dirigeant en titre du Fatah mais en rupture totale avec l’Autorité palestinienne (il n’a jamais accepté les accords d’Oslo), et enfin Mahmoud Abbas, l’actuel président de cette Autorité. Il est ainsi l’un des derniers chefs historiques d’un mouvement composite qui a connu bien des vicissitudes en cinquante années de luttes.
L’idée première qui animait ces hommes était la nécessité d’utiliser la lutte armée pour libérer la Palestine de la présence israélienne. Aussi le Fatah va-t-il mettre sur pied toute une organisation militaire de fedayins (partisans) qui s’entraîneront dans des camps installés dans les pays arabes où se trouvent les réfugiés palestiniens et leurs familles. Après la guerre des Six-Jours et l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza par l’armée israélienne, le Fatah entreprend les premières opérations militaires : la bataille de Karameh en mars 1968, dont Arafat et ses feddayins sortent victorieux, sera l’un des événements fondateurs de la popularité du Fatah et de son chef, qui intègre alors l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) créée quatre ans plus tôt avec le soutien de Nasser. Arafat en prend la direction dès l’année suivante.
Les années suivantes seront celles des attaques de guérilla menées, le plus souvent sans grand succès, par les fedayins contre Israël depuis les pays limitrophes : la Jordanie d’abord, puis, après septembre noir (2), le Liban. C’est aussi le temps des attentats et des détournements d’avions, opérations menées soit par le Fatah lui-même, soit par des groupes marxistes dissidents mais membres de l’OLP comme le FDLP ou le FPLP.
Car dès cette époque s’est engagé au sein du Fatah un grand débat sur la stratégie à suivre et sur le rôle respectif de la lutte armée et de la lutte politique et diplomatique. Attentats et détournements d’avions non seulement se montrent peu efficaces, mais ils ternissent l’image du Fatah et de l’OLP, et attirent des représailles sur la population palestinienne et sur le Liban, où sont installées les organisations palestiniennes après 1970.
En 1974, Arafat, qui est à la fois chef du Fatah et de l’OLP, lance à la tribune des Nations unies une offre de négociations de paix avec Israël. Une offre qui provoquera de nouvelles scissions au sein du Fatah mais qui sera acceptée par la grande majorité. Mais si le Fatah est prêt à négocier, les dirigeants israéliens s’y refusent encore et continuent de considérer Arafat comme un chef terroriste. Il faudra attendre de longues années, une nouvelle guerre au Liban en 1982, puis l’intifada palestinienne de 1987, avant qu’elles ne commencent, après la première guerre du Golfe, en 1991.
Entre-temps, le Fatah, réfugié à Tunis depuis 1982, a tenu son cinquième congrès à Alger : en 1989, trente ans après sa création, il accepte officiellement la stratégie qu’Arafat a réussi à imposer à l’OLP l’année précédente en annonçant urbi et orbi - à Alger déjà - la création d’un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza, à côté de l’État d’Israël dont il reconnaissait ainsi le droit à l’existence dans les frontières d’avant 1967. Un changement stratégique qui fut difficile à accepter pour bien des militants et qui devait conduire à de nouvelles scissions.
Il devait déboucher sur les négociations - officielles puis secrètes - avec Israël, les accords d’Oslo et la création de l’Autorité palestinienne. Un grand espoir est né. De retour en Palestine en 1994, Arafat confie la plupart des postes dirigeants aux membres du Fatah, resté le parti dominant au sein de l’OLP. Il sera le grand vainqueur des premières élections organisées dans les territoires palestiniens en 1996.
Mais pas plus qu’il n’avait réussi à libérer la Palestine par la lutte armée, le Fatah n’a réussi à obtenir la création d’un État indépendant par la négociation. Empêtré dans la gestion administrative d’une population qui continue de subir l’occupation et ses humiliations, le Fatah est apparu de plus en plus compromis, miné par la corruption, déchiré par les rivalités, incapable d’avancées significatives vers l’indépendance. Aussi a-t-il été durement sanctionné lors des élections législatives de 2006, remportées par le Hamas. Il lui reste à tirer les leçons d’une longue et douloureuse histoire.
Françoise Germain-Robin
(1) Abou Jihad, assassiné en avril 1988 à Tunis par un commando du Mossad dirigé par Ehud Barak, et Abou Iyad, assassiné en 1991 par un agent double, toujours à Tunis.
(2) En septembre 1970, l’armée jordanienne attaque les camps de feddayins et les expulse vers le Liban. Les massacres de ce « septembre noir » ont fait entre 3 500 et 10 000 morts palestiniens.
Entretien réalisé par Pierre Barbancey