Une curieuse pièce de théâtre a eu lieu à l’extérieur du Bureau du Procureur en chef de la Cour pénale internationale à La Haye le 5 août dernier. L’attaque d’Israël sur Gaza durait déjà depuis 28 jours - un peu plus de la moitié de sa durée - et le ministre palestinien des Affaires étrangères avait sonné la charge.
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Ses collègues ministres palestiniens qui l’accompagnaient se grattaient la tête. Maliki savait quoi faire. Et cela avait déjà été fait six jours auparavant. Une requête juridique avait été soumise le 30 juillet à la CPI par le ministre palestinien de la Justice, Saleem al-Saqqa, et le Procureur général de la Cour de justice dans la bande de Gaza, Ismail Jabr.
La CPI était très intriguée. Lors de la réunion, Mme Fatou Bensouda et son procureur adjoint James Stewart, voulaient savoir si la demande qu’ils avaient reçue le 30 juillet et venant d’al-Saqqa et de Jabr avait été faite au nom de l’Autorité palestinienne.
C’était le seul obstacle juridique à lever, puisque l’Assemblée générale des Nations Unies avait voté en faveur de la Palestine pour l’intégrer en tant qu’État observateur.
Ils sont restés bouche bée quand Maliki leur a dit que al-Saqqa et Jabr n’agissaient pas sous l’autorité du gouvernement d’union nationale, l’Autorité palestinienne, ou le président Mahmoud Abbas.
Stewart a rendu compte de la réunion, dans une lettre aux avocats français, que j’ai obtenue.
Il écrit : « Le 5 août 2014, j’ai rencontré le ministre des Affaires étrangères de la Palestine, Monsieur Riad Maliki, à qui j’ai fourni les éclaircissements qu’il nous a demandés sur les différents mécanismes pour qu’un État intègre la juridiction de la CPI, et sur le cadre juridique du Statut de Rome. Lors de cette réunion, j’ai cherché à avoir la confirmation si oui ou non votre communication en date du 30 juillet 2014 avait été transmise au nom de l’Autorité palestinienne, et je n’ai eu aucune confirmation. En conséquence, il n’existe aucune base légale pour que mon bureau examine et/ou traite la communication du 30 juillet 2014 comme émanant d’un représentant de la Palestine doté des pouvoirs nécessaires pour saisir la juridiction de la Cour en vertu de l’article 12(3) du Statut. »
Le but de Maliki, en volant à La Haye alors qu’avaient lieu les bombardements israéliens dévastateurs sur Gaza, était de stopper une procédure juridique pour l’adhésion palestinienne à la CPI. Pourquoi ?
Considérons un peu la date, le 5 août. Le Hamas venait de décider d’apposer sa signature à une déclaration palestinienne pour rejoindre la CPI, courant le risque d’être lui-même l’objet d’une enquête pour crimes de guerre du fait des tirs de roquettes à l’aveuglette depuis la bande de Gaza. Cette information a été transmise à Middle East Eye [MEE] le 11 août.
Abbas savait qu’une fois la décision rendue publique, il ne pourrait pas utiliser d’autres organisations palestiniennes comme une feuille de vigne pour sa propre réticence à l’intégration à la CPI. L’initiative du Hamas l’a privé de cette excuse. Alors il envoya al-Maliki à La Haye pour tout stopper.
Encore une fois, pourquoi ? Il est difficile de répondre. La stratégie de se servir de l’adhésion à des organismes internationaux pour avancer dans la création d’un État palestinien est la sienne. Pourquoi serait-il celui qui veut tout bloquer ?
Il sait qu’Israël est vraiment préoccupé par une possible accusation de crimes de guerre et qu’il fait déjà son maximum pour empêcher que cela ne se produise. Pour tenter de prévenir une enquête de la CPI, le procureur général d’Israël et un avocat militaire mettent en place leurs propres enquêtes sur la campagne de Gaza.
Comme le New York Times l’a rapporté aujourd’hui : « Le processus d’enquête peut également être destiné à contrer les menaces par la direction palestinienne de rejoindre la Cour pénale internationale dans le but de tenir Israël pour responsable de ses actes en tant que puissance occupante. Le tribunal n’examine généralement que les cas où le pays concerné refuse ou est incapable de mener ses propres enquêtes ».
Donc Abbas tente d’’appuyer sur les freins au moment même où la signature du Traité de Rome de 2002 est une question d’urgence.
Les hauts dirigeants du Fatah soupçonnent depuis longtemps les motifs réels d’Abbas pour retarder l’adhésion à la CPI.
Abbas a toujours utilisé l’adhésion à la CPI comme une monnaie d’échange avec Israël. Un haut responsable du Fatah, Nabil Shaath, a déclaré à l’agence de nouvelles palestinienne Ma’an que Abbas réactivera sa demande à la CPI si le Conseil de sécurité de l’ONU rejette une demande de fixer un délai de trois ans pour le retrait d’Israël jusqu’à ses frontières de 1967.
En juin, un enregistrement a été divulgué dans lequel Saeb Erekat, le négociateur en chef palestinien, affirmait que M. Abbas avait promis au premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou de ne pas faire de demande d’adhésion [à la CPI].
Erekat aurait dit : « Abu Mazen [Abbas], si vous voulez faire bouger Netanyahu, préparez les documents [pour l’adhésion] aux institutions internationales. Il a répondu : J’ai pris un engagement [de ne pas intégrer d’institutions internationales]. Quel engagement avez-vous pris ? Ce n’est pas la ferme de votre famille ! Il s’agit d’une nation, c’est la Palestine. C’est plus important que les individus. Il ne m’a pas écouté. Je le jure, j’ai présenté deux fois ma démission ».
Abbas et Netanyahu se sont réunis à nouveau en secret à Amman quelques jours avant que le cessez le feu ne soit annoncé, bien que les deux parties aient nié le fait. Le seul sujet de conversation était de savoir comment empêcher le Hamas de prétendre à la victoire.
Depuis lors, M. Abbas a repris ses critiques contre le Hamas pour les défaillances du gouvernement d’unité, affirmant qu’il n’a jamais abandonné le pouvoir de ses ministres à Gaza. Là encore, c’est un curieux théâtre politique. Parce que les ministres concernés et qui sont installés à Ramallah ne se sont jamais rendus dans la bande de Gaza. Pas plus que ne l’a fait Abbas lui-même.
Dans les deux accords, celui d’unité et celui pour le cessez-le-feu, le Hamas a remis à Abbas d’importantes cartes à jouer : le Hamas a accepté que les troupes de l’Autorité de Ramallah prennent le contrôle de la frontière à Rafah avec l’Égypte, que les ministres d’Abbas - qui tous ont été nommés par le Fatah - puissent gérer les affaires de Gaza, et que M. Abbas puisse gagner du crédit avec la levée du siège si et quand un port sera ouvert et un aéroport construit.
Le Hamas a donné à Abbas la possibilité de jouer le rôle du président palestinien à Gaza même. Au lieu de cela, le président palestinien, dont le mandat a expiré depuis longtemps, essaie maintenant de jouer au chefaillon. Lutter contre la flambée de soutien palestinien au Hamas est beaucoup plus important pour lui que de mettre fin à l’impunité dont Israël bénéficie devant le droit international. Son ambition personnelle qui ne verra jamais la lumière du jour - le plan d’Abbas pour un retrait israélien de la Cisjordanie en trois ans - est plus importante que la justice.
Abbas agit cependant de manière cohérente. Il traite la demande d’adhésion à la CPI exactement de la même façon qu’il a traité l’enquête Goldstone, c’est-à-dire en tentant de s’y opposer.
Rappelez-vous l’indignation soulevée quand l’Autorité palestinienne, sous la pression des États-Unis et d’Israël, avait brusquement gelé le transfert devant la CPI du rapport Goldstone, qui accusait Israël et le Hamas de crimes de guerre. L’Autorité palestinienne avait initialement demandé au Conseil des droits de l’homme [CDH] des Nations Unies de renvoyer la question au Conseil de sécurité de l’ONU, ce qui pouvait, en théorie, conduire à demander à la CPI d’ouvrir une procédure juridique pour crimes de guerre.
Plus tard, les journaux palestiniens ont révélé la raison pour laquelle ce blocage était advenu. Le sénateur George Mitchell avait présenté à Erekat un document contenant des formulations réduisant à néant la possibilité de poursuivre devant la CPI les responsables israéliens pour les crimes de guerre commis à Gaza. Le document de Mitchell disait : « L’AP aidera à promouvoir un climat positif propice à des négociations ; en particulier au cours des négociations, elle s’abstiendra de poursuivre ou de soutenir toute initiative, directement ou indirectement, dans les forums juridiques internationaux qui pourraient nuire à l’atmosphère [des négociations] ».
Erekat, Abbas et l’Autorité palestinienne ont accepté cela et avaient alors convenu d’appeler à un report du vote du CDH.
Les Palestiniens ne sont pas gâtés avec leurs dirigeants, mais ce n’est pas la faute de la CPI. Lorsque The Guardian a affirmé que la CPI était soumise à une pression internationale pour éviter une enquête sur les crimes de guerre, Bensouda a été à juste titre indignée.
Elle a alors écrit : « ... le Statut [de Rome] n’est pas l’un des traités que la Palestine a décidé de signer, et elle n’a pas déposé de nouvelle demande suite à la résolution de l’assemblée générale [des Nations Unies] de novembre 2012. Il est de notoriété publique que les dirigeants palestiniens sont dans un processus de consultation interne sur l’opportunité de le faire. La décision appartient à eux seuls et comme procureur de la CPI, je ne peux pas le faire pour eux. »
Ce n’est que trop vrai.
* David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il est éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, où il a précédemment occupé les postes de rédacteur associé pour la rubrique Étranger, rédacteur pour la rubrique Europe, chef du bureau de Moscou et correspondant européen et irlandais. Avant de rejoindre The Guardian, il était correspondant pour l’éducation au sein du journal The Scotsman.