- Une femme palestinienne en pleurs devant des maisons détruites dans le quartier nord de Beit Hanoun dans la bande de Gaza. - Photo : AFP/Mohammed Abed
« Palestiniens, si vous êtes prêts à laisser un instant de côté vos
monceaux de cadavres, à arrêter les jérémiades du deuil, l’affairement
hystérique autour des blessés et la recherche de chaque grand-mère
disparue parmi les ruines, et à ne pas perdre du temps à chaque bracelet
en plastique d’une petite fille qui s’entête à vouloir retrouver sa
poupée dans les gravats ; si vous êtes capables de faire cesser les
pleurs énervants des enfants et de calmer un peu les femmes qui n’ont
pas pu décider quoi sauver de la maison qui brûle et quoi y laisser ;
bref, si vous êtes capables d’être rationnels un instant, alors prêtez
attention aux quelques conseils que voici formulés pour vous.
« Avant tout, arrêtez de filmer des blessés et des morts. De toute
façon, nous ne regardons pas vos images de destruction. Nos médias à
nous sont les médias les plus responsables du monde libre. Chacun de nos
journaliste est un crieur sur le marché en gros de la viande ; chaque
annonceur un enseignant de l’enseignement spécial. Quant au monde,
c’est-à-dire l’Occident, même quand il écoute, il ne vous entend pas.
Pour lui, vous prenez place parmi toutes sortes d’images de massacres –
Pakistan, Afghanistan, Irak, Syrie – et on ne parle de vous que quand
vous tirez sur Sderot ou Ashkelon.
« Pensez un instant : de janvier à juillet 2014, nous avons tué des
dizaines d’entre vous en Cisjordanie. Et quoi ? Est-on venu se plaindre à
nous ? Imaginez – par un effort de pensée – que vous, à Tel Aviv ou à
Haïfa, disons, vous ayez tué dix civils, des Juifs : quels grands titres
pleins de soutien et de sympathie n’aurions-nous pas ! Et quelle
permission de tuer ! Pourquoi ? Parce que vous êtes les autochtones et
nous les colons dans un monde qui n’a jamais abandonné cette hiérarchie
et qui distingue parfaitement entre le sang de l’un et le sang de
l’autre. Bien sûr nous avons été un peu choqués par ce que nous avons
fait à Chadjaiya et à vos hôpitaux, aux écoles, et tous les enfants
morts mais votre sang séchera et sera oublié. Se souvenir n’est permis
qu’à nous. Votre mémoire à vous n’est que provocation.
« Comment n’avez-vous pas déjà compris cela ? Gaza est justement un
excellent exemple. Il vous est interdit de vous approcher de la
frontière alors qu’il nous est permis de la franchir. Il vous est
interdit de pêcher en mer et nous pouvons aller jusqu’à vos plages. Il
vous est interdit de travailler la terre à moins d’un kilomètre de la
frontière, alors que nous travaillons chaque centimètre jusqu’à la
frontière. Il vous est interdit d’enlever des gens de chez nous ; nous,
nous pouvons mettre en prison des gens de chez vous. Parce que nous
sommes plus forts. Nous pouvons violer n’importe quel accord, y compris
l’engagement maintenant oublié d’une jonction terrestre entre Gaza et la
Cisjordanie.
« D’ailleurs, il est depuis toujours entendu chez nous qu’un accord
conclu avec des Arabes est quelque chose de temporaire. ’Jusqu’à nouvel
ordre’ comme on dit en riant, au sein de l’armée. Nous vous avions
promis ainsi qu’aux Américains une ’quatrième phase’ [de libération de
prisonniers palestiniens] ? Oui, nous avions promis. Et qu’avez-vous
retiré de l’enlèvement et de l’assassinat de trois Juifs ? Vous avez eu
droit à ’Falaise solide’. Croyez-nous : nous savons combien vous
souffrez, nous sommes moraux, mais nous vivons au 21e siècle. Alors que
vous ? À la traîne. Sinon, nous n’irions pas au niveau du sol et vous
dans des tunnels. Ou plutôt : sinon vous ne demanderiez pas pourquoi
cela nous est permis et pas à vous.
« Cela nous est permis parce que nous sommes plus forts. Nos chars
sont meilleurs, nos avions sont meilleurs, nos missiles sont meilleurs,
notre force navale est meilleure. C’est la Loi morale, toute entière.
Nous sommes la Loi et vous êtes en dehors d’elle. Vous êtes les détenus
et nous sommes les geôliers. Peu importe ce que vous ferez ou ne ferez
pas. Peu importe que vous tiriez ou non : vous ne serez pas libres. Vous
n’aurez pas l’indépendance. Et qu’importe qui vous dirige, Mahmoud
Abbas ou Ismail Haniyeh. Berl Katznelson ou Zeev Jabotinsky : nous ne
voulons simplement pas de vous, parce que ce que nous avons déjà pris ne
nous suffit pas. Votre existence nous dérange et nous sommes prêts à
sacrifier pas mal pour vous ignorer. Et s’il est vrai que vous n’avez
nulle part où aller, cela vaut la peine que vous répétiez notre slogan :
’ce n’est pas le char qui gagnera mais l’homme soutenu financièrement
par les Etats-Unis’. »
28 juillet 2014 - Haaretz - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.haaretz.co.il/opinions/....
Traduction de l’hébreu : Michel Ghys
http://www.haaretz.co.il/opinions/....
Traduction de l’hébreu : Michel Ghys