Gaza - 6 avril 2011
Par Huwaida Arraf
Huwaida Arraf est militante pour les droits de l'homme et avocate. Elle est co-fondatrice du Mouvement International de Solidarité (ISM) et préside actuellement le Free Gaza Movement.
Aux premières heures du 31 mai 2010, la Flottille de la Liberté, un convoi civil constitué de six navires transportant environ 10.000 tonnes d'aide et près de 700 personnes venant de 35 pays, a fait route pour la Bande de Gaza et a subi une attaque mortelle des forces israéliennes. Bien que notre intention ait été de livrer les fournitures que nous transportions, qui consistaient essentiellement en matériaux de reconstruction, matériel pédagogique et équipement médical dont Israël interdit l'entrée à Gaza, nous étions plus soucieux de mettre fin à la politique illégale de blocus qui laisse les Palestiniens de Gaza dans le besoin de ce type d'aide humanitaire. La Flottille de la Liberté n'était pas notre première tentative d'affronter et de défier le blocus naval d'Israël et le verrouillage total de Gaza, et elle ne sera pas la dernière.
Le travail avait commencé quelques années avant, sur une échelle beaucoup plus modeste, lorsqu'une poignée d'individus consternés par le manque de volonté des États à faire pression sur Israël pour qu'il mette fin à sa persécution délibérée des Palestiniens de Gaza, a commencé à discuter sur ce que des gens ordinaires pouvaient faire. "Envoyons un bateau à Gaza", a suggéré un camarade activiste d'ISM-Australie. De prime abord, l'idée a semblé plutôt ridicule, car non seulement le blocus de Gaza était organisé par l'une des plus puissantes armées au monde, mais de plus nous n'avions pas de bateau, pas d'argent pour en acquérir un, et pas la moindre idée sur le sujet ! Cependant, l'optimisme et peut-être un peu de naïveté aidant, nous nous sommes mis à discuter de la manière dont nous pourrions y arriver.
Un an et demi plus tard, le 22 août 2008, 44 personnes de 17 pays sont montées à bord de deux petits bateaux de pêche à Chypre pour mettre le cap sur Gaza. De façon réaliste, aucun d'entre nous n'espérait atteindre Gaza. Ce que nous comptions faire, cependant, c'était prouver que la politique de verrouillage d'Israël n'avait rien à voir avec des questions de sécurité, comme l'affirment les dirigeants israéliens. Nos bateaux de pêche enregistrés sous pavillon grec au départ de Chypre, contrôlés par les autorités portuaires chypriotes, transportant des prothèses auditives, des ballons et des gens d'origines religieuses, culturelles et professionnelles diverses, allant de 21 à 81 ans, dont une religieuse catholique, un député grec, un professeur israélien et la belle-sœur de Tony Blair, ne constituait en aucune manière une menace pour Israël. Si Israël nous arrêtait, ce ne serait pas pour des raisons de sécurité, mais bien pour imposer l'isolement et l'étranglement de la population de Gaza.
Avant de voyager en Méditerranée, nous avons passé en revue et préparé tous les scénarios qui nous venaient à l'esprit, y compris être coulés, pris sous des tirs, bloqués et arrêtés. Nous réalisions parfaitement que notre entreprise était dangereuse. Aucun d'entre nous ne voulait être un héros ; aucun d'entre nous ne voulait mourir ; mais en même temps, nous avions foi en la nécessité et la force de ce que nous entreprenions.
Le 23 août 2008, après 32 heures en mer et plus de 30 passagers malades, y compris notre médecin et deux infirmières, nos deux petits bateaux furent les premiers à atteindre les côtes de Gaza en plus de 41 ans. Des dizaines de milliers de Palestiniens transportés de joie s'étaient rués sur le port pour nous accueillir dans une manifestation d'excitation, d'honneur et de reconnaissance qui fut une leçon d'humilité ; nous aurions dû... le monde aurait dû le faire depuis des années. Le mantra est devenu "nous avons brisé le siège." Mais nous n'avons pas brisé le siège. Nous l'avons surmonté, une fois. Nous savions que pour mettre vraiment fin à l'étranglement de Gaza par Israël, nous devrions répéter notre voyage encore et encore, jusqu'à ce que nous ouvrions effectivement une route maritime vers Gaza. C'est ce que nous avons promis au peuple de Gaza que nous ferions.
D'octobre à décembre 2008, le Free Gaza Movement, comme nous avons décidé de l'appeler, a organisé quatre autres voyages par mer à Gaza, emmenant des médecins, des avocats, des journalistes, des professeurs, des députés, un prix Nobel, et d'autres qui ne pouvaient entrer à Gaza par d'autres moyens. Nous avons aussi fait sortir de Gaza des dizaines de Palestiniens qui avaient besoin de voyager pour des raisons médicales ou pour saisir des opportunités d'études dans des pays étrangers, mais qui en étaient empêcher par Israël. Sur nos bateaux, pour la première fois, des Palestiniens ont pu sortir et rentrer librement dans leur patrie. Il commençait à nous sembler que nous avions de fait ouvert une route maritime pour Gaza, même si, malheureusement, nous étions les seuls à l'utiliser. Nous n'avions pas encore réussi à convaincre des organes plus importants, en particulier des États ou des ONG internationales aux ressources plus conséquentes que les nôtres, à nous rejoindre.
Deux jours après qu'Israël ait lancé ses attaques aériennes massives, préludes à son attaque mortelle de 22 jours sur la Bande de Gaza, le Free Gaza Movement a organisé une mission d'urgence à Gaza. Sur un petit yacht de 22 mètres que nous avons baptisé le Dignity, nous avons chargé trois tonnes de fournitures médicales et 16 bénévoles, dont quatre médecins, un membre du parlement chypriote, une ancienne membre du congrès des États-Unis et des journalistes de CNN et d'Al-Jazeera. Le 30 décembre 2008, dans la nuit noire et à 90 miles au large de Gaza, un navire de guerre israélien a éperonné trois fois notre petit bateau et l'a laissé là, au risque qu'il coule. Avec l'aide des gardes-côtes libanais, notre capitaine a pu manœuvrer le Dignity en toute sécurité jusqu'au port de Tyr, au sud Liban. Deux semaines après, nous avons réussi à obtenir un autre bateau, un ferry que nous avons baptisé le Spirit of Humanity, sur lequel nous avons chargé davantage d'aide médicale et de bénévoles. A nouveau, les bateaux de guerre israéliens nous ont attaqués, au milieu de la nuit, dans les eaux internationales. Cette fois, au lieu d'éperonner directement notre bateau, ils l'ont pratiquement fait chavirer, rendant impossible la poursuite du voyage.
Le 29 juin 2009, nous avons lancé notre huitième mission à Gaza. 21 militants pour les droits de l'homme transportant neuf tonnes de fournitures, en particulier des matériaux de reconstruction, des fournitures scolaires, des médicaments et des jouets. Le 30 juin, nous avons été encerclés par les forces navales israéliennes qui ont exigé (par radio VHF) que nous retournions à Larnaca, Chypre, ou bien ils ouvriraient le feu. Nous n'avons pas obtempéré. Nous avons continué notre route sur Gaza, affirmant tout au long du voyage que nous étions des civils non armés et que les forces israéliennes ne devaient pas faire usage de violence contre nous. Après avoir surveillé notre petit bateau pendant des heures, désactiver notre système de navigation pendant la nuit et interférer deans notre matériel de communication, des commandos israéliens armés et masqués ont brutalement arraisonné notre bateau et l'ont réquisitionné.
Après qu'Israël ait intercepté avec violence nos trois dernières tentatives d'atteindre Gaza par mer, nous avons décidé que nous devions changer de stratégie. Certains ont commencé à se poser des questions sur l'utilité de continuer à envoyer des bateaux à Gaza, mais pour nous, abandonner n'était pas une option. Nous avons refusé de nous rendre à la conclusion que la force militaire et la violence sont plus fortes que les droits pour lesquels nous luttons. Mais pour vaincre la détermination apparente d'Israël à mettre fin à nos efforts, nous devions rendre le coût de l'arraisonnement de nos bateaux beaucoup plus élevé pour Israël. C'est pourquoi, au lieu d'affrêter un petit bateau avec quelques dizaines de gens à bord et un montant symbolique de fournitures pour Gaza, il fallait envoyer une flottille.
De juillet 2009 à mai 2010, nous avons travaillé à monter cette flottille. Notre travail fut non seulement dirigé sur l'acquisition de navires et de cargaisons, mais aussi sur la construction d'un soutien et d'une implication de masse à travers le monde. Du Chili à l'Afrique du Sud, d'Inde aux États-Unis, nous avons rencontré des groupes, des syndicats, des parlementaires, des journalistes et autres individus pour leur demander d'appuyer nos efforts non violents et d'action directe pour mettre fin à l'étranglement de Gaza par Israël. Au niveau de la base populaire, les gens ont très fortement soutenu notre projet. Notre plus gros problème était de réunir les fonds pour sa réalisation. Il est compréhensible qu'on puisse préférer donner de l'argent pour l'aide humanitaire plutôt que pour l'action politique et le travail dans lesquels nous nous étions engagés. Parce que, même si nous voulions absolument emmener sur nos bateaux des fournitures à Gaza, notre mission n'était pas une mission d'aide humanitaire. Les Palestiniens ne veulent pas vivre de charité, et cela ne nous intéresse pas de perpétuer le cycle de la dépendance à l'aide qui convient certainement à Israël. Notre objectif est de combattre les politiques qui obligent les Palestiniens à avoir recours à l'aide humanitaire.
Nous avions espéré lancer la flottille dans les deux mois qui ont suivi l'attaque sur le Spirit of Humanity, mais six mois plus tard, nous n'avions toujours pas les ressources financières nous permettant d'acquérir les bateaux dont nous avions besoin. Ensuite, l'ONG turque "Insani Yardim Vakfi" (IHH) a promis des bateaux pour notre flottille. Quelques semaines plus tard, la "European Campaign to End the Siege of Gaza", "Ship to Gaza Greece", and "Ship to Gaza Sweden" nous ont rejoints. En mai 2010, nous avions notre flottille.
Le 30 mai 2010, six navires se sont donnés rendez-vous au milieu de la Méditerranée et ont fait route sur Gaza. Un septième bateau, un cargo que nous avions appelé le Rachel Corrie, était resté en arrière pendant cinq jours à cause de tentatives de sabotage. Au milieu de la nuit, la marine israélienne nous a contactés par radio et a exigé que nous rebroussions chemin. Nous avons répondu que notre intention était d'aller à Gaza, que nous étions des civils non armés transportant seulement de l'aide humanitaire, et que nous ne constituions aucune menace pour Israël, donc "ne faites pas usage de la force contre nous." Le monde entier a vu ce qui s'est passé ensuite. Israël a lancé une attaque militaire à grande échelle contre la Flottille de la Liberté alors que nous étions toujours dans les eaux internationales. Des commandos masqués et armés nous ont abordés, depuis des hélicoptères et des vedettes, à coup de grenades assourdissantes, de taser, de chiens d'attaque et de balles pour attaquer et s'emparer des six bateaux. La première chose que les soldats ont cherché ensuite fut notre équipement de communication. Notre équipement par satellite a été brouillé et nos téléphones et caméras confisqués. Puis nous avons tous été détenus pratiquement au secret pendant plusieurs jours, le temps que les Israéliens répandent leur propre version des événements. 9 de nos collègues avaient été tués par balle et 50 autres avaient été blessés cette nuit-là ; Israël a essayé de raconter au monde que nos bateaux transportaient des armes et que les soldats israéliens avaient dû se défendre. En même temps, Israël n'a jamais voulu nous rendre nos prises de vue et a refusé de coopérer avec la Mission indépendante d'enquête (Independant fact finding mission - FFM) commissionnée par le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies pour enquêter sur le raid contre la Flottille. Le rapport final de la FFM contredit toutes les allégations d'Israël, et a même trouvé des preuves suffisantes pour engager des poursuites pour homicide volontaire, torture et dommages corporels graves et intentionnels.
Nous ne sommes pas arrivés à Gaza cette nuit-là, mais le monde a enfin vu la violence et l'irrationalité d'Israël, et la nécessité que le verrouillage de Gaza prenne fin. La condamnation mondiale des actions d'Israël ainsi que des exigences fortes venant d'Europe ont obligé Israël à assouplir le blocus. Même si cet assouplissement n'est que de façade, le fait que cette action civile ait créé la pression nécessaire sur Israël pour faire cette démarche est important.
Si les autorités israéliennes pensaient que leur attaque briserait notre élan et nous effraierait, elles se sont trompées. La brutalité de l'attaque contre notre flottille a provoqué un élargissement du soutien pour notre sorte d'action directe non violente. Nous sommes en pleine organisation de la Flottille de la Liberté 2, qui doit prendre la mer à la fin du mois de mai 2011, avec deux fois plus de navires que l'année dernière. Nous sommes plus nombreux et plus forts, maintenant que des dizaines de nouvelles organisations et des milliers de gens se sont joints à notre travail. Nous ne naviguerons pas seulement pour Gaza car ce qui se passe à Gaza n'est pas séparé des violations des droits de l'homme, des lois racistes et des politiques oppressives perpétrées par Israël en Cisjordanie , à Jérusalem et même à l'intérieur des frontières de 1948. Nous naviguerons pour affronter et défier un régime d'apartheid dans son ensemble qui doit être démantelé par l'action citoyenne.
Naviguer, marcher, boycotter, désinvestir... nos actions individuelles et collectives sont une force puissante à laquelle même le plus oppressif des régimes ne peut résister. C'est pourquoi, tous les jours, demandons-nous, "Qu'est-ce que je fais pour créer le monde dans lequel je veux vivre, dans lequel je veux que mes enfants vivent ?" Et tout comme les deux petits bateaux de pêche qui sont passés malgré l'armée israélienne, soyons convaincus que nous pouvons y arriver.
Un an et demi plus tard, le 22 août 2008, 44 personnes de 17 pays sont montées à bord de deux petits bateaux de pêche à Chypre pour mettre le cap sur Gaza. De façon réaliste, aucun d'entre nous n'espérait atteindre Gaza. Ce que nous comptions faire, cependant, c'était prouver que la politique de verrouillage d'Israël n'avait rien à voir avec des questions de sécurité, comme l'affirment les dirigeants israéliens. Nos bateaux de pêche enregistrés sous pavillon grec au départ de Chypre, contrôlés par les autorités portuaires chypriotes, transportant des prothèses auditives, des ballons et des gens d'origines religieuses, culturelles et professionnelles diverses, allant de 21 à 81 ans, dont une religieuse catholique, un député grec, un professeur israélien et la belle-sœur de Tony Blair, ne constituait en aucune manière une menace pour Israël. Si Israël nous arrêtait, ce ne serait pas pour des raisons de sécurité, mais bien pour imposer l'isolement et l'étranglement de la population de Gaza.
Avant de voyager en Méditerranée, nous avons passé en revue et préparé tous les scénarios qui nous venaient à l'esprit, y compris être coulés, pris sous des tirs, bloqués et arrêtés. Nous réalisions parfaitement que notre entreprise était dangereuse. Aucun d'entre nous ne voulait être un héros ; aucun d'entre nous ne voulait mourir ; mais en même temps, nous avions foi en la nécessité et la force de ce que nous entreprenions.
Le 23 août 2008, après 32 heures en mer et plus de 30 passagers malades, y compris notre médecin et deux infirmières, nos deux petits bateaux furent les premiers à atteindre les côtes de Gaza en plus de 41 ans. Des dizaines de milliers de Palestiniens transportés de joie s'étaient rués sur le port pour nous accueillir dans une manifestation d'excitation, d'honneur et de reconnaissance qui fut une leçon d'humilité ; nous aurions dû... le monde aurait dû le faire depuis des années. Le mantra est devenu "nous avons brisé le siège." Mais nous n'avons pas brisé le siège. Nous l'avons surmonté, une fois. Nous savions que pour mettre vraiment fin à l'étranglement de Gaza par Israël, nous devrions répéter notre voyage encore et encore, jusqu'à ce que nous ouvrions effectivement une route maritime vers Gaza. C'est ce que nous avons promis au peuple de Gaza que nous ferions.
D'octobre à décembre 2008, le Free Gaza Movement, comme nous avons décidé de l'appeler, a organisé quatre autres voyages par mer à Gaza, emmenant des médecins, des avocats, des journalistes, des professeurs, des députés, un prix Nobel, et d'autres qui ne pouvaient entrer à Gaza par d'autres moyens. Nous avons aussi fait sortir de Gaza des dizaines de Palestiniens qui avaient besoin de voyager pour des raisons médicales ou pour saisir des opportunités d'études dans des pays étrangers, mais qui en étaient empêcher par Israël. Sur nos bateaux, pour la première fois, des Palestiniens ont pu sortir et rentrer librement dans leur patrie. Il commençait à nous sembler que nous avions de fait ouvert une route maritime pour Gaza, même si, malheureusement, nous étions les seuls à l'utiliser. Nous n'avions pas encore réussi à convaincre des organes plus importants, en particulier des États ou des ONG internationales aux ressources plus conséquentes que les nôtres, à nous rejoindre.
Deux jours après qu'Israël ait lancé ses attaques aériennes massives, préludes à son attaque mortelle de 22 jours sur la Bande de Gaza, le Free Gaza Movement a organisé une mission d'urgence à Gaza. Sur un petit yacht de 22 mètres que nous avons baptisé le Dignity, nous avons chargé trois tonnes de fournitures médicales et 16 bénévoles, dont quatre médecins, un membre du parlement chypriote, une ancienne membre du congrès des États-Unis et des journalistes de CNN et d'Al-Jazeera. Le 30 décembre 2008, dans la nuit noire et à 90 miles au large de Gaza, un navire de guerre israélien a éperonné trois fois notre petit bateau et l'a laissé là, au risque qu'il coule. Avec l'aide des gardes-côtes libanais, notre capitaine a pu manœuvrer le Dignity en toute sécurité jusqu'au port de Tyr, au sud Liban. Deux semaines après, nous avons réussi à obtenir un autre bateau, un ferry que nous avons baptisé le Spirit of Humanity, sur lequel nous avons chargé davantage d'aide médicale et de bénévoles. A nouveau, les bateaux de guerre israéliens nous ont attaqués, au milieu de la nuit, dans les eaux internationales. Cette fois, au lieu d'éperonner directement notre bateau, ils l'ont pratiquement fait chavirer, rendant impossible la poursuite du voyage.
Le 29 juin 2009, nous avons lancé notre huitième mission à Gaza. 21 militants pour les droits de l'homme transportant neuf tonnes de fournitures, en particulier des matériaux de reconstruction, des fournitures scolaires, des médicaments et des jouets. Le 30 juin, nous avons été encerclés par les forces navales israéliennes qui ont exigé (par radio VHF) que nous retournions à Larnaca, Chypre, ou bien ils ouvriraient le feu. Nous n'avons pas obtempéré. Nous avons continué notre route sur Gaza, affirmant tout au long du voyage que nous étions des civils non armés et que les forces israéliennes ne devaient pas faire usage de violence contre nous. Après avoir surveillé notre petit bateau pendant des heures, désactiver notre système de navigation pendant la nuit et interférer deans notre matériel de communication, des commandos israéliens armés et masqués ont brutalement arraisonné notre bateau et l'ont réquisitionné.
Après qu'Israël ait intercepté avec violence nos trois dernières tentatives d'atteindre Gaza par mer, nous avons décidé que nous devions changer de stratégie. Certains ont commencé à se poser des questions sur l'utilité de continuer à envoyer des bateaux à Gaza, mais pour nous, abandonner n'était pas une option. Nous avons refusé de nous rendre à la conclusion que la force militaire et la violence sont plus fortes que les droits pour lesquels nous luttons. Mais pour vaincre la détermination apparente d'Israël à mettre fin à nos efforts, nous devions rendre le coût de l'arraisonnement de nos bateaux beaucoup plus élevé pour Israël. C'est pourquoi, au lieu d'affrêter un petit bateau avec quelques dizaines de gens à bord et un montant symbolique de fournitures pour Gaza, il fallait envoyer une flottille.
De juillet 2009 à mai 2010, nous avons travaillé à monter cette flottille. Notre travail fut non seulement dirigé sur l'acquisition de navires et de cargaisons, mais aussi sur la construction d'un soutien et d'une implication de masse à travers le monde. Du Chili à l'Afrique du Sud, d'Inde aux États-Unis, nous avons rencontré des groupes, des syndicats, des parlementaires, des journalistes et autres individus pour leur demander d'appuyer nos efforts non violents et d'action directe pour mettre fin à l'étranglement de Gaza par Israël. Au niveau de la base populaire, les gens ont très fortement soutenu notre projet. Notre plus gros problème était de réunir les fonds pour sa réalisation. Il est compréhensible qu'on puisse préférer donner de l'argent pour l'aide humanitaire plutôt que pour l'action politique et le travail dans lesquels nous nous étions engagés. Parce que, même si nous voulions absolument emmener sur nos bateaux des fournitures à Gaza, notre mission n'était pas une mission d'aide humanitaire. Les Palestiniens ne veulent pas vivre de charité, et cela ne nous intéresse pas de perpétuer le cycle de la dépendance à l'aide qui convient certainement à Israël. Notre objectif est de combattre les politiques qui obligent les Palestiniens à avoir recours à l'aide humanitaire.
Nous avions espéré lancer la flottille dans les deux mois qui ont suivi l'attaque sur le Spirit of Humanity, mais six mois plus tard, nous n'avions toujours pas les ressources financières nous permettant d'acquérir les bateaux dont nous avions besoin. Ensuite, l'ONG turque "Insani Yardim Vakfi" (IHH) a promis des bateaux pour notre flottille. Quelques semaines plus tard, la "European Campaign to End the Siege of Gaza", "Ship to Gaza Greece", and "Ship to Gaza Sweden" nous ont rejoints. En mai 2010, nous avions notre flottille.
Le 30 mai 2010, six navires se sont donnés rendez-vous au milieu de la Méditerranée et ont fait route sur Gaza. Un septième bateau, un cargo que nous avions appelé le Rachel Corrie, était resté en arrière pendant cinq jours à cause de tentatives de sabotage. Au milieu de la nuit, la marine israélienne nous a contactés par radio et a exigé que nous rebroussions chemin. Nous avons répondu que notre intention était d'aller à Gaza, que nous étions des civils non armés transportant seulement de l'aide humanitaire, et que nous ne constituions aucune menace pour Israël, donc "ne faites pas usage de la force contre nous." Le monde entier a vu ce qui s'est passé ensuite. Israël a lancé une attaque militaire à grande échelle contre la Flottille de la Liberté alors que nous étions toujours dans les eaux internationales. Des commandos masqués et armés nous ont abordés, depuis des hélicoptères et des vedettes, à coup de grenades assourdissantes, de taser, de chiens d'attaque et de balles pour attaquer et s'emparer des six bateaux. La première chose que les soldats ont cherché ensuite fut notre équipement de communication. Notre équipement par satellite a été brouillé et nos téléphones et caméras confisqués. Puis nous avons tous été détenus pratiquement au secret pendant plusieurs jours, le temps que les Israéliens répandent leur propre version des événements. 9 de nos collègues avaient été tués par balle et 50 autres avaient été blessés cette nuit-là ; Israël a essayé de raconter au monde que nos bateaux transportaient des armes et que les soldats israéliens avaient dû se défendre. En même temps, Israël n'a jamais voulu nous rendre nos prises de vue et a refusé de coopérer avec la Mission indépendante d'enquête (Independant fact finding mission - FFM) commissionnée par le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies pour enquêter sur le raid contre la Flottille. Le rapport final de la FFM contredit toutes les allégations d'Israël, et a même trouvé des preuves suffisantes pour engager des poursuites pour homicide volontaire, torture et dommages corporels graves et intentionnels.
Nous ne sommes pas arrivés à Gaza cette nuit-là, mais le monde a enfin vu la violence et l'irrationalité d'Israël, et la nécessité que le verrouillage de Gaza prenne fin. La condamnation mondiale des actions d'Israël ainsi que des exigences fortes venant d'Europe ont obligé Israël à assouplir le blocus. Même si cet assouplissement n'est que de façade, le fait que cette action civile ait créé la pression nécessaire sur Israël pour faire cette démarche est important.
Si les autorités israéliennes pensaient que leur attaque briserait notre élan et nous effraierait, elles se sont trompées. La brutalité de l'attaque contre notre flottille a provoqué un élargissement du soutien pour notre sorte d'action directe non violente. Nous sommes en pleine organisation de la Flottille de la Liberté 2, qui doit prendre la mer à la fin du mois de mai 2011, avec deux fois plus de navires que l'année dernière. Nous sommes plus nombreux et plus forts, maintenant que des dizaines de nouvelles organisations et des milliers de gens se sont joints à notre travail. Nous ne naviguerons pas seulement pour Gaza car ce qui se passe à Gaza n'est pas séparé des violations des droits de l'homme, des lois racistes et des politiques oppressives perpétrées par Israël en Cisjordanie , à Jérusalem et même à l'intérieur des frontières de 1948. Nous naviguerons pour affronter et défier un régime d'apartheid dans son ensemble qui doit être démantelé par l'action citoyenne.
Naviguer, marcher, boycotter, désinvestir... nos actions individuelles et collectives sont une force puissante à laquelle même le plus oppressif des régimes ne peut résister. C'est pourquoi, tous les jours, demandons-nous, "Qu'est-ce que je fais pour créer le monde dans lequel je veux vivre, dans lequel je veux que mes enfants vivent ?" Et tout comme les deux petits bateaux de pêche qui sont passés malgré l'armée israélienne, soyons convaincus que nous pouvons y arriver.
Source : This week in Palestine
Traduction : MR pour ISM