lundi 30 novembre 2009 - 05h:00
Ilene R. Prusher - The Christian Science Monitor
Si le président Mahmoud Abbas de l’Autorité palestinienne, du parti Fatah au pouvoir, met à exécution sa menace de démissionner, l’homme qui, selon la constitution, devra assurer sa fonction viendra de la faction rivale, le Hamas.
Il s’appelle Aziz Dweik, il est membre dirigeant du Hamas et a été libéré d’une prison israélienne cet été, après avoir été détenu pendant trois années.
Parmi les 41 députés du Hamas - près d’un tiers du parlement palestinien - qui ont été pris dans une rafle israélienne après la capture en 2006 du soldat israélien Gilad Shalit, le Dr Dweik est l’un des plus importants. Son curriculum vitae indique qu’il maîtrise remarquablement l’anglais, qu’il possède un doctorat en urbanisme de l’université de Pennsylvanie et qu’il fut le porte-parole des 415 membres du Hamas expulsés au Liban en 1992 (rentrés rapidement avec l’aide de la pression internationale).
Saeb Erekat, négociateur en chef palestinien sous Abbas, a déclaré à plusieurs reprises ces dernières semaines que si son patron s’en allait, ce serait le tour de Dweik. Certains Palestiniens vont même plus loin en soulignant que le mandat d’Abbas ayant expiré en janvier 2009, légalement Dweik devrait le remplacer.
« Le mandat d’Abu Mazen a pris fin depuis longtemps, » dit Dweik, lors d’une conversation à son domicile à Hébron en Cisjordanie, en nommant par son patronyme le président palestinien harcelé. « S’il venait à être contesté devant un tribunal constitutionnel, je suis pratiquement sûr qu’il perdrait ».
Dweik dit de ne pas être troublé pour autant par la fonction suprême. Il s’intéresse surtout à trouver le moyen de réconcilier Fatah et Hamas, à défaut les Palestiniens ne peuvent prétendre avoir mis de l’ordre chez eux et sont par conséquent affaiblis dans les pourparlers de paix avec Israël.
En tant que membre du Hamas, mais de ceux qui ne considèrent pas la violence comme une réponse, Dweik se définit lui-même comme un pont entre l’organisation islamiste et le parti laïc du Fatah.
Deux questions retardent un accord Fatah/Hamas
L’accord de réconciliation sous médiation égyptienne et dont on répète, depuis six mois, qu’il est à portée, cet accord est effectivement proche, dit Dweik, mais il y a deux questions qui le freinent.
D’abord, le Hamas veut la réintégration de 1 000 de ses adhérents, renvoyés de leurs diverses fonctions au gouvernement ou de leurs postes d’enseignant. Ensuite, il cherche à faire libérer quelque 900 de ses membres, arrêtés par l’Autorité palestinienne dans une répression visant à imposer l’ordre public en Cisjordanie avec l’aide du coordinateur américain à la sécurité pour la Cisjordanie, le général Keith Dayton.
« Nous devons insister sur cette question [de leur libération], sinon nous trahirions notre propre peuple, » dit Dweik. « Sur les 900, 99% ne sont pas des combattants. Certains d’entre eux nous apportent une aide au moment des élections, dans nos équipes de campagne. » Bref, la raison pour le Hamas de refuser un accord qui ne les inclurait pas, c’est que ces militants de terrain resteraient enfermés et immobilisés - un problème majeur puisque l’accord de réconciliation ouvre précisément la voie à des élections.
Enfin, dit-il, alors que le Hamas accepte le principe de laisser une force de 3 000 gardes présidentiels - fidèles à Abbas - entrer à Gaza, les négociateurs du Fatah ne rendent pas la pareille en ne permettant pas à quelque organisme de sécurité du Hamas de venir en Cisjordanie.
Si le Fatah répondait à certaines de ces exigences, ce ne serait certainement pas bien vu par Israël ou la communauté internationale qui ont exigé du Hamas qu’il reconnaisse Israël et s’engage sur les précédents accords de paix pour être accepté comme un acteur politique légitime.
« Avec l’absolu, nous n’obtiendrons rien ».
Bien que profondément religieux (« Abu Mazen ne craint pas l’au-delà, mais moi si, » indique-t-il), Dweik ne souscrit pas à la théorie passionnée à laquelle s’attend l’Occident de la part d’islamistes militants.
« Il y a un proverbe arabe qui dit : si vous pouvez casser la noix avec vos doigts, vous ne devez pas la casser avec votre bouche, » dit Dweik, qui porte une barbe blanche bien taillée, et qui est le père de 7 enfants d’âge adulte, la plupart possédant leurs diplômes supérieurs. « Si nous pouvons résoudre ce conflit par des moyens pacifiques, pourquoi le faire par la violence ? »
Le défaut récurrent, dit-il, c’est que trop de gens - chez ses compatriotes et chez ses adversaires - ne veulent pas l’admettre.
« En 1948, les Arabes exigeaient l’absolu, disant que nous devions détruire Israël et libérer toute la Palestine. Israël aujourd’hui exige l’absolu en voulant maintenir la colonisation, » dit-il. « Mais quiconque exige cet absolu n’obtient jamais rien. Dans le passé, nous voulions tout, et nous n’avons absolument rien obtenu. »
Si le Hamas participait au prochain gouvernement d’union palestinien et qu’un traité de paix soit possible avec Israël, Dweik estime qu’alors l’Autorité palestinienne devra le soumettre au peuple par référendum. Mais selon la ligne dure du Hamas, un tel traité - ou tout autre pacte avec des « infidèles » - est interdit en Islam, ce qui fait qu’une trêve a plus de chances d’être proposée.
Des spécialistes en désaccord sur le rôle de Dweik
Mohammed Asad Awaiwi, professeur de sciences politiques à l’université Al-Quds à Jérusalem-Est, dit que Dweik est connu comme quelqu’un de réfléchi, de très apprécié, et même comme critiquant certaines décisions irresponsables du Hamas - et il aurait une bonne chance d’obtenir un poste au gouvernement aux prochaines élections.
« Quand Abu Mazen dit qu’il ne briguera pas un autre mandat aux prochaines élections en raison de l’échec des négociations et qu’il pourrait démissionner avant les élections, Aziz Dweik alors aurait le droit, en tant que président du Conseil législatif palestinien, de le remplacer jusqu’aux élections, » dit le DR Awaiwi. « Pourquoi le Fatah devrait-il utiliser la loi quand elle le sert, et la manipuler quand elle sert ses adversaires ? »
Bassem Zubeidi, politologue à l’université de Birzeit, voit les choses un peu différemment.
« Constitutionnellement parlant, c’est vrai, il doit succéder à Abbas, » dit Zubeidi. « Mais tout bien considéré, il n’a pas vraiment sa place à ce niveau. Pas parce que c’est un mauvais type, mais les gens ici ne voient pas le Hamas comme une option viable pour vraiment gouverner les Palestiniens. Je pense que cette question de Dweik qui prendrait la présidence n’est pas sérieuse. Elle fait partie du jeu : qui est le plus légitime ? » ; Abbas ou Dweik, ou, plus largement, le Fatah ou le Hamas ?
En outre, les différences fondamentales entre Fatah et Hamas perdurent, dit-il, sans une volonté d’accorder beaucoup.
« Je pense que rien n’est suffisamment sérieux pour boucler cet accord » dit Zubeidi. « Ils ne se comportent pas comme des gens pressés. Une part de l’enjeu est que le Hamas veut être reconnu comme un acteur légitime, et qu’Abbas subit toute sorte de pression pour ne pas l’accepter. Il est sous la pression des Israéliens et des Etats-Unis, et il y a même des pays arabes qui n’apprécieraient pas que le Hamas acquiert cette force. »
L’auteure a une maîtrise de lettres de université de Colombie, elle est diplômée de l’école de journalisme, 1993. Elle fait partie de l’équipe de journalistes qui écrivent pour The Christian Science Monitor.
Hebron, Cisjordanie occupée - le 27 novembre 2009 - The Christian Science Monitor - traduction : JPP