Entretien avec Ian Brossat
Dans quelles conditions avez-vous pu rencontrer Salah Hamouri, ce jeune prisonnier politique palestinien, qui est aussi français par sa maman ?
Ian Brossat. Il y a un mois, Alain Lhostis [1] et moi-même avions été reçus par le numéro deux de l’ambassade d’Israël à Paris pour demander la libération de Salah. J’avais alors introduit une demande officielle d’autorisation de visiter Salah à l’occasion du voyage que je projetais de faire en Israël pour participer aux cérémonies du 90e anniversaire de la fondation du Parti communiste israélien. Jeudi, à la veille de mon départ, j’ai appris que ma demande était acceptée. Je dois dire que les services consulaires français en Israël se sont démenés pour me faciliter la tâche. J’étais d’ailleurs accompagné lors de ma visite par le Consul de France à Haïfa, Jean-Christian Cottin, qui était déjà venu le voir il y a quinze jours.
Où se trouve Salah ?
Ian Brossat. À Gilboa, dans le nord-est d’Israël. Il y a là deux prisons, dont une avec uniquement des prisonniers politiques. Nous l’y avons vu pendant une heure, de 11 heures à midi, dans de bonnes conditions comparées à celles qu’on impose à sa maman : nous étions dans la même pièce que lui, nous pouvions le toucher, alors que les membres de sa famille, qui ne le voient qu’une fois tous les quinze jours, lui parlent dans un téléphone et sont séparés de lui par une vitre. Quand nous l’avons quitté, à midi, nous avons croisé sa maman, Denise, qui attendait depuis 8 heures du matin. C’est comme cela pour les familles de prisonniers palestiniens, on les oblige chaque fois à de longues heures d’attente pour un temps de visite limité à trois quarts d’heure.
Comment l’avez-vous trouvé ?
Ian Brossat. Impressionnant. Pas du tout abattu, bien au contraire. Très sympathique, combatif et déterminé. À la fois à se battre pour sa propre libération anticipée et pour celle du peuple palestinien, qui est le sien par son père. D’ailleurs, il ne dit jamais « je », mais « nous ». Il est très attaché au combat de son peuple pour la justice et le respect du droit international. Il nous a aussi beaucoup parlé de la situation des mineurs palestiniens détenus. Il nous a dit qu’ils étaient enfermés dans des conditions déplorables qui ne respectent pas même la Convention internationale des droits de l’enfant.
Et lui-même ? Comment vit-il sa détention ?
Ian Brossat. Il parle peu de lui. Il dit toujours « nous ». Cependant, il nous a dit que ses conditions de détention, certes difficiles, ne sont pas physiquement insupportables. Mais psychologiquement, c’est dur. Il y a un très gros problème d’isolement, même s’ils sont huit dans sa cellule, regroupés selon ce que les Israéliens supposent être leurs affinités politiques. Ils ont droit à cinq heures de sortie par jour et à deux livres par mois, ce qui est peu. Les livres politiques sont interdits. En revanche, on vient de les autoriser à prendre deux abonnements à des journaux et savez-vous quels journaux il a demandé ? Le Monde et l’Humanité ! Parce qu’il veut garder le contact avec la langue française et parce qu’il est très attaché à l’Humanité. Ce sont deux choses importantes pour lui : la langue française et la mobilisation du peuple français. Il sait qu’avec l’Humanité il sera en contact avec les deux. Pour l’instant, il est surtout informé par la télévision israélienne et il suit l’actualité de près : c’est lui qui m’a appris que Netanyahu serait à Paris mardi pour voir Sarkozy !
Que pense-t-il de l’attitude des autorités françaises ?
Ian Brossat. Il fait bien la différence entre les autorités et le peuple, ceux qui en France se mobilisent pour lui. Il a cité plusieurs fois le Parti communiste et l’Humanité. Il reçoit aussi beaucoup de lettres, qui lui arrivent d’ailleurs avec retard car elles ne lui sont remises qu’une fois traduites en hébreu : l’administration veut tout savoir ! Il m’a d’ailleurs demandé la permission de profiter de cette interview pour remercier tous ceux qui lui écrivent et s’excuser de ne pas répondre à tous : il n’a le droit d’envoyer que deux lettres par mois ! Il m’a dit combien ces lettres sont importantes pour lui et l’aident à tenir le coup.
Comment pense-t-il obtenir une libération anticipée qui lui a été refusée en juillet ?
Ian Brossat. Il espère la poursuite et l’amplification de la mobilisation. Il a conscience que c’est à cause d’elle que Sarkozy a commencé à bouger. Quant à exprimer des regrets, ce que le juge lui a demandé de faire [2], il n’en est pas question. « Je ne suis pas un coupable, mais une victime, m’a-t-il dit. Ce n’est pas aux victimes de demander pardon. »
[1] Conseiller de Paris, élu communiste du 10e arrondissement
[2] En juillet, le juge a refusé sa libération anticipée parce que Salah avait refusé d’exprimer des regrets. « Or, a-t-il dit, j’ai été condamné sans preuves et sans témoignage pour un crime que je n’avais ni commis ni eu l’intention de commettre. »
Entretien réalisé par Françoise Germain-Robin publié par l’Humanité