entretien avec Pierre Stambul
Vous avez été parmi les nombreuses personnes, dont des Juifs, ayant condamné cette guerre et soutenu la population de Gaza. Quel est votre sentiment par rapport à la réalisation de ce rapport ?
Une des principales causes de cette guerre qui dure depuis des décennies, c’est l’impunité des dirigeants israéliens. C’est le fait qu’à diverses périodes de l’histoire, ils ont pu violer frontalement le droit international, tuer sans procès, « nettoyer ethniquement » des territoires, interdire aux Palestiniens le retour dans leur pays, raser le Sud-Liban ou commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité à Gaza. Il n’y a jamais eu de sanctions alors que partout dans le monde, des dirigeants ou des Etats ont été sanctionnés pour moins que cela. Pour l’establishment israélien, l’absence de sanctions équivaut à un permis de tuer, au permis « d’achever la guerre de 48 » comme ils le disent si bien en « transférant » les Palestiniens au-delà du Jourdain. Faute de sanctions, les dirigeants israéliens peuvent continuer face à leur opinion publique à se considérer comme des victimes. À propos du rapport Goldstone, il faut savoir que son auteur est un Juif sud-africain réputé favorable au sionisme. Mais à la suite du travail tenace et très précis qu’il avait fait contre les criminels de guerre en ex-Yougoslavie ou au Rwanda, Richard Goldstone a fait un travail extrêmement sérieux.
Pour les Palestiniens, il y a une répétition de vexations qu’ils ont déjà subies : après la catastrophe (Naqba) de 1948, ils avaient été nombreux à témoigner, à expliquer leur souffrance ou le fait que leur expulsion avait été délibérée et organisée. Il aura fallu attendre l’ouverture des archives israéliennes et la confirmation de cette expulsion par les historiens israéliens pour qu’ils soient enfin crus. À propos des crimes commis à Gaza, tous les témoignages palestiniens ont montré que les Israéliens avaient délibérément frappé des zones civiles, massacré des réfugiés, utilisé des armes interdites, tiré contre les hôpitaux. « Propagande », répondaient les dirigeants israéliens. L’importance du rapport Goldstone, c’est qu’il confirme toutes les accusations. Et il donne une matière juridique pour inculper les dirigeants israéliens civils (Livni, Barak, Olmert …) ou militaires (Ashkénazi, Yaalon …).
Quel est votre sentiment par rapport au report de son étude par l’assemblée générale de l’ONU ?
Je partage totalement l’étonnement et la colère de toutes les ONG palestiniennes. Il y avait avec le rapport Goldstone une occasion unique de démontrer aux yeux de tous qu’Israël a un comportement d’Etat voyou. Il y avait une occasion unique de traîner en justice les responsables du massacre de Gaza. Il faut savoir que les Israéliens voyagent beaucoup et que 15% d’entre eux vivent à l’étranger. Ils sont politiquement, économiquement ou moralement extrêmement sensibles à ce qui se dit d’eux. La prise en compte du rapport Goldstone aurait pu (et aurait dû) être un tournant majeur annonçant l’isolement de ce pays et l’inculpation de ses dirigeants. On pouvait espérer que, comme Pinochet arrêté en Angleterre pour ses crimes commis au Chili, des dirigeants israéliens seraient enfin appelés à répondre de leurs crimes. On vient d’assister à un terrible gâchis, aux conséquences graves, qui nous ramène en arrière et qui offre une victoire facile à Nétanyahou.
Certains ont accusé la direction politique palestinienne de "trahison" après ce report ? Que s’est-il réellement passé selon vous pour que ce rapport ne soit pas discuté en cette date à l’assemblée générale de l’ONU ?
Il n’est pas facile pour une association juive française de dire qui sont les bons ou les mauvais Palestiniens. Mais la décision politique de l’Autorité Palestinienne de contribuer à enterrer le rapport Goldstone est à la fois une catastrophe et une faute politique majeure. Notre sentiment est partagé par toutes les ONG palestiniennes, par les milliers de manifestants qui ont essayé de défiler à Ramallah, et bien sûr par les survivants de Gaza pour qui ce report est une insulte. En privé, j’ai pu à plusieurs reprises discuter avec des dirigeants palestiniens liés à l’Autorité Palestinienne. Ils sont les premiers à dire que les concessions à sens unique, les pseudo négociations où l’on ne discute que de la sécurité de l’occupant et les négociations parrainées par les Etats-Unis, ne mènent nulle part et tournent le dos à une paix juste. En public, la seule voix qu’on entend du côté de l’Autorité Palestinienne, c’est celle d’une bourgeoisie proaméricaine qui se fait aujourd’hui traiter de « collabo » par de nombreux Palestiniens. Déjà le congrès du Fatah à Bethléem avait donné l’image assez triste de délégués, arrivant en voiture de luxe, coupés de leur peuple, insensibles à la colère montant y compris de la base de leur parti et réaffirmant une stratégie de soumission à l’Amérique. Qu’est-ce qui a dû se passer ? Les Israéliens ont dû dire que si l’Autorité appuyait le rapport Goldstone, ce serait la fin du « processus de paix ». Comme si ce processus existait. Nétanyahou a fait sa campagne électorale sur une agression « préventive » contre l’Iran en passant sous silence toute évocation de négociations. En bon héritier de Jabotinski qui fut il y a 80 ans l’idéologue de la conquête sioniste, il est pour le « transfert », c’est-à-dire l’expulsion des 5 millions de Palestiniens qui vivent en Palestine au-delà du Jourdain. Il veut tout garder : Jérusalem, les colonies, la vallée du Jourdain. Comment l’Autorité Palestinienne peut-elle faire croire à un quelconque processus de paix ? Il y a là, pour le moins, une méconnaissance complète du sionisme et de sa stratégie. On peut imaginer que l’Autorité Palestinienne joue la carte Obama en espérant qu’après le discours du Caire, celui-ci finira par faire pression sur les dirigeants israéliens. C’est l’inverse qui se passe et ce sont les Etats-Unis qui font pression sur l’Autorité Palestinienne pour qu’elle renonce sans avoir rien obtenu en échange à ce que la Justice internationale fasse appliquer le droit.
Ce qui vient de se passer est pire qu’une erreur d’analyse. Seuls le boycott, le désinvestissement, les sanctions, les poursuites juridiques contre les dirigeants, l’isolement politique, moral et économique d’Israël peuvent débloquer la situation et obliger la société israélienne à changer de cap. Avec le rapport Goldstone, cet objectif était facilité. Je ne parle pas des centaines de milliers de victimes de Gaza pour qui ce report est une horreur et une forme de négationnisme de ce qu’ils ont subi.
L’étude de ce rapport par l’assemblée générale de l’ONU aurait-elle, d’après vous, pu arriver à une condamnation de cette guerre par l’opinion publique internationale et l’institution onusienne ?
Oui, bien sûr. Depuis la guerre du Liban et encore plus depuis le massacre de gaza, les opinions publiques évoluent. On voit des associations de la société civile, des syndicats se rallier à l’idée du boycott d’Israël. Plus personne ne peut ignorer l’occupation et le maintien contre la Palestine d’une domination de forme coloniale. Plus personne ne peut ignorer que les dirigeants israéliens ont choisi la fuite en avant, l’annexion et l’occupation sans fin. Les opinions publiques ont fortement évolué alors que les gouvernements, surtout en Europe, ont fait la démarche inverse. Une condamnation juridique internationale des crimes de guerre israéliens serait le moyen d’obliger ces gouvernements à cesser ce soutien indigne, au colonialisme et à la destruction de la Palestine.
Sur l’institution onusienne, je suis personnellement critique. C’est par un vote de l’ONU que l’Etat d’Israël a été créé, mais l’ONU n’a jamais été capable d’imposer le droit au retour des Palestiniens ou l’évacuation des territoires occupés. Cette impuissance interroge.
L’étude de ce rapport aurait-il pu, comme le disent certains responsables israéliens, porter préjudice à la relance des négociations de paix ?
J’ai envie de dire, c’est quoi la paix ? Quand les dirigeants israéliens parlent de paix, ça veut dire souvent « foutez-nous la paix ». Il y a 60 ans, la grande majorité des Palestiniens a été expulsée de son pays. Négocier la paix, c’est reconnaître ce « crime fondateur » et examiner par la négociation les moyens de « réparer ». Cela ne peut se faire que sur la base du droit international et d’une totale égalité des droits dans la région. Jamais, les négociations n’ont été faites sur cette base et c’est la raison de l’échec total du processus d’Oslo. Négocier en parlant de la sécurité de l’occupant et en n’attaquant pas frontalement les questions de l’occupation, des colonies, des prisonniers ou des crimes commis ne mène nulle part. Tous les gouvernements israéliens veulent imposer comme préalable le fait accompli. Sur cette base-là, une fois de plus on exigera une capitulation des Palestiniens et s’ils refusent (comme Arafat à Taba et Camp David), on les condamnera à mort et on cherchera des dirigeants plus dociles. Ce n’est pas une « relance des négociations de paix » qu’il faut viser. C’est l’application du droit international qui fixera les bases de la négociation.
En ce qui concerne le gouvernement actuel en Israël, il est clair qu’il ne voudra jamais d’une paix qui soit autre chose qu’une capitulation. Il saura courber la tête s’il se fâche avec Obama en consolidant le fait accompli et en attendant des jours meilleurs. Négocier avec lui sans rapport de force est une illusion dangereuse.
Quelle est la position de l’Union Juive Française pour la Paix, dont vous êtes membre, par rapport à ce rapport de l’ONU ?
L’Ujfp a salué l’honnêteté et la rigueur de ce rapport. Une analyse de ce rapport figure sur notre site ujfp.org. La militante qui a écrit cette analyse avait fait partie d’une mission à Gaza juste après le massacre. Le contenu du rapport confirme complètement tout ce qu’elle-même avait pu observer et tous les témoignages reçus. L’Ujfp s’est toujours battue pour que les criminels soient jugés. Nous soutenons à la fois les initiatives symboliques comme le tribunal Russell et les recours auprès de la Cour Pénale Internationale, que ce soit à propos de la guerre du Liban ou du massacre de Gaza.
Comment qualifiez-vous les événements et les affrontements qui se déroulent, actuellement, autour de la mosquée Al Aqsa en Palestine ?
Cela fait partie de la fuite en avant des dirigeants israéliens. Ce qui se passe rappelle la provocation d’Ariel Sharon sur l’esplanade des mosquées qui avait déclenché ce qu’on appelle la deuxième Intifada. La guerre du Proche-Orient n’est pas une guerre religieuse et les fondateurs du sionisme n’étaient pas croyants pour la plupart. Mais, surtout depuis 1967, il existe en Israël un courant « national religieux », hégémonique chez les colons et représentant près d’un quart de la société israélienne. Ces intégristes font une lecture littérale de « la Bible ». Pour eux, Dieu a donné cette terre aux Juifs et les Palestiniens sont des Amalécites, ce qui signifie qu’on peut « les tuer, ainsi que leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux ». Les plus extrémistes voudraient faire sauter les mosquées pour reconstruire le temple. En fait, pour un Juif religieux, prier sur l’esplanade du temple n’a strictement aucun sens. Il s’agit, une fois de plus, de l’exploitation de la religion à des fins politiques et coloniales. Il s’agit surtout, par la provocation contre tous les Musulmans, de repousser durablement toute issue politique.
Quelles seraient les visées des autorités israéliennes quant aux travaux menés autour de ce lieu sacré ? Quelles seraient les visées de ces mêmes autorités quant à l’interdiction faite à des Palestiniens d’y accomplir leurs prières ?
Jérusalem est depuis des siècles une ville où vivent des Musulmans, des Juifs, des Chrétiens et qui abrite les lieux saints de ces trois religions. Depuis 1967, le vote par la Knesset (la Parlement israélien) de l’annexion de Jérusalem Est et l’extension de la ville qui s’étend désormais sur 4% de la Cisjordanie depuis Ramallah jusqu’à Bethléem, l’obsession des dirigeants israéliens est de « judaïser » la ville. Les destructions de maisons et l’extension des colonies intégrées dans Jérusalem sont permanentes. Les provocations sur l’esplanade des mosquées prolongent ce processus. Le même processus a déjà été à l’œuvre à Hébron où plusieurs centaines de colons extrémistes sont installés depuis de nombreuses années (sous protection permanente de l’armée israélienne) en plein cœur de la ville. On se souvient du massacre commis dans le Caveau des Patriarches et de la popularité de l’assassin parmi les colons.
Les autorités israéliennes proclament partout que Jérusalem est leur capitale (alors que la plupart des ambassades sont à Tel-Aviv) et font de Jérusalem la base arrière de l’annexion de la Cisjordanie. Pour eux, l’afflux de pèlerins musulmans est un problème et tout est fait pour limiter ou interdire leur présence.
Quant aux fouilles menées en permanence sous l’esplanade du Temple, avec le danger de graves dommages sur les Lieux Saints, elles ont aussi une cause beaucoup moins connue. Les sionistes et l’histoire officielle enseignée en Israël affirment que ce pays reconstitue l’ancien royaume unifié de David et Salomon. Or tous les archéologues (y compris les plus grands archéologues israéliens qui l’ont écrit dans le livre « La Bible Dévoilée ») ont montré qu’à l’époque de Salomon, Jérusalem n’était qu’un village et donc que cette histoire est un mythe. Il y a un enjeu idéologique pour le gouvernement israélien à prouver le contraire. D’où la multiplication des fouilles. Hélas pour eux, la réalité est têtue et ils n’ont rien trouvé.
Le président de l’Autorité Palestinienne a déclaré que les pays arabes étaient informés et consentants quant au retrait de ce rapport de l’assemblée générale de l’ONU. L’Egypte l’a contredit en annonçant que ce pays n’était pas informé. Qu’en est-il exactement, selon vous ?
Tout le monde se renvoie la balle et c’est assez consternant. Les pays arabes et en particulier l’Egypte ont eu dans la dernière période un comportement de complices de l’occupant. Il n’y aurait pas de blocus de Gaza si l’Egypte qui contrôle le passage de Rafah n’y participait pas. Les pays arabes (je parle des gouvernements, pas des peuples) pourraient faire 100 fois plus, politiquement et économiquement, s’ils étaient réellement solidaires de la Palestine. Cette duplicité est hélas ancienne et quand on examine le rôle des armées arabes pendant la guerre de 1948, on constate qu’elles se battaient pour leurs propres intérêts mais pas pour défendre la Palestine.
Dans cette affaire du rapport Goldstone, la responsabilité de l’Autorité Palestinienne ne fait pas de doute et encore une fois, c’est pire qu’une erreur. Cela tourne le dos à la nécessité absolue de la période : isoler et sanctionner l’occupant.
Pierre Stambul est membre du Bureau National de l’Union Juive Française pour la Paix
vendredi 9 octobre 2009