La brutalité des forces de la sécurité et le sentiment d’oppression unissent les Palestiniens des deux côtés de la Ligne Verte.
- Marche à Ramallah des Palestiniens en solidarité avec Jérusalem, le 14 novembre - Photo : AA
KAFR CANA, Galilée – Sous une tente, Rauf Hamdan recevait les marques de sympathie et de consolation de la part d’un flot continu de sympathisants venus lui présenter leurs condoléances suite au décès, une semaine auparavant, de son fils abattu dans la rue par la police Israélienne.
Il raconte à
Middle East Eye : « Heureusement que les caméras de surveillance ont enregistré son assassinat, autrement, la police m’accuserait de mensonge lorsque je dis que mon fils a été tué de sang-froid. La police peut prétendre ce qu’elle veut mais la vérité est à portée de tous. »
En effet, les images de vidéosurveillance qui ont filmé l’assassinat du jeune Kheir Hamdan, 22 ans, ont fait le tour des médias sociaux et ont déclenché au cours de la semaine dernière une vague de protestations qui n’est pas près de s’apaiser dans les communautés Palestiniennes dans tout Israël.
Hamdan est aussitôt devenu le symbole de la brutalité et de l’oppression israéliennes, un point commun qui réunit les expériences de 1.5 millions de citoyens Palestiniens représentant la grande minorité d’Israël avec leurs proches dans les territoires occupés de Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza.
Bien que les habitants Palestiniens soient politiquement et territorialement déconnectés, toutes ces régions bouillonnent en fait d’une rage commune et à peine refoulée qui pourrait déclencher un nouveau soulèvement, ou une Intifada.
La maison de la famille Hamdan de Kafr Cana, une ville de 22.000 Palestiniens située au nord d’Israël, près de Nazareth, est située dans une ruelle surpeuplée, pas très loin d’une église sur le site où Jésus aurait effectué son premier miracle en transformant l’eau en vin lors des noces de Cana.
Mais à l’instar du reste des communautés Palestiniennes d’Israël, Kafr Cana semble être une communauté vivant sous un semblant d’occupation.
Terre et emplois de plus en plus rares
En dépit de l’affluence des pèlerins, Kafr Cana manque considérablement d’hôtels et de grands restaurants. Les autobus Israéliens y font une visite éclair qui n’apporte aucun avantage ou bénéfice habituel du tourisme.
Wadea Awawdy, journaliste local, a souligné que la moitié des habitants de la ville étaient âgés de moins de 18 ans. Cependant, les emplois sont rares tout comme des lots de terrain où construire une maison qui constitue généralement une condition culturelle préalable pour le mariage. Pour les résidents, cette situation est volontaire.
A Kafr Cana, l’état a mis la main sur les seules réserves foncières pour le logement et l’industrie en les réaffectant à Nazareth Illit, une ville Juive construite depuis des dizaines d’années dans le but de « judaïser » Nazareth et ses environs. « Ils possèdent une immense zone industrielle sur notre terre, » confie Awawdy. « La seule chose que nous obtenons de cette zone est la pollution provoquée par l’usine de fonderie de verre. »
A travers toute la Galilée, c’est la même image de négligence et de marginalisation qui touche les Palestiniens. Exclue d’une identité israélienne significative, cette minorité se sent de plus en plus concernée et impliquée dans la même lutte des Palestiniens à travers la Ligne Verte.
A l’entrée de la maison de Hamdan, comme dans toutes les familles palestiniennes dont un membre est tué par l’armée israélienne dans les territoires occupés, un poster du martyr est exposé montrant son visage encadré par le drapeau Palestinien..
Le passage qui conduit jusqu’à la tente du deuil est orné de photos de la Mosquée d’Al-Aqsa, un lieu saint Islamique placé souvent au centre des protestations Palestiniennes dans Jérusalem-Est occupée.
Quant au père du martyr, Rauf Hamdan, 50 ans, il a enroulé son keffieh autour du cou, le foulard rendu symbole de la résistance Palestinienne par Yasser Arafat.
Visages dissimulés
La semaine dernière, ces foulards dissimulaient les visages de quelques milliers de jeunes qui ont affronté la police à Kafr Cana et partout ailleurs pour protester contre l’assassinat de Hamdan. Cela n’a pas empêché la police d’arrêter des douzaines de jeunes.
Le keffieh a également été adopté par des milliers d’enfants palestiniens dans les écoles israéliennes au cours de la semaine passée, voulant ainsi attirer les regards sur leur mode de protestation. Mercredi dernier, un membre de la Knesset, le Palestinien Basel Ghattas a soulevé un tollé lorsqu’il s’est rendu au parlement Israélien coiffé de son keffieh.
« Israël nous considère comme ses ennemis seulement parce que nous sommes Palestiniens. Notre citoyenneté ne fait aucune différence pour les forces de sécurité, » estime Rauf Hamdan.
En effet, l’analyse de Rauf Hamdan va dans le sens d’une enquête officielle sur un incident survenu quatorze ans plutôt et où la police avait tiré des balles réelles et des balles en caoutchouc sur des manifestants désarmés en Galilée au début de la Seconde Intifada. Treize civils Palestiniens avaient été tués et des centaines blessés dans ce qui a été appelé les évènements d’octobre 2000.
La Commission Or [conduite par le juge Israélien Théodore Or] avait conclu que la police Israélienne considère la minorité Palestinienne comme « un ennemi. »
Cette semaine, un des membres de cette commission et professeur émérite de l’histoire du Moyen-Orient, Shimon Shamir, a déclaré sur les ondes de la radio israélienne que le comportement de la police envers la minorité palestinienne du pays n’a fait qu’empirer au cours des dernières années.
Ceci étant, estime Awawdy, la plupart des citoyens palestiniens en conviennent, notamment en visualisant la vidéo de l’assassinat de Hamdan.
Un sac de patates
Tard dans la nuit du 7 novembre, le jeune Hamdan était à la sortie d’un magasin pour matériel électrique près de chez lui. Ses derniers moments de vie ont été filmés par des caméras de sécurité et capturés sous plusieurs angles.
Le propriétaire du magasin, Ehab Khoury, exprime son énervement et sa colère à chaque fois qu’il regarde la vidéo. A l’instar de ses concitoyens, il est indigné et outré par les séquences de la vidéo montrant Hamdan tué à bout portant après avoir été touché à la partie supérieure de son corps lorsqu’il tentait d’échapper à un fourgon de la police.
A en juger par la réaction de Khoury et les voix étouffées sous la tente où a lieu le deuil, les séquences montrant Hamdan peu après avoir été grièvement blessé, trainé sur le sol par les bras puis à l’intérieur du fourgon sont encore plus exaspérantes et plus choquantes.
« Qu’est-ce qu’il est au juste ? » s’exclame Khoury « Un citoyen ou un sac de patates ? Pourquoi n’ont-ils pas appelé une ambulance lorsqu’il était évident que sa blessure était grave ? »
La police prétend avoir tiré un coup de semonce, action démentie par les caméras montrant l’officier auteur du crime. L’une des vidéos de Khoury appuie le fait que l’officier n’avait pas tiré pour avertir et montre l’ombre de son bras levé, portant une arme. Il se tenait de l’autre côté du fourgon, hors du champ de vision de la caméra.
Cette nuit-là, une balle a brisé la fenêtre de la chambre à coucher du voisin d’Edward Khoury. C’est pour dire que ce tir de sommation s’apparente plutôt à une action menée au mépris de la sécurité des résidents vivant tout autour.
D’autres détails ont davantage enflammé les passions. La vidéo montre le fourgon de police qui passe devant la caméra pour quitter Kafr Cana, après avoir procédé, tard dans la nuit, à l’arrestation du cousin de Hamdan suite à un incident domestique. Hamdan lui-même a été aspergé de gaz poivré pendant l’arrestation.
Plusieurs seconds plus tard, Hamdan apparait sur l’enregistrement courant après le fourgon qui quitte les lieux. Tout d’un coup, le véhicule réapparait devant les caméras, ce qui laisse penser que la police a décidé de rebrousser chemin pour régler les comptes de Hamdan.
Retarder l’arrivée à l’hôpital
L’enregistrement montre le jeune tapant sur la fenêtre avec un objet que la police prétend être un couteau. Mais il s’enfuit dès que la police sort de la voiture. Selon les rapports médicaux, il a été abattu par deux balles.
Par ailleurs, le cousin rapporte que la police a roulé pendant de longues minutes loin des hôpitaux les plus proches de Nazareth avant d’opter pour un hôpital encore plus lointain, situé à Afula, rien que pour perdre des minutes cruciales qui auraient sauvé la vie de Hamdan.
« Son assassinat était prémédité, » affirme son père « La police avait quitté la zone et si elle est revenue, c’est seulement pour le tuer. »
Pour leur part, les avocats des droits de l’homme au sein de
Adalah, centre juridique pour la minorité Arabe d’Israël, sont tout à fait convaincus que Hamdan a bel et bien été « exécuté. »
Les délits d’homicide commis par la police constituent un phénomène continu depuis les 13 tués en octobre 2000, estime Jafar Farah de
Mossawa, un groupe de défense de la minorité Palestinienne.
Mossawa a identifié 35 cas de citoyens Palestiniens ayant été tués dans des conditions similaires depuis l’an 2000 par les forces de sécurité, y compris les incidents récents de Kafr Cana. C’est seulement dans trois cas que les officiers ont été reconnus coupables, mais les tribunaux ont veillé à prononcer des courtes peines à leur encontre.
« Qu’elles soient en Israël ou dans les territoires occupés, les forces de sécurité utilisant des balles réelles peuvent compter sur l’impunité lorsqu’elles tuent des civils, » souligne Farah.
Il ajoute que si la police utilise des balles réelles contre les civils, c’est parce qu’elle a obtenu « le feu vert » de la part du ministre de la police, Yitzhak Aharonovitch qui, quelque jours seulement avant l’assassinat de Hamdan, avait déclaré que les terroristes « doivent être condamnés à mort » plutôt qu’arrêtés.
Ouverture d’une enquête ? Les citoyens demeurent sceptiques
Le procureur-général Yehuda Weinstein a insisté sur l’ouverture d’une enquête par
Mahash, une commission du ministère de la justice. Toutefois, la minorité Palestinienne dans sa quasi-totalité ne s’attend pas à ce que l’enquête soit approfondie et consciencieuse.
« Je ne fais pas du tout confiance à
Mahash et je ne pense pas qu’elle réussisse à aller au fond des choses pour dévoiler la vérité, » avoue Rauf Hamdan.
Ce scepticisme est partagé par les avocats des droits de l’homme. Un rapport récent de
Adalah a noté que
Mahash a classé sans suite, entre 2011 et 2013, 93% des plaintes, y compris des cas où il y a eu des violations manifestes des règlements de police.
Avant cela,
Mahash avait été accusée de ne pas avoir proprement enquêté dans l’affaire des agents de police responsables de l’assassinat des 13 manifestants en octobre 2000. Aucun d’entre eux n’a jamais été inculpé.
Et puis, il est des signes qui révèlent que la police s’attend cette fois-ci encore au même traitement indulgent. Le Commissaire National, Yahanan Danino, a rejeté les critiques portées contre le traitement de Hamdan par la police en les qualifiant d’ « infondées » et d’« irresponsables. »
A ce titre, il faut dire que la préoccupation de la minorité palestinienne n’est pas limitée à la brutalité de la police uniquement, car la réaction politique est tout aussi troublante et inquiétante.
Dans cette perspective, Rauf Hamdan rappelle qu’aucun responsable du gouvernement n’est venu à la tente ni n’a daigné présenter des condoléances. Bien au contraire, les responsables dans le gouvernement se sont servis de la mort de Hamdan pour s’interroger encore une fois sur le statut de la minorité en tant que citoyens.
Le premier ministre Israélien, Benjamin Netanyahu et son ministre de l’économie, Naftali Bennett ont tous les deux suggéré que Hamdan était un « terroriste, » plaçant sa lutte avec la police au même niveau que les récentes attaques palestiniennes contre des civils israéliens.
Déplacement à Gaza
Plus inquiétant encore, Netanyahu a exploité la vague de colère en Galilée pour confirmer la méfiance et la suspicion grandissante de la minorité palestinienne envers les autorités israéliennes qui ne voient pas d’avenir peur eux dans un état juif.
Netanyahu a demandé au ministre de l’intérieur d’enquêter sur les manifestants de Kafr Cana et ailleurs, et de leur retirer leur citoyenneté. Il les a également exhortés à « rejoindre l’Autorité Palestinienne ou d’aller à Gaza…Israël ne placera pas d’obstacles sur leur chemin. »
Le ministre des affaires étrangères, Avigdor Lieberman, a également sauté sur l’occasion pour relancer la promotion de son plan consistant à redéfinir les frontières israéliennes dans le but d’expulser un quart de million des citoyens palestiniens. Il a déclaré : « Il est clair que la solution doit intégrer l’échange du territoire et de la population. Nous ici et eux là-bas. »
Pour Ahmed Tibi, membre de la Knesset, Netanyahu « a franchi la ligne jaune » en faisant de telles observations. Ce point de vue est partagé par le quotidien libéral
Haaretz qui l’a accusé dans un éditorial « d’exposer son visage nationaliste au public. »
Depuis le début de l’année, Netanyahu et son gouvernement ont intensifié leurs efforts pour museler les représentants de la minorité palestinienne, qu’ils soient membres du parlement ou dans d’autres instances.
Au mois de mars dernier, le seuil électoral a été augmenté pour atteindre le niveau qui empêchera les partis palestiniens d’être représentés dans le prochain parlement. Pendant ce temps, Netanyahu s’est servi des manifestations organisées en marge de l’assassinat de Hamdan pour réitérer ses plans visant à proscrire le Mouvement Islamique, la faction politique extra-parlementaire la plus populaire de la minorité.
Farah a noté que les affrontements qui ont éclaté entre la police et la minorité palestinienne se produisaient plus régulièrement et prenaient de l’intensité. « Autrefois, ces crises survenaient une fois dans les dix ans ou plus. Aujourd’hui, elles sont devenues très répétitive. Nous avons assisté aux confrontations de l’été dernier en réponse à l’attaque israélienne contre Gaza, et voilà qu’après quelques semaines seulement, elles reprennent de plus belle. »
Il y a une grande méfiance envers la police et les politiciens, mais Farah estime qu’il est peu probable que la colère se traduise pour le moment par une Intifada. « Le
leadership ici y est opposé, » souligne-t-il. « En dépit de l’atmosphère hostile qui règne dans le parlement, les tribunaux, les médias Israéliens et chez le public, il existe encore un penchant pour le recours à des solutions passant par les voies politiques et juridiques. »
Awawdy, le journaliste de Kafr Cana est cependant plus pessimiste. « Ce gouvernement nous considère, au pire, comme ses ennemis, et au mieux, comme des invités dont les droits peuvent leur être retirés à n’importe quel moment. Si les choses continuent ainsi, l’explosion ne saura tarder. Le vent souffle dans ce sens, on peut clairement le sentir. »
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Jonathan Cook a reçu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Ses derniers livres sont
Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East (Pluto Press) et
Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair (Zed Books). Voici l’adresse de son site :
http://www.jkcook.net.