Publié le 4-06-2010
La propagande qui accompagne l’attaque contre la flotille de la liberté, vise principalement à masquer la qualification juridique de cet acte, estime Me Gilles Devers, spécialiste du droit international.
Une violation jamais connue de la IV° Convention de Genève
L’attitude de l’Etat d’Israël vis-à-vis du territoire palestinien de Gaza s’analyse dans la durée comme une violation, à un niveau jamais atteint, du droit international. En droit international humanitaire, l’occupation est acceptée comme une situation temporaire, le temps nécessaire à la recherche de la paix. Mais, rien en droit ne peut justifier une occupation de plus 43 ans, sauf la volonté de laminer l’adversaire. C’est que fait Israël, devenu un lieu de culture de l’apartheid [1]. Et alors qu’au titre de la IV° Convention de Genève, la puissance occupante doit la protection à la population, Israël a imposé aux Palestiniens, fait unique dans l’histoire, un blocus économique, qui constitue une punition collective. Enfin, Israël a conduit l’opération militaire Plomb Durci en décembre 2008 - janvier 2009 [2]sur cette population qui n’avait la possibilité ni de se protéger, ni de fuir, et le blocus a été maintenu empêchant l’organisation des secours. Début 2010, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a démontré que la réponse à des besoins primaires de santé est devenue impossible.
Territoires occupés ? Non, processus de colonisation
Aussi, il ne suffit pas de parler de territoires occupés. L’occupation est devenue une politique de colonisation, à savoir l’annexion de territoires et de richesses par la force, accompagnée de punitions collectives, ce qui constituent des crimes contre l’humanité au sens de la IV° Convention de Genève et du Statut de la Cour Pénale Internationale. L’opération militaire sanglante conduite le 31 mai s’inscrit dans ce contexte.
Une question de principe, et pas de disproportion
Déjà, les explications des braves fusent de tous cotés : l’attaque a été disproportionnée ! Il en ont trop fait ! Il nous faut une enquête ! Non, avant d’ouvrir l’enquête, il faut dire l’évidence : c’est un crime de guerre car l’attaque a eu lieu dans les eaux internationales, et la flottille n’est pas partie au conflit armé. L’enquête est nécessaire, mais pour les circonstances aggravantes de violence. Soutenir que l’enquête est nécessaire pour savoir s’il y a un crime de guerre est une injure faite aux victimes.
Cela résulte de trois constats juridiques.
Application de la IV° Convention de Genève
Les faits sont intervenus dans le cadre d’un conflit international au sens du droit international humanitaire, Israël justifiant son action par rapport à la question palestinienne. De ce fait, le cadre de toute analyse est bien défini. Il est établi par la Cour Internationale de Justice, le Conseil de Sécurité et toutes les instances internationales que l’Etat d’Israël a la qualité de puissance occupante et doit respecter les obligations de la IVème Convention de Genève, qu’il a ratifiée.
La flottille n’est pas partie au conflit
Le conflit armé oppose Israël et la Palestine, et les bateaux de la flottille ne sont pas parties au conflit. Ils s’inscrivaient dans une démarche pacifiste et humanitaire visant à apporter des secours à une population victime d’un crime contre l’humanité. Vis-à-vis des combattants, se pose la question de la proportionnalité, mais pas vis-à-vis des tiers. C’est une question de principe.
Israël n’a aucune autorité dans les eaux internationales
L’agression est intervenue dans les eaux internationales. La Convention sur le droit de la mer de Montego Bay (1982) n’a pas été ratifiée par Israël, mais les dispositions garantissant en haute mer la liberté de circulation et l’interdiction pour tout Etat d’y exercer des actes militaires ont incontestablement valeur coutumières, et sont donc opposables à Israël.
Article 87
La haute mer est ouverte à tous les Etats […] Elle comporte : a) la liberté de navigation.
La haute mer est ouverte à tous les Etats […] Elle comporte : a) la liberté de navigation.
Article 88
La haute mer est affectée à des fins pacifiques.
La haute mer est affectée à des fins pacifiques.
Article 89
Aucun Etat ne peut légitimement prétendre soumettre une partie quelconque de la haute mer à sa souveraineté.
Aucun Etat ne peut légitimement prétendre soumettre une partie quelconque de la haute mer à sa souveraineté.
La violence est une circonstance aggravante, mais la violation du droit est établie du seul fait de l’intervention. Ces violations graves du droit international se sont accompagnées d’actes sanglants et sauvages, et d’inadmissibles mesures de privation de liberté. L’Etat d’Israël n’a aucun droit sur les occupants de ces bateaux attaqués en haute mer.
C’est donc une affaire de principe : parler d’enquête pour savoir s’il y a crime, c’est déjà commencer à relativiser. C’est dire que sous certaines conditions une intervention en haute mer par une puissance occupante contre un convoi humanitaire apportant des secours à la population occupée, qui se trouve soumise à un blocus économique, est une chose qui peut se discuter. Non, il n’y a pas de discussion sur le crime. Les seules discussions portent sur les circonstances aggravantes et toute la lumière doit être faite par une enquête pénale.
Mettre fin à l’impunité
Une nouvelle fois, la démonstration est faite que l’impunité encourage la commission de nouveaux crimes, avec toujours plus de désinvolture. La réponse passe par des actes politiques, souhaitons qu’ils viennent, mais il est indispensable que de telles violations du droit soient portées devant les juridictions.
La justice israélienne n’a aucune crédibilité car elle refuse l’application du droit international et conteste la notion même de territoires occupés. Israël a ratifié le Pacte onusien de 1966 sur les droits civils et politiques, mais refuse de l’appliquer dans les territoires occupés et la justice israélienne se dit incompétente pour contrôler les actes de l’armée aux motifs des contraintes de sécurité. Pour donner aux pays occidentaux des motifs faciles de dire qu’Israël est une démocratie, on a inventé une justice d’apparence, mais qui ne vaut rien dès lorsqu’elle ne reconnait pas l’autorité de la Cour Internationale de Justice.
Il est hors de question de se satisfaire de processus d’enquête incertains qui visent en réalité à éviter le principe de la condamnation. Il y a de quoi être navré quand Catherine Ashton, au nom de l’Union européenne, demande une commission d’enquête confiée à Israël [3]. La tolérance à de tels faits rend possibles toutes les agressions contre les Palestiniens, et cette affaire qui bafoue l’idée d’humanité doit être jugée par une juridiction ayant la possibilité effective de prononcer des condamnations. En 2010, on sait ce qu’est une juridiction. Nous n’avons pas à inventer le droit, mais à l’appliquer.
Selon la jurisprudence internationale, un acte relève de la qualification de crime de guerre, à partir du moment où il prend place dans un conflit armé, ce qui est le cas selon l’analyse de la CIJ, même s’il a été conduit dans un bref délai, dès lors qu’il a été d’une très forte intensité, ce qui est le cas aussi.
Les procédures pénales peuvent être engagées dans les pays dont sont originaires les victimes. Mais l’ampleur du crime, et la diversité de nationalité des victimes, peuvent conduire à préférer un procès devant une juridiction internationale.
La compétence de la Cour Pénale Internationale, suite à la déclaration de compétence faite par l’Autorité Nationale Palestinienne le 21 janvier 2009, ressort des critères généraux d’analyse, liés au principe de l’accès au juge pour les violations graves du droit, sauf à admettre le déni de droit. Mais elle se trouve ici doublée d’une compétence liée à l’immatriculation des bateaux. Sous réserve d’autres vérifications, il est établi que l’agression a concerné deux bateaux immatriculés en Grèce, deux en Turquie, et un aux îles Kiribati, donc assimilables aux territoires grecs, turcs et kiribati par application de l’article 12-2 a du traité de la CPI, qui a été ratifié par la Grèce (mais ni par la Turquie, ni par Kiribati).
La déclaration de compétence du 21 janvier 2009 n’est pas limitée à Plomb Durci. Elle est générale, et doivent être adressés à la Cour tous les éléments relatifs aux crimes commis par Israël : la colonisation, les prisonniers et maintenant, l’attaque du 31 mai 2010. La politique d’Israël est un crime, et ce crime doit être jugé.
Maintenant, il en est assez d’invoquer la justice, en souhaitant surtout que le pire ne se renouvelle pas. On voit le résultat. Nous le devons aux victimes : la justice doit punir le crime.
Gilles Devers
Avocat au barreau de Lyon (France). Porte-parole du collectif international de juristes ayant déposé une plainte devant la Cour pénale internationale pour les crimes commis à Gaza lors de l’opération Plomb durci.
[1] Lire le document de référence (en anglais) : « Occupation, Colonialism, Apartheid ? », par le Human Sciences Research Council of South Africa, Voltaire Network, 13 juillet 2009.
[2] « L’opération "Plomb durci" : une guerre israélienne est financée par l’Arabie saoudite », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 6 janvier 2009.
[3] « Declaration by Catherine Ashton on the Israeli military operation against the Flotilla », Voltaire Network, 31 mai 2010.
CAPJPO-EuroPalestine