Malgré le tumulte provoqué par le nouveau projet de loi « d’État-nation juif » passé devant le cabinet du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, le contenu raciste de ce projet fait partie intégrante de la longue histoire israélienne de marginalisation et de discrimination de la minorité palestinienne du pays.
- Femmes palestiniennes interdites d’accès au site -d’al-Aqsa par les flics de l’occupation - Photo : AFP
Ses partisans prétendent que cette loi protège « les droits de la personne de tous les citoyens [de l’État] », ignorant qu’elle ne garantit de « droits collectifs » qu’aux juifs, qui, indépendamment de leurs origines ancestrales, ont toujours été autorisés à immigrer en Israël et à en prendre la citoyenneté.
Dans le cabinet de Netayahu, le projet de loi a été adopté par un vote de 14 contre 6 et aurait suscité un débat passionné. Comme d’habitude, ce débat n’a pas porté sur les droits des citoyens palestiniens d’Israël, qui représentent 20% de la population totale, mais a été centré sur la déclaration d’indépendance de l’État et l’idéologie fondatrice du sionisme.
Pour les 1,7 millions de Palestiniens qui ont été forcés de prendre la citoyenneté israélienne et qui continuent à vivre dans ce qui est devenu Israël après la Nakba, ce projet de loi n’est rien de plus qu’Israël qui tombe enfin le masque devant le monde entier.
Indépendamment du débat suscité, cela ne signifie rien de nouveau : malgré notre citoyenneté nominale, nous avons toujours été traités en citoyens de seconde zone avec des droits limités, pour la seule raison de ne pas être nés juifs.
La discrimination dès le premier jour
Si la dernière proposition de Netanyahu est adoptée, elle ne signifiera absolument rien pour les Palestiniens où qu’ils soient - dans l’actuel Israël, les territoires palestiniens occupés et la Diaspora, où des millions de réfugiés attendent de retourner sur les terres d’où ils ont été violemment expulsés en 1948.
Pour ceux d’entre nous qui vivent dans l’Israël d’aujourd’hui, la loi est purement formelle car il y a déjà des dizaines de lois qui « imposent la discrimination contre les citoyens palestiniens d’Israël dans tous les domaines de la vie, y compris leurs droits à la participation à la vie politique, l’accès à la terre, à l’éducation , les ressources budgétaires de l’État, et les procédures pénales », comme l’explique Adalah, l’organisation de défense de nos droits.
N’était-il pas déjà évident que les Palestiniens en Israël vivent sous la même occupation que les Palestiniens en Cisjordanie - y compris Jérusalem - et dans la bande de Gaza emprisonnée ? Israël nous traite comme une « menace démographique », tout en vantant notre citoyenneté en face du monde comme une prétendue preuve de son caractère démocratique, mais en voulant dans le même temps limiter notre présence et notre influence dans la société.
Après la déclaration d’indépendance de l’État sioniste, le premier Premier ministre David Ben Gourion, consterné par le nombre de Palestiniens qui étaient parvenus à rester sur leurs terres ancestrales, a déploré qu’Israël ne soit pas en mesure de « nettoyer sans une nouvelle guerre l’ensemble de la région centrale Galilée » des 100 000 résidents palestiniens autochtones.
Mais les dirigeants israéliens ont effectivement tenté de le faire, même en temps de paix. Au cours des dernières années, le plan de démolition du village de Ramiyya en Galilée, avec l’expulsion de ses habitants, est un exemple des tentatives de faire du rêve de Ben Gourion une réalité. Comme l’a dit le professeur Hilel Cohen, de l’Université hébraïque : « Le projet de ’judaïsation de la Galilée’ a commencé lorsque l’État [d’Israël] a été fondé, et il s’est poursuivi sous diverses formes jusqu’à nos jours ».
Dans la région du Néguev, les Bédouins palestiniens de nationalité israélienne ont enduré les démolitions de maisons et se sont vus refuser les services de base comme l’eau, l’électricité et l’éducation. On estime que 53 000 hommes, femmes et enfants qui vivent dans plus de 40 villages « non reconnus » dans cette région, sont confrontés à une expulsion imminente.
Al-Araqib, par exemple, a été rasé par les bulldozers israéliens 78 fois depuis juillet 2010. Mais ses habitants refusent de partir, reviennent et reconstruisent leur village à chaque fois. N’est-il pas suffisamment clair pour eux que les dirigeants d’Israël nous ont considérés comme des citoyens de seconde classe dès le premier jour ? Et un projet de loi sur « l’État-nation » exclusivement juif, largement dépourvu de contenu pratique, peut-il encore rendre leur vie quotidienne plus difficile ?
L’opposition à la loi par les prétendus « centristes » et « libéraux » en Israël, comme le ministre des Finances Yair Lapid et la ministre de la Justice Tzipi Livni, met en évidence qu’une nouvelle fois l’establishment politique israélien débat des moyens de contrôler notre avenir sans que nous ayons le moindre mot à dire.
Un projet en échec
Néanmoins, les partis politiques palestiniens en Israël continuent de siéger en tant que députés à la Knesset. Apparemment convaincus qu’ils peuvent avoir un impact sur les lois à partir du parlement, ils continuent à lutter pour gagner nos voix et nous encouragent à les soutenir à chaque campagne électorale.
Mais ce projet s’est avéré être un échec. Bien que nous leur ayons donné l’occasion de s’exprimer à la Knesset, ils n’ont pu imposer aucune amélioration de notre quotidien. La déferlante de lois racistes n’a pas ralenti, l’incitation à la haine par les politiciens israéliens n’a fait qu’augmenter et notre capacité à nous organiser comme force politique unifiée a été entravée par les divisions internes et la concurrence entre les partis politiques arabes.
Hanin Zoabi, députée palestinienne, a récemment été expulsée de la Knesset pour une période de six mois après avoir fait observer que les Palestiniens qui avaient capturé et tué trois colons israéliens l’été dernier n’étaient pas des « terroristes ».
Maintenant, Netanyahou et ses cohortes de fachos enragés poussent en avant un nouveau projet de loi pour expulser les membres de la Knesset « qui, en temps de guerre ou lors d’une action militaire contre un État ennemi ou une organisation terroriste, affichent un soutien public à la lutte armée ». Ce projet de loi a été fort justement nommé par ses auteurs le « projet de loi Hanin Zoabi ».
La prétention d’Israël de ne pas être considéré comme un État d’apartheid a toujours compté sur le fait que les citoyens palestiniens d’Israël pouvaient voter et participer à la Knesset. Avons-nous besoin d’une preuve supplémentaire que dès le début il ne s’agissait que d’une façade ?
Avec une loi qui déclare d’emblée que cet État existe uniquement pour le peuple juif, il est grand temps que les Palestiniens en Israël abandonnent l’idée de participer à ce théâtre de l’absurde où la participation au processus politique israélien permettrait d’améliorer nos vies et ferait avancer notre cause.
Il est temps de prendre des mesures pour résoudre nos divisions politiques et renforcer les relations avec nos compatriotes dans les territoires palestiniens sous occupation et dans la Diaspora, afin de construire une lutte commune capable de poser un sérieux défi au dernier État colonial du monde contemporain.
* Waad Ghantous est palestinienne et vit à Haïfa. Elle milite dans l’organisation Al-Awda qui défend le droit au retour pour les Palestiniens chassés de la Palestine historique en 1949.