lundi 31 octobre 2011
"Nous n’avons pas
besoin de continuer à nous abaisser sur la voie de négociations racistes
qui nous discréditent. Nous sommes un peuple originaire de ce pays et
qui mérite de vivre dans son pays natal, dans la plénitude de ses droits
humains", écrit Susan ABULHAWA, palestinienne, auteur des "Matins de
Jénine", dans un article où elle appelle à l’unité et à la mobilisation
populaire.
RETOUR AUX FONDAMENTAUX EN PALESTINE - Le temps de l’unité, des synergies et de la mobilisation est venu.
Par Susan Abulhawa
"Les gens me demandent souvent laquelle des deux propositions je soutiens, celle à un état ou celle à deux états. Il semble que, dans l’esprit des gens, ce soient les deux uniques propositions. Nous gaspillons une énergie et un temps précieux à débattre des mérites de l’une par rapport à l’autre. Que vaut-il mieux ? demandons-nous : la solution à deux états – manifestement fondée sur les frontières de 1967 ; ou bien la solution à un état – qui inclurait probablement l’ensemble de la Palestine pour tous ses habitants.
Le problème fondamental avec l’une et l’autre de ces solutions est qu’elles se concentrent sur la construction politique du fait étatique. Et je pense que c’est une approche erronée.
Si nous creusons la question de ce que nous voulons véritablement, ce que nous voulons tous, et ce sur quoi nous pouvons tous nous accorder : c’est de vivre dignement dans notre propre patrie, avec l’intégralité des droits civiques et humains accordés à tous sans considération de leur religion. Je sais bien que ceci ressemble fort à la proposition d’un seul état, mais s’en différencie en ce qu’il s’agit simplement d’un appel aux droits fondamentaux. Ce n’est pas un appel pour une construction politique particulière parce que, franchement, ce à quoi ressemble la construction politique n’a pas d’importance dès lors que tous nos droits humains fondamentaux sont respectés, lesquels incluent notre droit naturel à retourner vivre dans notre propre patrie.
Ceci, à mon avis, est ce vers quoi nous devrions œuvrer. Revendiquer nos droits naturels en tant qu’êtres humains et en tant que peuple autochtone est ce qui nous unit tous. Que l’on nous accorde nos droits humains constitue notre héritage légitime. C’est la destinée légitime des êtres humains, de ne pas être assujettis, expulsés ou opprimés. L’appel de la société civile palestinienne, qui a son origine dans les Territoires Occupés, est le meilleur cadre de départ. En tout état de cause, nous avons grand besoin d’un consensus pour une revendication unifiée et intransigeante, axée sur l’objectif de la dignité humaine. Ce qui peut constituer le cadre de référence de toutes les actions que nous entreprenons.
Je dirais donc : ne pensez pas en termes de construction politique, mais en termes de droits humains. En termes de dignité humaine et de valeur humaine, non mesurées par la religion. Voilà un but qui nous unira et qui confortera nos efforts collectifs qui convergent dans le même mouvement pour la liberté.
Les échecs passés de la résistance palestinienne, et pourquoi il est temps d’abandonner les négociations.
Pour l’essentiel, la résistance palestinienne a pu se développer sur deux fronts principaux et le plus souvent exclusifs l’un de l’autre.
1.La résistance armée. Bien que nous ayons le droit de résister à l’occupation étrangère par tous les moyens possibles, y compris la résistance armée, je pense que ce n’est pas pour nous une stratégie efficace. D’abord parce que des pierres, des cocktails molotov et même des fusées artisanales n’ont aucune chance face à des blindés, des avions de guerre et aux machines de mort les plus sophistiquées que connaisse l’humanité. Ce n’est tout simplement pas une arène où nous puissions gagner aucun terrain, du fait de notre faiblesse en ce domaine. Nous sommes dépourvus de tout l’équipement militaire requis pour changer cet état de fait. Plus crucial encore, au bout du compte la résistance armée érode l’unique pouvoir le plus important que nous ayons. Comme je l’ai déjà mentionné, c’est la supériorité morale de la cause de la justice et des droits humains opposée à leur cause, qui est celle de la volonté de puissance et du désir d’une société ethno-religieusement pure.
2.L’autre voie principale sur laquelle nous a amenés la direction palestinienne a été celle des négociations. Ceci aussi est et a toujours été une approche radicalement défectueuse et moralement malsaine, parce qu’elle implique un présupposé qui nous discrédite gravement : que nos droits fondamentaux en tant qu’êtres humains, nos droits en tant que peuple autochtone de la Terre Sainte et notre liberté sont des objets négociables, comme si nos droits, garantis par tous les principes du droit international, et notre liberté, n’étaient que des arguments de négociation à échanger contre de l’eau propre ou du pain. Et pourtant, l’Autorité Palestinienne a persisté dans ce que chacun d’entre nous perçoit comme une honte. Le processus de paix n’a jamais été conçu pour aboutir à une dignité d’existence pour les Palestiniens. Il n’a jamais été envisagé pour aboutir à un état palestinien viable. Le discours de Netanyahou l’a clairement signifié. Les agissements d’Israël durant les vingt dernières années l’ont clairement signifié.
Pour quelle autre raison Israël continuerait-il, quotidiennement, à exproprier les Palestiniens et à transférer leurs terres à l’usage exclusif de Juifs, invités de toutes les parties du monde à venir accaparer ce qui ne leur appartient pas ? Pour quelle autre raison Israël poursuivrait-il imperturbablement sa politique de destructions de maisons ? Le processus de paix a toujours été une ruse pour donner à Israël davantage de temps pour s’emparer de plus, et encore plus, et encore plus, et finalement pour nous rayer de la carte. Il vous suffit de regarder comment la carte a changé à travers le temps pour constater la vérité de cette affirmation.
La carte actuelle en est la preuve. Comment ceci pourrait-il ne pas être évident pour l’Autorité Palestinienne ? En fait, même quand il a présenté la demande de reconnaissance d’un Etat, Mahmoud Abbas a fait cette déclaration ahurissante, qu’il n’y avait pas d’alternative aux négociations. Il a, en réalité, grand tort. Il n’existe dans l’histoire aucun exemple où l’on a attendu d’un peuple occupé et opprimé qu’il négocie avec ses oppresseurs pour sa liberté et ses droits humains fondamentaux.
Lorsque Nelson Mandela était en prison et que le changement a commencé à se répandre en Afrique du Sud, certains de ses camarades ont été libérés. A Nelson Mandela aussi, on a proposé un arrangement en contrepartie de sa liberté. Mandela a refusé l’offre et, dans sa lettre désormais célèbre, il a expliqué que « Seuls des hommes libres peuvent négocier ». A la fin des années 80, il était le seul de ses compagnons encore incarcéré. Son insistance inflexible sur la mise en œuvre de l’ensemble des droits humains et des libertés dans l’égalité entre noirs et blancs a été pour nous tous une inspiration et a finalement trouvé son point d’orgue en mettant l’apartheid à genoux.
De même, Rosa Parks n’a pas négocié avec le conducteur blanc ni avec les passagers blancs pour, dans ce bus, prendre sa place légitime parmi le reste de l’humanité. Elle a tenu bon, de toutes ses forces. Son insistance à être reconnue comme pleinement humaine, pleinement dotée de valeur, a inspiré le mouvement des Droits Civiques.
Martin Luther King et Malcolm X ne sont pas entrés en négociations pour supplier le gouvernement de laisser les noirs faire usage de quelques distributeurs d’eau additionnels, ou bien pour être autorisés à acheter une maison dans quelques quartiers blancs.
Et pourtant telle est précisément l’indignité que nous acceptons de subir en nous engageant dans ces négociations. En continuant à négocier pour des droits fondamentaux, nous acceptons les prémisses selon lesquelles nous ne pouvons pas avoir la pleine valeur d’êtres humains sans qu’Israël dise qu’il en est ainsi.
Notre temps est venu. Avec le Printemps arabe, avec les campagnes BDS, ISM, Free Gaza, la Flytilla, et avec la solidarité internationale qui augmente massivement, notre temps est venu.
Notre temps est venu de déclarer que seul un peuple libre peut négocier. Notre temps est venu de prendre place sur le bus et de refuser de céder notre place à quiconque. Notre temps est venu de boycotter. De désinvestir. De donner fièrement la main à tout homme disposé à se mettre de notre côté, peu importe qu’ il soit juif, chrétien, musulman, homo ou hétéro, noir ou blanc ou de toute couleur intermédiaire. Et de nous rappeler la solidarité qui nous a été témoignée, comme l’a dit un jour notre cher Edward Saïd.
Si nous continuons sur la voie de la résistance non-violente, où nous nous sommes engagés dans les Territoires Occupés et à travers le monde, et avec la solidarité en tous lieux de ceux qui sont épris de justice, je crois de tout mon être que nous finirons par être en position de dire aux Israéliens, en termes résolus et avec une vigueur qu’ils seront contraints à écouter, que nous leur souhaitons la bienvenue en tant que voisins, non comme nos maîtres.
Vous pouvez penser que ce jour-là est chimérique. Vous pourriez dire cela parce que vous avez été conditionnés à voir notre faiblesse. A voir comment nous sommes écrasés par une puissance de feu supérieure. Combien nous avons été dominés. Ou encore combien nous avons peu de poids dans les antichambres du pouvoir, en comparaison de l’immense influence qu’Israël exerce sur les pays les plus puissants. Mais se concentrer sur ces faits occulte le pouvoir que nous détenons en réalité.
J’ai lu récemment un article de quelqu’un que j’admire beaucoup et dont les propos me plaisent souvent ; mais l’article en question était l’un de ceux avec lesquels je suis en désaccord, parce qu’il renforce ce sentiment d’impuissance, qui est tout à fait nocif. L’article avait été écrit tandis que tout le monde faisait des spéculations sur le fait que l’Autorité Palestinienne irait ou non au bout de sa demande à l’ONU, et son hypothèse de départ était que, dans tous les cas de figure, Israël serait gagnant, qu’Abbas persévère ou non.
Non seulement je suis en désaccord avec ces prémisses, mais je pense que cette sorte de perspectives défaitistes nous porte réellement tort. Certes, je sais bien qu’Israël a le pouvoir de faire sauter n’importe quel président des Etats-Unis quand ils lui enjoignent de sauter ; mais je ne pense pas que, en ce moment même, Israël se perçoive beaucoup comme gagnant. Quelle humeur triomphale supposez-vous à Israël alors que le monde lui tourne le dos ? Les citoyens du monde le voient comme l’état d’apartheid qu’il est en effet, et son isolement croissant ne leur apparaît sûrement pas comme très triomphal. Et il est certain qu’il ne semble pas triomphal à Israël de perdre pour l’essentiel, dans l’intervalle d’un an, ses deux principaux alliés dans la région, l’Egypte et la Turquie.
Qui plus est, en nous supposant impuissants, nous avons permis à chaque Israélien de penser qu’il peut nous dicter notre destinée. Prenez simplement l’exemple de Benny Morris, qui voilà quelques semaines a déclaré sur Cross Talk , je cite : « Je souhaite que les Palestiniens retournent à la table des négociations, à laquelle ils ont été invités de façon réitérée, et qu’ils le fassent sérieusement, de bonne foi, et qu’ils négocient de bonne foi. S’ils ne le veulent pas, les Palestiniens vont continuer à souffrir ». Traduction : « Faites ce que veut Israël, ou bien vous continuerez à être bombardés, tués, dépossédés, opprimés, et systématiquement spoliés ». En fait, c’est ce qui se passe même quand nous négocions comme le veut Israël ; mais ce qui est significatif est que vous pouvez, dans cette déclaration, prendre la mesure du niveau d’arrogance répandue dans la société israélienne.
Nous sommes puissants et l’Histoire est de notre côté.
Même s’il est vrai que nous n’avons pas les capacités militaires et que nous sommes fort loin de l’influence qu’exerce Israël sur les élites gouvernantes des grandes nations, nous ne sommes pas dans l’impuissance.
En fait, à l’échelle internationale, nous sommes sans égal dans notre pouvoir au niveau de la base. Notre lutte pour la liberté est la plus ancienne et la mieux connue à travers le monde. Tirer parti de cet avantage est le chemin que nous devons continuer à suivre. Plaider notre cause non devant l’ONU, ou le Département d’Etat des USA, ou le Royaume Uni, ou la France, mais devant les populations du monde, c’est vers quoi notre énergie doit se concentrer.
Vers les universités qui ont souscrit au boycott académique ;
Vers les consommateurs qui ne veulent plus acheter de produits entachés de sang.
Vers les églises, les synagogues et les autres institutions religieuses qui comprennent l’impiété du nettoyage ethnique et qui s’assurent que leurs dons ne profitent pas aux crimes de guerre israéliens.
Vers les municipalités et les syndicats qui désinvestissent d’Israël leurs fonds, pour affirmer leur croyance dans la dignité humaine sans considération de religion.
Vers les artistes, musiciens, écrivains, réalisateurs de films qui ne veulent pas que leurs noms soient associé à l’apartheid israélien.
A nos camarades américains, qui refusent que leurs impôts soient dévolus au soutien exclusif de programme sociaux ethno-religieux, alors que nos écoles locales sont au bord de la faillite et que le chômage s’approche du seuil des 10%.
Sur ce chemin-là, nous ne pouvons être perdants. Vous n’avez pas à me croire sur parole. L’Histoire regorge d’exemples qui confirment mes dires. Nous n’avons pas besoin de réinventer la roue.
Et nous n’avons pas besoin de continuer à nous abaisser sur la voie de négociations racistes qui nous discréditent. Nous sommes un peuple originaire de ce pays et qui mérite de vivre dans son pays natal, dans la plénitude de ses droits humains. C’est aussi simple que cela. Quant à la nouvelle petite phrase émise par Israël (et rabâchée par l’administration Obama, le Congrès et la quasi-totalité des principaux commentateurs dans les médias) : « Il n’y a pas de raccourci vers la paix », je voudrais y opposer ces vérités : « La liberté palestinienne n’est pas négociable », et « Les droits de l’homme ne sont pas négociables ».
Notre message aura une résonance – non pas, peut-être, parmi les élites dirigeantes, mais certainement dans la société civile et parmi les gens ordinaires qui adhérent aux principes de justice et d’équité. Parce que nos revendications s’imposent avec évidence comme des vérités que nous devons suivre sans nous en excuser, sans négociations, sans compromission et sans peur.
Voilà de quelle manière, avant nous, tout mouvement de libération a atteint ses objectifs, et comment nous atteindrons les nôtres. C’est CELA – et non pas des négociations – qui représente notre voie la plus efficace pour avancer."
*Susan Abdulhawa est l’auteur de Mornings in Jenine (Matins à Jénine) et fondatrice de Playgrounds for Palestine (Aires de jeux pour la Palestine). Elle a publié le présent article, dont nous avons traduit un extrait, dans PalestineChronicle.com
(Traduit de l’anglais par Anne-Marie Perrin pour CAPJPO-EuroPalestine)
CAPJPO-EuroPalestine
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Par Susan Abulhawa
"Les gens me demandent souvent laquelle des deux propositions je soutiens, celle à un état ou celle à deux états. Il semble que, dans l’esprit des gens, ce soient les deux uniques propositions. Nous gaspillons une énergie et un temps précieux à débattre des mérites de l’une par rapport à l’autre. Que vaut-il mieux ? demandons-nous : la solution à deux états – manifestement fondée sur les frontières de 1967 ; ou bien la solution à un état – qui inclurait probablement l’ensemble de la Palestine pour tous ses habitants.
Le problème fondamental avec l’une et l’autre de ces solutions est qu’elles se concentrent sur la construction politique du fait étatique. Et je pense que c’est une approche erronée.
Si nous creusons la question de ce que nous voulons véritablement, ce que nous voulons tous, et ce sur quoi nous pouvons tous nous accorder : c’est de vivre dignement dans notre propre patrie, avec l’intégralité des droits civiques et humains accordés à tous sans considération de leur religion. Je sais bien que ceci ressemble fort à la proposition d’un seul état, mais s’en différencie en ce qu’il s’agit simplement d’un appel aux droits fondamentaux. Ce n’est pas un appel pour une construction politique particulière parce que, franchement, ce à quoi ressemble la construction politique n’a pas d’importance dès lors que tous nos droits humains fondamentaux sont respectés, lesquels incluent notre droit naturel à retourner vivre dans notre propre patrie.
Ceci, à mon avis, est ce vers quoi nous devrions œuvrer. Revendiquer nos droits naturels en tant qu’êtres humains et en tant que peuple autochtone est ce qui nous unit tous. Que l’on nous accorde nos droits humains constitue notre héritage légitime. C’est la destinée légitime des êtres humains, de ne pas être assujettis, expulsés ou opprimés. L’appel de la société civile palestinienne, qui a son origine dans les Territoires Occupés, est le meilleur cadre de départ. En tout état de cause, nous avons grand besoin d’un consensus pour une revendication unifiée et intransigeante, axée sur l’objectif de la dignité humaine. Ce qui peut constituer le cadre de référence de toutes les actions que nous entreprenons.
Je dirais donc : ne pensez pas en termes de construction politique, mais en termes de droits humains. En termes de dignité humaine et de valeur humaine, non mesurées par la religion. Voilà un but qui nous unira et qui confortera nos efforts collectifs qui convergent dans le même mouvement pour la liberté.
Les échecs passés de la résistance palestinienne, et pourquoi il est temps d’abandonner les négociations.
Pour l’essentiel, la résistance palestinienne a pu se développer sur deux fronts principaux et le plus souvent exclusifs l’un de l’autre.
1.La résistance armée. Bien que nous ayons le droit de résister à l’occupation étrangère par tous les moyens possibles, y compris la résistance armée, je pense que ce n’est pas pour nous une stratégie efficace. D’abord parce que des pierres, des cocktails molotov et même des fusées artisanales n’ont aucune chance face à des blindés, des avions de guerre et aux machines de mort les plus sophistiquées que connaisse l’humanité. Ce n’est tout simplement pas une arène où nous puissions gagner aucun terrain, du fait de notre faiblesse en ce domaine. Nous sommes dépourvus de tout l’équipement militaire requis pour changer cet état de fait. Plus crucial encore, au bout du compte la résistance armée érode l’unique pouvoir le plus important que nous ayons. Comme je l’ai déjà mentionné, c’est la supériorité morale de la cause de la justice et des droits humains opposée à leur cause, qui est celle de la volonté de puissance et du désir d’une société ethno-religieusement pure.
2.L’autre voie principale sur laquelle nous a amenés la direction palestinienne a été celle des négociations. Ceci aussi est et a toujours été une approche radicalement défectueuse et moralement malsaine, parce qu’elle implique un présupposé qui nous discrédite gravement : que nos droits fondamentaux en tant qu’êtres humains, nos droits en tant que peuple autochtone de la Terre Sainte et notre liberté sont des objets négociables, comme si nos droits, garantis par tous les principes du droit international, et notre liberté, n’étaient que des arguments de négociation à échanger contre de l’eau propre ou du pain. Et pourtant, l’Autorité Palestinienne a persisté dans ce que chacun d’entre nous perçoit comme une honte. Le processus de paix n’a jamais été conçu pour aboutir à une dignité d’existence pour les Palestiniens. Il n’a jamais été envisagé pour aboutir à un état palestinien viable. Le discours de Netanyahou l’a clairement signifié. Les agissements d’Israël durant les vingt dernières années l’ont clairement signifié.
Pour quelle autre raison Israël continuerait-il, quotidiennement, à exproprier les Palestiniens et à transférer leurs terres à l’usage exclusif de Juifs, invités de toutes les parties du monde à venir accaparer ce qui ne leur appartient pas ? Pour quelle autre raison Israël poursuivrait-il imperturbablement sa politique de destructions de maisons ? Le processus de paix a toujours été une ruse pour donner à Israël davantage de temps pour s’emparer de plus, et encore plus, et encore plus, et finalement pour nous rayer de la carte. Il vous suffit de regarder comment la carte a changé à travers le temps pour constater la vérité de cette affirmation.
La carte actuelle en est la preuve. Comment ceci pourrait-il ne pas être évident pour l’Autorité Palestinienne ? En fait, même quand il a présenté la demande de reconnaissance d’un Etat, Mahmoud Abbas a fait cette déclaration ahurissante, qu’il n’y avait pas d’alternative aux négociations. Il a, en réalité, grand tort. Il n’existe dans l’histoire aucun exemple où l’on a attendu d’un peuple occupé et opprimé qu’il négocie avec ses oppresseurs pour sa liberté et ses droits humains fondamentaux.
Lorsque Nelson Mandela était en prison et que le changement a commencé à se répandre en Afrique du Sud, certains de ses camarades ont été libérés. A Nelson Mandela aussi, on a proposé un arrangement en contrepartie de sa liberté. Mandela a refusé l’offre et, dans sa lettre désormais célèbre, il a expliqué que « Seuls des hommes libres peuvent négocier ». A la fin des années 80, il était le seul de ses compagnons encore incarcéré. Son insistance inflexible sur la mise en œuvre de l’ensemble des droits humains et des libertés dans l’égalité entre noirs et blancs a été pour nous tous une inspiration et a finalement trouvé son point d’orgue en mettant l’apartheid à genoux.
De même, Rosa Parks n’a pas négocié avec le conducteur blanc ni avec les passagers blancs pour, dans ce bus, prendre sa place légitime parmi le reste de l’humanité. Elle a tenu bon, de toutes ses forces. Son insistance à être reconnue comme pleinement humaine, pleinement dotée de valeur, a inspiré le mouvement des Droits Civiques.
Martin Luther King et Malcolm X ne sont pas entrés en négociations pour supplier le gouvernement de laisser les noirs faire usage de quelques distributeurs d’eau additionnels, ou bien pour être autorisés à acheter une maison dans quelques quartiers blancs.
Et pourtant telle est précisément l’indignité que nous acceptons de subir en nous engageant dans ces négociations. En continuant à négocier pour des droits fondamentaux, nous acceptons les prémisses selon lesquelles nous ne pouvons pas avoir la pleine valeur d’êtres humains sans qu’Israël dise qu’il en est ainsi.
Notre temps est venu. Avec le Printemps arabe, avec les campagnes BDS, ISM, Free Gaza, la Flytilla, et avec la solidarité internationale qui augmente massivement, notre temps est venu.
Notre temps est venu de déclarer que seul un peuple libre peut négocier. Notre temps est venu de prendre place sur le bus et de refuser de céder notre place à quiconque. Notre temps est venu de boycotter. De désinvestir. De donner fièrement la main à tout homme disposé à se mettre de notre côté, peu importe qu’ il soit juif, chrétien, musulman, homo ou hétéro, noir ou blanc ou de toute couleur intermédiaire. Et de nous rappeler la solidarité qui nous a été témoignée, comme l’a dit un jour notre cher Edward Saïd.
Si nous continuons sur la voie de la résistance non-violente, où nous nous sommes engagés dans les Territoires Occupés et à travers le monde, et avec la solidarité en tous lieux de ceux qui sont épris de justice, je crois de tout mon être que nous finirons par être en position de dire aux Israéliens, en termes résolus et avec une vigueur qu’ils seront contraints à écouter, que nous leur souhaitons la bienvenue en tant que voisins, non comme nos maîtres.
Vous pouvez penser que ce jour-là est chimérique. Vous pourriez dire cela parce que vous avez été conditionnés à voir notre faiblesse. A voir comment nous sommes écrasés par une puissance de feu supérieure. Combien nous avons été dominés. Ou encore combien nous avons peu de poids dans les antichambres du pouvoir, en comparaison de l’immense influence qu’Israël exerce sur les pays les plus puissants. Mais se concentrer sur ces faits occulte le pouvoir que nous détenons en réalité.
J’ai lu récemment un article de quelqu’un que j’admire beaucoup et dont les propos me plaisent souvent ; mais l’article en question était l’un de ceux avec lesquels je suis en désaccord, parce qu’il renforce ce sentiment d’impuissance, qui est tout à fait nocif. L’article avait été écrit tandis que tout le monde faisait des spéculations sur le fait que l’Autorité Palestinienne irait ou non au bout de sa demande à l’ONU, et son hypothèse de départ était que, dans tous les cas de figure, Israël serait gagnant, qu’Abbas persévère ou non.
Non seulement je suis en désaccord avec ces prémisses, mais je pense que cette sorte de perspectives défaitistes nous porte réellement tort. Certes, je sais bien qu’Israël a le pouvoir de faire sauter n’importe quel président des Etats-Unis quand ils lui enjoignent de sauter ; mais je ne pense pas que, en ce moment même, Israël se perçoive beaucoup comme gagnant. Quelle humeur triomphale supposez-vous à Israël alors que le monde lui tourne le dos ? Les citoyens du monde le voient comme l’état d’apartheid qu’il est en effet, et son isolement croissant ne leur apparaît sûrement pas comme très triomphal. Et il est certain qu’il ne semble pas triomphal à Israël de perdre pour l’essentiel, dans l’intervalle d’un an, ses deux principaux alliés dans la région, l’Egypte et la Turquie.
Qui plus est, en nous supposant impuissants, nous avons permis à chaque Israélien de penser qu’il peut nous dicter notre destinée. Prenez simplement l’exemple de Benny Morris, qui voilà quelques semaines a déclaré sur Cross Talk , je cite : « Je souhaite que les Palestiniens retournent à la table des négociations, à laquelle ils ont été invités de façon réitérée, et qu’ils le fassent sérieusement, de bonne foi, et qu’ils négocient de bonne foi. S’ils ne le veulent pas, les Palestiniens vont continuer à souffrir ». Traduction : « Faites ce que veut Israël, ou bien vous continuerez à être bombardés, tués, dépossédés, opprimés, et systématiquement spoliés ». En fait, c’est ce qui se passe même quand nous négocions comme le veut Israël ; mais ce qui est significatif est que vous pouvez, dans cette déclaration, prendre la mesure du niveau d’arrogance répandue dans la société israélienne.
Nous sommes puissants et l’Histoire est de notre côté.
Même s’il est vrai que nous n’avons pas les capacités militaires et que nous sommes fort loin de l’influence qu’exerce Israël sur les élites gouvernantes des grandes nations, nous ne sommes pas dans l’impuissance.
En fait, à l’échelle internationale, nous sommes sans égal dans notre pouvoir au niveau de la base. Notre lutte pour la liberté est la plus ancienne et la mieux connue à travers le monde. Tirer parti de cet avantage est le chemin que nous devons continuer à suivre. Plaider notre cause non devant l’ONU, ou le Département d’Etat des USA, ou le Royaume Uni, ou la France, mais devant les populations du monde, c’est vers quoi notre énergie doit se concentrer.
Vers les universités qui ont souscrit au boycott académique ;
Vers les consommateurs qui ne veulent plus acheter de produits entachés de sang.
Vers les églises, les synagogues et les autres institutions religieuses qui comprennent l’impiété du nettoyage ethnique et qui s’assurent que leurs dons ne profitent pas aux crimes de guerre israéliens.
Vers les municipalités et les syndicats qui désinvestissent d’Israël leurs fonds, pour affirmer leur croyance dans la dignité humaine sans considération de religion.
Vers les artistes, musiciens, écrivains, réalisateurs de films qui ne veulent pas que leurs noms soient associé à l’apartheid israélien.
A nos camarades américains, qui refusent que leurs impôts soient dévolus au soutien exclusif de programme sociaux ethno-religieux, alors que nos écoles locales sont au bord de la faillite et que le chômage s’approche du seuil des 10%.
Sur ce chemin-là, nous ne pouvons être perdants. Vous n’avez pas à me croire sur parole. L’Histoire regorge d’exemples qui confirment mes dires. Nous n’avons pas besoin de réinventer la roue.
Et nous n’avons pas besoin de continuer à nous abaisser sur la voie de négociations racistes qui nous discréditent. Nous sommes un peuple originaire de ce pays et qui mérite de vivre dans son pays natal, dans la plénitude de ses droits humains. C’est aussi simple que cela. Quant à la nouvelle petite phrase émise par Israël (et rabâchée par l’administration Obama, le Congrès et la quasi-totalité des principaux commentateurs dans les médias) : « Il n’y a pas de raccourci vers la paix », je voudrais y opposer ces vérités : « La liberté palestinienne n’est pas négociable », et « Les droits de l’homme ne sont pas négociables ».
Notre message aura une résonance – non pas, peut-être, parmi les élites dirigeantes, mais certainement dans la société civile et parmi les gens ordinaires qui adhérent aux principes de justice et d’équité. Parce que nos revendications s’imposent avec évidence comme des vérités que nous devons suivre sans nous en excuser, sans négociations, sans compromission et sans peur.
Voilà de quelle manière, avant nous, tout mouvement de libération a atteint ses objectifs, et comment nous atteindrons les nôtres. C’est CELA – et non pas des négociations – qui représente notre voie la plus efficace pour avancer."
*Susan Abdulhawa est l’auteur de Mornings in Jenine (Matins à Jénine) et fondatrice de Playgrounds for Palestine (Aires de jeux pour la Palestine). Elle a publié le présent article, dont nous avons traduit un extrait, dans PalestineChronicle.com
(Traduit de l’anglais par Anne-Marie Perrin pour CAPJPO-EuroPalestine)
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