19-10-2011 
Le 3 octobre, l’émission « Un œil 
sur la planète » (France 2) s’est attaquée à un épineux dossier : « Un 
Etat palestinien est-il encore possible ? ». 
La réaction des partisans de l’Etat
 d’Israël ne s’est pas fait attendre. Le 5 octobre, Richard Prasquier, 
Président du Crif, publiait une véhémente lettre ouverte à l’adresse de 
Rémy Pfimlin, Président de France Télévisions, dénonçant un parti-pris 
anti-israélien, tandis que nombre de journalistes de France 2 recevaient
 des mails d’insultes, voire des menaces. 
Le lendemain, une vidéo était mise 
en ligne sur le site JSSNews, reprise sur le site de l’Ambassade 
d’Israël en France, qui entendait prendre le contrepied de l’émission de
 France 2. Après un bref rappel des faits, nous tenterons ici de 
décrypter les « arguments » du Crif et de l’Ambassade, en proposant 
notamment un examen attentif de la «contre-émission» publiée sur le site
 de l’Ambassade d’Israël, et donc cautionnée par l’Etat d’Israël 
lui-même. 
  
Pourquoi ? Non pas pour défendre l’émission de France 2 qui pourrait être soumise à une critique effective. Mais parce que les « arguments » du Crif et la « contre-émission » relayée par l’Ambassade permettent de distinguer clairement la critique des médias (précise et rigoureuse) et la propagande (allusive et mensongère) ; la critique qui invite au débat et la propagande qui incite à la censure ; l’analyse critique, voire polémique, de l’information, et la désinformation revêtue des oripeaux de la contre-information. Une pièce supplémentaire à verser au dossier de l’information relative au Proche-Orient, thème du prochain jeudi d’Acrimed (organisé le 20 octobre à Paris).
Pourquoi ? Non pas pour défendre l’émission de France 2 qui pourrait être soumise à une critique effective. Mais parce que les « arguments » du Crif et la « contre-émission » relayée par l’Ambassade permettent de distinguer clairement la critique des médias (précise et rigoureuse) et la propagande (allusive et mensongère) ; la critique qui invite au débat et la propagande qui incite à la censure ; l’analyse critique, voire polémique, de l’information, et la désinformation revêtue des oripeaux de la contre-information. Une pièce supplémentaire à verser au dossier de l’information relative au Proche-Orient, thème du prochain jeudi d’Acrimed (organisé le 20 octobre à Paris).
I. Un bref rappel des faits 
« Un Etat palestinien est-il encore
 possible ? ». Telle était donc la question posée par les équipes d’ « 
Un œil sur la planète ». Cinq reportages ont été diffusés au cours de 
l’émission : « Un Etat en marche? », « Les 1000 visages de Gaza », « Les
 frontières de la discorde», « Le lobby pro-israélien aux Etats-Unis », «
 Et le droit au retour ? », entrecoupés d’interventions du présentateur 
Etienne Leenhardt et d’interviews. 
Dès le lendemain, soit le 4 
octobre, Richard Prasquier publie un éditorial sur le site du Crif, dans
 lequel il s’inquiète du « parti pris violemment anti-israélien » de 
l’émission. Le 5 octobre, il rend publique une lettre ouverte à 
l’attention de Rémy Pfimlin, dans lequel il affirme ceci : «  
•à recherche de l’objectivité doit être une obligation absolue. C’est exactement ce que l’équipe qui a produit cette émission n’a pas fait. Elle a présenté, d’un conflit complexe, une image caricaturale et unilatérale
[…] : le florilège de la propagande politique la plus grossière y est passé ».
•à recherche de l’objectivité doit être une obligation absolue. C’est exactement ce que l’équipe qui a produit cette émission n’a pas fait. Elle a présenté, d’un conflit complexe, une image caricaturale et unilatérale
[…] : le florilège de la propagande politique la plus grossière y est passé ».
Plusieurs sites pro-israéliens ont 
relayé les accusations de Richard Prasquier, souvent de manière plus 
brutale, tandis que le médiateur et certains journalistes de France 2 
recevaient des dizaines, puis des centaines de mails, souvent injurieux,
 parfois menaçants. « On a assisté à un déferlement de haine contre les 
journalistes », nous a affirmé Patrick Boitet, rédacteur en chef de 
l’émission. L’ambassade d’Israël en France a également réagi, par la 
voix de son porte-parole Yaron Gamburg, qui a dénoncé un « travail de 
propagande et de manipulation incitant à la haine raciale ». Rien de 
moins. 
Les journalistes se sont défendus 
de ces accusations, affirmant avoir accompli leur travail avec rigueur. 
Le 10 octobre, la Société des journalistes de France 2 a publié un 
communiqué de « soutien total aux équipes de l’émission « Un Œil sur la 
Planète » ». Le SNJ, face aux « menaces proférées contre France 2 et ses
 journalistes », a défendu un «travail excellent, salué par beaucoup » 
et mis en ligne une pétition de soutien : « Défendons la liberté de 
l’information ! », que l’on peut signer sur son site. Le SNJ-CGT, de son
 côté, a dénoncé « l’intolérable pression sur France 2 », en rappelant 
que le directeur de l’information de France 2 s’était déclaré « 
solidaire des journalistes accusés ». Enfin, la Fédération Européenne 
des Journalistes (FEJ) a déclaré, par la voix de sa secrétaire générale 
Beth Costa : « Nous condamnons toute forme de menaces à l’encontre de 
journalistes qui n’ont fait que leur travail, en particulier sur un 
sujet politiquement sensible comme les relations israélo-palestiniennes 
». Parce que la liberté de l’information et de la critique sont 
incompatibles avec les appels, à peine déguisés, à la censure, Acrimed 
s’associe à ces protestations. 
Le Crif et l’Ambassade d’Israël ont
 néanmoins demandé à rencontrer le Président de France Télévisions et le
 directeur de l’information de France 2 afin, d’après Richard Prasquier,
 de « discuter de la façon de rétablir la pluralité des opinions à 
France 2 ». Des « rencontres » qui ressemblent davantage à des 
convocations, et qui sont tout aussi inacceptables. 
II. Défense de la « pluralité des opinions » ou censure ? 
Personne ne songe à présenter 
l’émission de France 2 comme « la » référence journalistique sur la 
question israélo-palestinienne. En revanche, la violence aveugle des 
accusations portées contre les reportages diffusés le 3 octobre mérite 
que l’on s’y arrête : un anti-modèle de critique des médias, aussi 
engagée que celle-ci puisse être. 
Force est de constater que dans un 
premier temps, les attaques portées contre « Un œil sur la planète » 
sont des plus floues. Dans son éditorial du 4 octobre, Richard Prasquier
 concède même qu’il n’a « pu voir que la dernière partie de l’émission »
 et précise que « la réaction immédiate peut être gravement 
contre-productive, quand elle reste au niveau des généralités ou pis 
encore quand elle s’appuie sur des informations de seconde main ». On ne
 saurait mieux dire. Mais dans ce cas, pourquoi s’être empressé de 
publier un « éditorial » quelques heures après la diffusion de 
l’émission, sans avoir même pris le temps de visionner l’ensemble des 
reportages ? 
La réponse est fournie dès le 
lendemain par… Richard Prasquier. En effet, dans sa lettre ouverte à 
Rémy Pfimlin, il ne fait aucune référence précise à l’émission elle-même
 [1] et ne conteste aucun des éléments factuels relatés par les 
journalistes de France 2. Il se contente de les accuser d’avoir « 
diffusé une « narration » en sélectionnant les omissions, en distordant 
les causalités, en ridiculisant l’adversaire, sans éviter les 
insinuations à la limite des théories conspirationnistes antisémites (le
 passage scandaleux sur le lobby sioniste aux Etats-Unis)». On aurait pu
 naïvement attendre du Président du Crif qu’il fournisse des éléments de
 preuve : en vain. De même que l’on attend toujours les arguments 
étayant la thèse de la « manipulation incitant à la haine raciale » 
dénoncée par l’Ambassade... 
En réalité, il n’y a rien de 
surprenant dans ces silences, car le problème est, d’après le Président 
du Crif lui-même, ailleurs : « Ceux qui aiment Israël, qu’ils soient 
Juifs ou qu’ils ne le soient pas, se sont sentis insultés et humiliés ».
 En d’autres termes, l’émission de France 2 aurait présenté l’Etat 
d’Israël sous un jour défavorable, et ses partisans n’ont pas apprécié. 
Mais comme les faits relatés par les journalistes ne sont pas démentis, 
qu’en déduire, sinon que ce qui leur est reproché est précisément de les
 avoir rapportés ? A moins qu’ils n’aient attribué, de manière 
caricaturale, toutes les responsabilités des malheurs des Palestiniens 
au seul Etat d’Israël. Ce que conteste… Richard Prasquier dans son 
éditorial du 4 octobre : «  [D]ans la partie consacrée aux réfugiés 
palestiniens au Liban, on a pu voir dans quel mépris ils étaient tenus 
par la population libanaise. Est-ce Israël le responsable ? On a pu voir
 aussi un vieil homme expliquer qu’il avait quitté son village car les 
radios arabes lui avaient dit qu’ils allaient chasser les Juifs en 
quelques jours et qu’il pourrait alors revenir. Ce témoignage valait 
toutes les pseudo-explications historiques. » 
Il est pour le moins paradoxal de 
contester l’absence de pluralité des points de vue dans une émission en 
puisant ses arguments dans un reportage qui figurait… dans ladite 
émission. Ce n’est donc, de l’aveu du Président du Crif, ni la véracité 
des faits, ni l’absence de contrepoint qui est en cause. Mais alors, de 
quoi s’agit-il ? Ce qui s’exprime ici n’est-il tout simplement pas le 
refus que certains aspects de la réalité soient rendus publics ? C’est 
en tout cas l’avis du journaliste Charles Enderlin, qui a publié sur son
 blog un billet prenant la défense de ses confrères : « Il ne faut rien 
montrer qui soit défavorable à la politique israélienne d’occupation. 
Cela s’appelle de la censure et c’est une atteinte intolérable au droit 
d’informer ». Les accusations du Crif et de l’Ambassade n’ont en effet 
pas grand-chose à voir avec une saine défense de la « pluralité des 
opinions ». La suite des événements, et notamment le « contre-reportage »
 mis en ligne sur le site de l’Ambassade, le confirment : une œuvre de 
propagande commanditée par un Etat, le contraire de toute critique des 
médias digne de ce nom. 
III. « Contre-reportage » ou désinformation ? 
« Deux yeux sur leur planète » : 
tel est le titre de l’émission mise en ligne par le site JSSNews et 
relayée (et donc cautionnée) par l’Ambassade d’Israël (et donc l’Etat 
d’Israël) le 6 octobre [2 ]. Le concepteur-présentateur du programme, 
Jonathan-Simon Sellem, animateur du site JSSNews, explique la genèse de 
l’émission :
Il était une heure du matin, soit 
juste quelques minutes après la diffusion d’ « un œil sur la planète » 
sur France 2, le 3 octobre dernier, quand je décidais de mettre en ligne
 une critique justifiée de l’émission sur JSSNews. Quelques secondes 
après, je faisais parvenir un message aux responsables de la chaîne de 
télévision en ligne Infolive.tv. Le message fût bref : « On doit tourner
 en urgence une contre-émission pour démonter autant que possible les 
mensonges et le parti pris de France 2 dans cette affaire. Urgent. 
Rappelez-moi au plus vite. » Au petit matin, nos confrères d’Infolive 
répondent par l’affirmative : « on s’occupe du studio et de la 
technique, JSSNews du contenu de l’émission. Carte blanche. » Banco !
L’émission dure 53 minutes. Son 
principe est le suivant : des séquences du programme de France 2 sont 
diffusées, et des invités les commentent. « Un jeu que chacun a joué 
parfaitement », selon Jonathan-Simon Sellem, « démontant, argument après
 argument, toujours avec des sources historiques, objectives, une grande
 partie de la désinformation mise en scène dans le reportage de France 2
 ». Un examen attentif du programme démontre cependant que l’on ne peut 
guère partager l’enthousiasme de son concepteur-présentateur. Nous 
sommes en effet loin, bien loin d’une rigoureuse et précise critique des
 médias : l’émission s’apparente en réalité, comme on va le voir, à de 
la pure propagande, générale et péremptoire. 
Des généralités, encore et toujours 
Le premier invité est Olivier 
Rafowicz, ancien porte-parole de l’armée israélienne, qui est convié à 
commenter (et « décrypter ») une séquence de l’émission de France 2 
consacrée aux bombardements israéliens sur Gaza en 2008-2009 (durant 
lesquels Rafowicz officiait comme porte-parole). Ce qui suit est une 
retranscription de l’intégralité de son intervention, qui a duré quatre 
(longues) minutes.
Alors d’abord ce n’est pas une 
émission. C’est un programme… un programme palestinien, anti-israélien, 
qui a été programmé, qui a été organisé, qui montre un seul côté, qui le
 montre bien d’ailleurs, avec la volonté de vouloir casser, détruire, 
presqu’anéantir l’image de l’Etat d’Israël, de l’armée israélienne. Il y
 a une espèce de romantisme naïf de la part de ceux qui traitent du 
sujet, et de traiter les Palestiniens comme les victimes avec un grand V
 et les Israéliens comme les bourreaux. Et ce qui est grave dans ce 
reportage et qui moi, profondément, m’interpelle, et doit interpeller 
non pas seulement les Juifs mais également les hommes de bonne volonté, 
et ceux qui veulent la paix et ceux qui croient en la démocratie, c’est 
qu’un tel reportage va d’abord et avant tout à l’encontre de l’entente 
et de la paix. Il va exactement être là pour créer un climat, d’abord, 
de haine, puis, qui est très facilement traduisible par une violence qui
 peut être demain dans les quartiers chauds des grandes villes de France
 et amener une friction entre Français d’origine maghrébine face à des 
Juifs qui, tout d’un coup, vont être le résultat d’un reportage qui est,
 malheureusement, encore une fois, un reportage qui a été fait avec des 
professionnels de la communication, avec l’aval d’une grande chaine 
française, d’Etat, qu’est France 2, publique, et nous sommes encore une 
fois devant un, devant un…
Trop de généralités ? Le 
présentateur l’interrompt, et tente d’orienter son invité vers le 
«décryptage» : « Vous percevez vraiment ce reportage comme biaisé ? » 
Réponse : « Attendez, s’il est pas biaisé alors, qu’est-ce qu’il est ? C’est pas un reportage, c’est un programme de la télévision palestinienne, qui montre le problème palestinien du côté palestinien…».
Nouvelle interruption du présentateur : « Qu’est-ce qui ne va pas selon vous dans ce reportage, dans ces images que nous avons vues ? »
Réponse : « Attendez, s’il est pas biaisé alors, qu’est-ce qu’il est ? C’est pas un reportage, c’est un programme de la télévision palestinienne, qui montre le problème palestinien du côté palestinien…».
Nouvelle interruption du présentateur : « Qu’est-ce qui ne va pas selon vous dans ce reportage, dans ces images que nous avons vues ? »
Tout, tout est mauvais. Rien ne va 
dans ce reportage. On a des gens qui sont partis sur le terrain avec dès
 le départ non pas une idée qui va être développée mais déjà un script 
et un scénario avec une conclusion à l’avance. Et dans ce script et 
scénario et conclusion à l’avance on va amener des éléments pour que 
tout concorde. Donc s’il y a ici un travail qui est fait, c’est un 
travail de publicitaire. On est des spectateurs. On est israélien, on 
est aussi français, on est juif, chrétien, musulman… On nous donne un 
reportage à voir, sur une grande chaîne d’Etat. Donc on le regarde. 
Ça paraît intéressant, ça vient à 
un timing intéressant, on parle de l’ONU, des Israéliens, des 
Palestiniens, on parle d’un retour du processus de paix, des 
négociations, et puis tout d’un coup on nous amène ce narratif 
palestinien classique, anti-israélien classique, non pas par des 
journalistes palestiniens, ou d’Al-Jazira, ou de chaînes arabes, mais 
par des journalistes français qui devraient avoir une certaine réserve 
au moins pour traiter un sujet qui est tellement délicat, tellement 
complexe, tellement compliqué, avec tellement d’émotions, tellement de 
facteurs historiques, tellement de vérités pour chacun que de le 
simplifier, de vouloir en fait le rendre tellement simple, tellement 
manichéen, le blanc le noir… On arrive à un résultat qui est très grave,
 qui est très grave non pas seulement pour Israël, mais qui est très 
grave pour le journalisme dans son ensemble. J’espère qu’aujourd’hui 
ceux qui sont derrière les caméras et qui ont fait le reportage, 
peut-être, je l’espère en tout cas, devront corriger le tir, sans faire 
de jeu de mots [sic], et s’apercevoir qu’ils ont fait ici une très grave
 erreur, une très grave erreur pour l’intérêt, d’abord, de la paix, pour
 l’intérêt des Palestiniens, des Israéliens, des Juifs, des Musulmans, 
des Chrétiens mais également de la France.
Et c’est tout. Chacun aura pu 
constater qu’Olivier Rafowicz a «[démonté], argument après argument, 
toujours avec des sources historiques, objectives, une grande partie de 
la désinformation mise en scène dans le reportage de France 2 ». 
Faire dire aux journalistes de France 2 ce qu’ils n’ont jamais dit 
Certains invités ont un peu plus d’
 « arguments » et de « sources historiques » qu’Olivier Rafowicz. Mais 
la plupart ont une forte tendance à faire dire aux journalistes de 
France 2 ce qu’ils n’ont jamais dit, pour mieux s’attaquer à des propos 
contestables… qui n’ont jamais été tenus. Nous nous contenterons ici de 
quatre exemples (et il y en a d’autres) : 
 
Emmanuel Navon, « Professeur de 
relations internationales à l’Université de Tel Aviv » (et candidat aux 
primaires du Likoud, ce qu’oublie de nous dire le présentateur), débute 
sa première intervention en s’élevant contre l’emploi de l’expression « 
judaïser Jérusalem », qu’il semble prendre plaisir à tourner en ridicule
 en expliquant que les Juifs habitent depuis 3000 ans à Jérusalem. Le 
problème est que cette expression n’a jamais été employée par les 
journalistes de France 2… 
 
Plus tard, Jonathan-Simon Sellem 
pose naïvement une question au même Emmanuel Navon au sujet du tramway 
de Jérusalem, duquel l’émission de France 2 a parlé en rappelant son 
caractère polémique (puisqu’il relie Jérusalem-Ouest aux colonies de 
Jérusalem-Est) : « Dans le quotidien, est-ce que les Arabes, les 
Musulmans, les Juifs, les Chrétiens, les Arméniens, les Orthodoxes… 
prennent tous ce tramway ? Est-ce qu’ils le prennent tous dans la même 
trame [sic] ? Ou est-ce qu’il y a les Juifs devant, les Arabes derrière,
 comment ça se passe ? Je sais pas… Si c’est de la ségrégation, si on 
est en Afrique du Sud… » Et Emmanuel Navon de rebondir sur la question :
 « […] Cette comparaison avec l’Afrique du Sud est absurde puisqu’en 
Israël il n’y a pas de ségrégation entre les groupes ethniques […] C’est
 ça l’Apartheid ? » La comparaison avec l’Afrique du Sud est-elle « 
absurde » ? Une chose est sûre : c’est le présentateur de l’émission qui
 l’a faite, et non l’équipe de France 2, qui n’a pas plus qualifié la 
politique israélienne de politique d’Apartheid. 
Emmanuel Navon, décidément très en verve, poursuit l’exercice, en commentant la mention, dans un des reportages d’ « Un œil sur la planète », de la politique israélienne de destructions de maisons palestiniennes à Jérusalem-Est : « Venir présenter la démolition de maisons qui sont construites de façon illégale comme une espèce de crime contre l’humanité, c’est tout simplement transformer la réalité et l’inverser de bout en bout ». Aucun journaliste de France 2, et aucun palestinien interrogé dans le reportage, n’a qualifié les destructions de maisons palestiniennes de « crime contre l’humanité », ou même « d’espèce de crime contre l’humanité ». De là à se demander qui « transforme la réalité »…
 
Emmanuel Navon, décidément très en verve, poursuit l’exercice, en commentant la mention, dans un des reportages d’ « Un œil sur la planète », de la politique israélienne de destructions de maisons palestiniennes à Jérusalem-Est : « Venir présenter la démolition de maisons qui sont construites de façon illégale comme une espèce de crime contre l’humanité, c’est tout simplement transformer la réalité et l’inverser de bout en bout ». Aucun journaliste de France 2, et aucun palestinien interrogé dans le reportage, n’a qualifié les destructions de maisons palestiniennes de « crime contre l’humanité », ou même « d’espèce de crime contre l’humanité ». De là à se demander qui « transforme la réalité »…
Jonathan-Simon Sellem évoque enfin 
le reportage consacré (selon lui) au « lobby juif » aux Etats-Unis, dans
 lequel (selon lui) « on accuse carrément les Juifs de prendre Obama 
comme un pantin et de le manipuler ». Après la diffusion d’un court 
extrait de l’émission de France 2, il pose de nouveau une question naïve
 (qui démontre au passage l’étendue de son « objectivité de journaliste 
») : «Alors j’ai envie de dire, messieurs, on est en plein dans les 
Protocoles des Sages de Sion, le mythe antisémite par excellence, le 
juif qui contrôle tout, qui achète les gouvernements, qui achète les 
médias, qui surveille les médias, qui surveille les journalistes… 
Bienvenue dans les Protocoles des Sages de Sion, version revisitée par 
France 2, nous sommes le 3 octobre 2011, vous en pensez quoi Emmanuel 
Navon ? » Dans sa réponse, Emmanuel Navon va employer à pas moins de six
 reprises le terme « lobby juif », qu’il reprend d’ailleurs à son 
compte. Double problème : non seulement les journalistes de France 2 
n’ont jamais employé le terme « lobby juif », mais ils ont en outre 
expliqué que le « lobby pro-israélien aux Etats-Unis » n’est pas composé
 que d’organisations juives : « Réduire le soutien à Israël au seul 
poids de [la communauté juive] serait une erreur. Il y a aussi les 
Chrétiens évangéliques qui sont devenus les champions de l’alliance 
israélo-américaine ». 
Le procédé est éculé. Arthur 
Schopenhauer, dans son ouvrage L’art d’avoir toujours raison (rédigé en 
1830), proposait déjà divers « stratagèmes » pour décrédibiliser son 
interlocuteur lors d’un débat. Voici l’un d’entre eux : « On arrache à 
la proposition de l’adversaire, en tirant d’elle de fausses conséquences
 et en gauchissant ses concepts, des propositions qui ne s’y trouvent 
pas et n’ont rien à voir avec l’opinion de l’adversaire, et sont, tout 
au contraire, absurdes ou dangereuses » [3 ]. Certains semblent avoir 
retenu la leçon. Mais lorsque l’on prétend dénoncer le manque de rigueur
 des autres et rétablir la vérité, cela fait désordre. 
Donner des leçons de journalisme
Donner des leçons de journalisme
On l’a vu, Olivier Rafowicz a 
dénoncé le « romantisme naïf » des journalistes de France 2. Plus tard 
dans l’émission, un autre invité pointe « l’angélisme de la presse 
occidentale ». A plusieurs reprises durant le programme, Jonathan-Simon 
Sellem oppose les vertus des journalistes israéliens qu’il convoque (ils
 « connaissent le terrain ») aux défauts des journalistes français qui 
ont tourné les sujets incriminés (ils ont adopté le « point de vue 
palestinien »). Pour illustrer la difficulté de la réalisation de 
reportages dans les territoires palestiniens, « Deux yeux sur leur 
planète » donne la parole à Marc-Israel Sellem (« Photo-reporter au 
Jerusalem Post »), qui relate une de ses expériences. Le 2 octobre, il 
s’est rendu à Ramallah à l’occasion d’une manifestation en soutien aux 
prisonniers politiques palestiniens en grève de la faim. Il a pris en 
photo une femme qui brandissait un portrait de prisonnier. Quelques 
secondes après avoir été prise une première fois en photo, et repérant 
l’objectif, cette femme se met soudain à pleurer. 
Question du présentateur : « Est-ce
 que ce genre de manipulation est courante ? […] Est-ce qu’on a 
clairement affaire à ce qu’on appellerait une pleureuse professionnelle,
 quelqu’un qui est payé pour pleurer, pour venir pleurer, ou quelqu’un 
qui s’entraîne, une comédienne ? Qui était cette personne, qui était 
cette femme d’après vous ? ». Réponse de l’homme de terrain : « Il est 
évident que cette personne, je ne sais pas si elle est payée ou pas 
payée parce que j’ai pas les preuves, donc on peut pas se permettre 
d’arriver à ces conclusions. Il est évident que c’est une personne, elle
 était là pour jouer un rôle. Elle est venue, elle a vu les 
photographes, les caméraman, s’est mise à pleurer […] Et une personne 
qui arrive à pleurer en 17 secondes, si vous essayez à la maison… ». Il 
n’en dira pas plus. Mais l’affaire semble entendue : c’est une 
comédienne. Et Marc-Israel Sellem d’évoquer les multiples pièges tendus 
aux journalistes par les Palestiniens, qui organisent entre autres des… «
 faux enterrements ». 
Les situations de conflit armé sont
 sujettes, chacun le sait, à bien des formes de propagande et de 
manipulation. Mais que cherche à nous prouver le photographe israélien ?
 Que les milliers de prisonniers politiques palestiniens n’existent pas ?
 Que leurs familles ne sont pas tristes ? Que les Palestiniens ne 
meurent pas réellement sous les tirs israéliens et qu’ils organisent 
donc de faux enterrements ? Probablement pas. Veut-il alors nous dire 
que certaines images de France 2 sont sujettes à caution ? Oui mais… 
lesquelles ? Il n’en mentionne et n’en commente aucune, se contentant de
 ses propres photos… Il semble plutôt tenter de jeter le discrédit sur 
l’ensemble de l’émission de France 2 au nom des « manipulations » dont 
les Palestiniens seraient coutumiers. Mais la crédibilité de son cours 
magistral sera de courte durée, puisqu’il le reconnaît lui-même pour 
finir : « C’est la première fois que ça m’arrive de voir un changement 
de situation aussi rapide, c’est-à-dire une personne qui voit des 
caméras et qui se met à jouer de la comédie ». 
Une leçon de journalisme que ne 
manqueront pas de retenir le rédacteur en chef de l’émission Patrick 
Boitet (Prix Albert-Londres en 1996, qui pilotait son 34ème numéro d’ 
«Un œil sur la Planète»), Charles Enderlin (journaliste depuis 40 ans en
 Israël), Martine Laroche-Joubert (au service étranger de France 2 
depuis 1984, qui vient de couvrir la guerre en Libye), Katia Clarens 
(qui a réalisé des reportages, entre autres, en Palestine, au Liban, en 
Iran, en Afghanistan, au Tchad…), Alexis Monchovet (Prix Albert-Londres 
pour un reportage réalisé à Rafah, à la frontière entre Gaza et 
l’Egypte, fruit de plus d’un an d’immersion), Etienne Leenhardt et les 
autres journalistes de France 2 ayant participé à l’émission incriminée.
 Leur expérience leur donne-t-elle nécessairement raison ? Non. Mais les
 arguments de la « naïveté » et de « l’angélisme », a fortiori 
lorsqu’ils ne reposent sur aucune preuve de « manipulation », ne sont 
guère concluants. 
Des « contre-vérités » factuelles sur France 2 ? 
Sauf erreur de notre part, durant 
les 53 minutes qu’aura duré le « contre-émission », seules… trois « 
contre-vérités » factuelles ont été pointées du doigt. C’est 
l’universitaire Emmanuel Navon qui s’en est chargé. 
 
La 1ère d’entre elles figurerait au
 début de l’émission de France 2, lorsque qu’Etienne Leenhardt tient les
 propos suivants : « Y’aura-t-il un jour une Palestine libre aux côtés 
d’Israël ? Les Nations Unies l’avaient prévu, c’était en 1947, au moment
 de la création de l’Etat hébreu. Mais le partage n’a pas eu lieu, et 
chacun porte une responsabilité dans cet échec ». Commentaire d’Emmanuel
 Navon : « Le reportage commence avec un mensonge, donc ça commence très
 bien. Le plan de partage de 1947 a échoué à cause des Palestiniens. Il a
 été accepté par les Juifs et refusé par les Arabes, point à la ligne ».
 Il n’y aurait donc pas de « partage des responsabilités » dans cet 
échec. E. Navon a en partie raison : le plan de partage de 1947 a été 
formellement « accepté par les Juifs» et « refusé par les Arabes ». Mais
 rappelons ici ce que David Ben Gourion, « père fondateur » d’Israël, 
déclarait au sujet du partage : « Après la formation d’une grande armée à
 la suite de l’établissement de l’Etat, nous abolirons la partition et 
nous nous étendrons sur l’ensemble de la Palestine » [4 ]. Au terme de 
la première guerre israélo-arabe (1948-49), Israël s’étend ainsi sur 78%
 de la Palestine, alors que les Nations Unies lui en avaient offert 55%.
 Les propos mesurés d’Etienne Leenhardt ne peuvent donc décemment pas 
être qualifiés de « contre-vérités »… 
 
Le second « mensonge » concernerait
 le reportage sur les réfugiés et la mention, par les journalistes de 
France 2, du « droit au retour ». Pour Emmanuel Navon, la cause est 
entendue : «Lorsque [les journalistes] disent que la résolution 194 des 
Nations Unies reconnaît aux Palestiniens le droit de revenir en Israël, 
c’est faux ». Que dit la résolution ? « L’assemblée générale […] décide 
qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent, de rentrer 
dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs 
voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de 
compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans 
leurs foyers ». Chacun appréciera. Et E. Navon de poursuivre (préciser 
?) : « Le droit international ne reconnaît pas [de droit au retour] aux 
descendants [des réfugiés] ». Le « droit international », non. Mais 
l’agence des Nations Unies chargée des réfugiés palestiniens (UNRWA) 
considère les descendants des réfugiés comme des réfugiés, au même titre
 que leurs parents et/ou grands-parents. Les choses sont donc un peu 
plus complexes que le prétend E. Navon et il nous semble, de nouveau, 
plus qu’imprudent de parler de « mensonges », même si les 
interprétations juridiques peuvent faire discussion. 
 
Troisième et dernière « 
contre-vérité » attribuée par Emmanuel Navon aux journalistes de France 2
 : « C’est de dire finalement que les tirs de roquettes de la bande de 
Gaza sont le résultat, la conséquence des raids israéliens […]. 
L’intifada d’Arafat, en 2000, a été suivie par des tirs de roquettes de 
la Bande de Gaza vers Israël sans aucun tir israélien. » Il fait ici 
référence à une phrase d’Etienne Leenhardt, lorsque celui-ci affirme que
 les tirs de roquettes palestiniens « sont la conséquence des raids 
israéliens et du blocus imposé par Israël sur la bande de Gaza ». Le 
contre-argument d’Emmanuel Navon est donc le suivant : les tirs de 
roquettes auraient précédé les raids israéliens, et même les « tirs 
israéliens ». Voilà un argument pour le moins… maladroit. Le site du 
Ministère des Affaires étrangères de l’Etat d’Israël nous apprend en 
effet que le premier tir de roquette depuis Gaza vers Israël date du… 10
 février 2002 [5 ]. Or, selon les chiffres de l’ONU, c’est précisément 
en février 2002 que le nombre de Palestiniens tués par l’armée 
israélienne depuis le début de la « deuxième Intifada » a franchi le cap
 des 1000, dont une majorité à Gaza [6 ]. Dire cela, ce n’est pas 
justifier les tirs de roquettes, mais seulement souligner la « 
contre-vérité » proférée par E. Navon. Pour reprendre une de ses phrases
 : « Soit les journalistes sont ignorants, soit ils mentent. Donc on 
peut leur laisser le bénéfice du doute ». 
***
Généralisations abusives, faux 
procès, mauvaises leçons de journalisme, dénonciations de « 
contre-vérités » qui n’en sont pas et… mensonges (voir annexes 1 et 2) :
 les procédés employés par les « contre-informateurs », à défaut 
d’entamer la crédibilité de l’émission diffusée sur France 2, indiquent 
qu’ils ne poursuivent pas un but aussi noble qu’ils le prétendent. Les 
stratagèmes qu’ils utilisent ont tous le même objectif : délégitimer les
 reportages, et non « rétablir la vérité ». Répétons-le en effet : les 
détracteurs d’ « Un œil sur la planète » n’ont pu démontrer l’existence 
d’aucune erreur factuelle dans le travail effectué par les journalistes 
de France 2. Il y en avait pourtant une (voir annexe 3). 
De toute évidence, le Crif, l’Ambassade et les concepteurs de « Deux yeux sur leur planète » pensent que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. En témoignent les propos d’Olivier Rafowicz, porte-parole de l’armée israélienne, que nous avons rapportés ci-dessus en intégralité : « C’est un programme… un programme palestinien, anti-israélien, qui a été programmé, qui a été organisé, qui montre un seul côté, qui le montre bien d’ailleurs, avec la volonté de vouloir casser, détruire, presqu’anéantir l’image de l’Etat d’Israël, de l’armée israélienne ». Et, plus loin : « Tout, tout est mauvais. Rien ne va dans ce reportage. »
De toute évidence, le Crif, l’Ambassade et les concepteurs de « Deux yeux sur leur planète » pensent que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. En témoignent les propos d’Olivier Rafowicz, porte-parole de l’armée israélienne, que nous avons rapportés ci-dessus en intégralité : « C’est un programme… un programme palestinien, anti-israélien, qui a été programmé, qui a été organisé, qui montre un seul côté, qui le montre bien d’ailleurs, avec la volonté de vouloir casser, détruire, presqu’anéantir l’image de l’Etat d’Israël, de l’armée israélienne ». Et, plus loin : « Tout, tout est mauvais. Rien ne va dans ce reportage. »
Conclusion : un reportage qui « 
montre bien » la réalité palestinienne est donc un reportage dans lequel
 « rien ne va ». Tout est dit ? 
Julien Salingue
Acrimed