Shahd Abusalama 
         Les familles des prisonniers veillent à ne pas manquer une 
seule journée de la manifestation hebdomadaire, de sorte que le nombre 
de personnes à l’intérieur des bâtiments de la Croix-Rouge est plus 
important que d’habitude ce lundi.
        
Om Fares tenant une photo de son fils emprisonné
On devrait donc s’attendre à voir beaucoup de larmes et à
 entendre beaucoup de récits tragiques, surtout après que les noms des 
prisonniers devant être libérés aient été rendus publics.
Alors que j’entrais à la Croix-Rouge, ce lundi, une 
vieille dame était assise dans un coin, et on la remarquait à peine. 
Elle mettait ses mains contre ses joues, gardait les yeux fermés et ne 
disait rien. Les rides sur son visage, son air triste et le verre cassé 
du portrait qu’elle tenait m’ont fait me diriger vers elle.
J’ai essayé de lui parler mais je n’ai pas pu tout de 
suite obtenir une réponse, mais seulement après lui avoir parlé très 
fort tout en lui tenant les mains. J’ai réalisé qu’elle entendait à 
peine et que sa vision était très réduite. « Qui est cet homme dans 
l’image ? » lui ai-je demandé en lui parlant d’une voix forte. « C’est 
mon fils, Fares, ma chérie. Il ne va pas être libéré. Je suis très 
malade et je vais mourir. J’ai même passé la nuit dernière à l’hôpital. 
Pourquoi n’est-il pas là pour remplir les derniers jours de ma vie où 
j’ai passé 22 longues années séparé de lui ? Je veux pouvoir étreindre 
mon fils avant de mourir, » dit-elle en pleurant intensément et 
amèrement.
Essayer de la tranquilliser était une tâche très 
difficile, car on peut imaginer à quel point ses blessures sont 
profondes. Je regardais autour de moi pour demander qui a accompagné 
cette dame jusqu’à la tente, car il m’était impossible d’imaginer qu’une
 femme aveugle soit venue par elle-même. Mais bien que je croyais cela 
impossible, c’était la réalité.
Après avoir interrogé les gens à la Croix-Rouge à son 
sujet, j’ai rencontré une jeune femme qui semblait savoir quelque chose.
 Elle m’a dit que cette vieille femme, Fares Om, vivait seule dans le 
camp de la plage. Son mari est décédé depuis des années et elle n’a 
personne pour prendre soin d’elle. C’était très dur pour moi d’imaginer 
que cette très vieille femme, qui peut à peine marcher, voir ou 
entendre, soit obligée de vivre seule.
Je me suis mise en colère et j’ai questionné à voix 
haute comment une vieille femme malade pouvait être laissée à elle-même,
 sans personne pour s’occuper d’elle. Mais la jeune femme m’a rassurée 
en me disant que la présence de Om était une raison pour elle de 
continuer à venir aux rassemblements hebdomadaires. Elle a même organisé
 un groupe de jeunes filles pour l’aider et montrer leur solidarité avec
 elle. Elles se sont organisées  tout au long de la semaine pour lui 
rendre visite autant qu’il leur était possible. En entendant cela, je ne
 pouvais pas m’empêcher de sourire de soulagement de savoir qu’il y 
avait encore des gens attentionnés, et sans qu’elle me demande de 
rejoindre son groupe, j’ai déclaré que j’en faisais maintenant partie.
La jeune dame m’a raconté qu’elle était une fois assise 
avec Fares Om dans sa maison très simple et très petite,  bavardant et 
essayant de lui faire sentir qu’elle n’était pas seule ni oubliée. 
Soudain Fares Om lui a demandé d’apporter un morceau de papier et un 
stylo pour écrire ce qu’elle lui dicterait. « Cher Fares, quand tu seras
 libre, je vais choisir pour toi la plus belle mariée en Palestine. Je 
vais construire une grande maison pour que vous y habitiez avec vos 
enfants. Reste inébranlable, mon chéri et si Dieu le veut, tu seras 
bientôt libre », disait-elle tandis que ses mains étaient occupées à 
sécher les larmes coulant sur ses joues. La pauvre femme ne savait pas 
qu’elle ne faisait hélas que rêver, mais qu’elle était une rêveuse qui 
ne renonce jamais.
Je peux effectivement dire que personne ne m’a autant et
 profondément émue  que cette femme, Fares Om. Je prie pour qu’elle ait 
la bonne fortune de voir son fils avant de mourir et je lui promets 
qu’elle ne sera jamais seule et qu’elle aura beaucoup de gens qui ne 
l’oublieront jamais, elle et son immense chagrin d’avoir son fils 
emprisonné.
* Shahd Abusalam est artiste, blogueuse et étudiante en littérature anglaise dans la bande de Gaza. Son blog est appelé Palestine from my eyes.
De la même auteure : 
18 octobre 2011 - Palestine from My Eyes - Vous pouvez consulter cet article à : 
http://palestinefrommyeyes.blogspot.com/
Traduction : al-Mukhtarhttp://palestinefrommyeyes.blogspot.com/