Christiane Gillmann - Groupe de travail "Prisonniers" de l’AFPS
On
 évalue aujourd’hui à plus de 700.000 le nombre de Palestiniens ayant 
été, depuis 1967, arrêtés et plus ou moins longtemps détenus par les 
forces israéliennes. Ce  chiffre représentant plus de 20% de la 
population des Territoires palestiniens occupés, il n’est pas de famille
 palestinienne qui ne connaisse ou n’ai connu au moins un emprisonné.
En juin 1967, 19 ans après 
que leur Etat se soit constitué sur 78% de la Palestine (soit 40% de 
plus que prévu par le Plan de partage des Nations-Unies), les forces 
armées israéliennes ont pris le contrôle des 22% restants. 
Presqu’aussitôt elles y ont instauré deux pratiques hautement 
criminelles : celle qui consiste à aider les colons israéliens à 
s’emparer de terres palestiniennes et à s’y installer, ainsi que les 
arrestations massives de Palestiniens détenus, plus ou moins longtemps, 
dans des prisons israéliennes. Deux pratiques qui ne sont pas seulement 
moralement condamnables, mais sont aussi criminelles au strict sens 
juridique : le droit humanitaire de la guerre, en l’occurrence la 4ème 
convention de Genève, interdit l’une et l’autre et les qualifie 
d’infractions graves, c’est-à-dire de crimes de guerre (art. 49 et 147).
Plus de 700.000 Palestiniens ont été victimes 
d’arrestations, dont 10.000 femmes, 7.500 enfants et 65 députés. Pour 
une partie d’entre eux, la détention aura duré de 2 jours à 6 mois (la 
visite très hypothétique d’un avocat n’étant possible qu’au bout de 32 
jours), car tous  ne feront pas l’objet d’une procédure ou de cette 
non-procédure, en fait véritable « lettre de cachot », que constitue la 
détention administrative.
L’armée israélienne opère aux checkpoints et lors 
d‘incursions dans les villes, villages et camps de réfugiés de 
Cisjordanie, autrefois en plein jour et actuellement plutôt la nuit, en 
réveillant brutalement les occupants d’une maison et en humiliant devant
 ses proches la personne qu’elle choisit d’arrêter. Aujourd’hui elle 
s’en prend aux villages de Cisjordanie  résistant de manière  
non-violente au mur et aux colonies israéliennes qui leur volent terre 
et eau.
Les enfants palestiniens - c’est-à-dire les mineurs de 
moins de 18 ans que les forces israéliennes s’autorisent à arrêter, 
détenir et juger dès qu’ils ont 12 ans - paient ces derniers temps un 
lourd tribu à la répression israélienne, puisqu’ils sont environ 7.000 a
 avoir été arrêtés depuis 2000. C’est un chiffre considérable (126.000 à
 l’échelle de la France 18 fois plus peuplée que les Territoires 
palestiniens occupés), surtout si on le compare au nombre beaucoup plus 
faible d’arrestations d’enfants, durant la première Infidada où ils se 
sont pourtant trouvés en première ligne. De toute évidence, les 
militaires israéliens et les membres du Shin Bet tablent sur la 
fragilité de ces enfants, que la torture ou la simple crainte de la 
torture sont sensées faire parler : des témoignages d’enfants sont en 
tout cas produits actuellement devant les tribunaux militaires 
israéliens,  contre les dirigeants de la résistance populaire 
non-violente.
Actuellement 6.000 prisonniers politiques palestiniens 
peuplent les prisons israéliennes, dont 33 femmes, 202 enfants (40 
d’entre eux sont âgés de 12 à 15 ans), 18 députés dont Marwan Barghouti 
condamné, comme 801 autres Palestiniens, à plusieurs fois la peine 
perpétuelle.
Où et dans quelles conditions sont-ils détenus et que se
 passe-t-il pour ceux qui, comme Salah Hamouri, ont affaire à cette 
fameuse justice militaire israélienne ?
LES LIEUX ET CONDITIONS DE DETENTION
Les prisonniers politiques palestiniens sont répartis 
dans 20 prisons et centres de détention situés en Israël, en violation 
de l’article 49 de la 4ème convention de Genève Des centres de détention
 temporaire consacrés à l’interrogatoire des prisonniers, se trouvent 
dans les Territoires palestiniens occupés, notamment à Ofer, au sud de 
Ramallah et à Etzion près d’Hébron. Ils sont situés dans l’enceinte de 
colonies juives et sont constitués de tentes souvent très usées abritant
 de 25 à 30 personnes où les conditions de détention sont 
particulièrement inhumaines et dégradantes.
Comme le souligne la Fédération Internationale des 
Ligues des Droits de l’Homme, les conditions de détention infligées aux 
prisonniers politiques palestiniens ne respectent aucun des standards 
internationaux. La nourriture est de mauvaise qualité et est 
insuffisante ; les sanitaires sont en nombre trop limité par rapport à 
la surpopulation des camps ; aucun change vestimentaire n’est fourni ; 
le service médical, déjà déficient dans l’univers carcéral, est encore 
plus dramatique pour les Palestiniens. L’ensemble de ces problèmes est 
renforcé, pour les prisonniers détenus en Israël, par les difficultés 
que rencontrent leurs familles pour obtenir des permis de visite. De son
 côté, le CICR se heurte à beaucoup d’obstacles de la part des autorités
 israéliennes, lorsque, plusieurs fois par an, elle organise pour les 
familles des transports collectifs vers les prisons israéliennes. Et 634
 prisonniers ne peuvent depuis 2 ans plus recevoir aucun visite de leurs
 familles vivant dans la bande de Gaza.
Une partie des prisonnières palestiniennes sont détenues
 à la prison de Ramleh où elles sont regroupées par 6 dans des cellules 
de 14 m2. De plus elles sont quelquefois mises en situation de 
promiscuité avec des détenues israéliennes de droit commun qui les 
insultent et les menacent. S’agissant des enfants, les autorités 
militaires israéliennes décrètent que toute personne ayant 16 ans est 
majeure, violant en cela la Convention internationale relative aux 
droits de l’enfant (CIDE) et leur propre loi qui fixe la majorité pénale
 à 18 ans. Et elles arrêtent et incarcèrent les enfants palestiniens dès
 l’âge de 12 ans, alors que la convention onusienne n’en prévoit la 
possibilité qu’à partir de l’âge de 14 ans. Beaucoup d’autres 
dispositions de la CIDE sont violées par les autorités israéliennes ; 
aucun de ces enfants ne s’est vu offrir la possibilité de poursuivre sa 
scolarité et, s’agissant des visites de leurs familles et d’un minimum 
de suivi médical, ils sont tout aussi mal logés que les adultes.
LA PRATIQUE DE LA TORTURE
Quoique leur pays ait ratifié la Convention 
internationale contre la torture, ainsi que le pacte relatif aux droits 
civils et politiques, et qu’au demeurant une disposition du Code pénal 
israélien interdise la torture, les militaires israéliens et le 
personnel du Shin Bet la font systématiquement subir aux prisonniers 
politiques palestiniens.
Cette pratique a connu une brève interruption entre la 
fin 1999 et le début de 2002, à la suite d’un arrêt rendu le 6 Septembre
 1999 par la Cour suprême d’Israël. Mais les mauvaises habitudes sont 
réapparues avec le déclenchement le la seconde Intifada et elles sont 
devenues à nouveau la règle depuis le début de l’année 2002. Les ONG 
israéliennes de défense des droits de l’homme que sont B’Tselem et 
Hamoked indiquent qu’à l’heure actuelle plus de 85% des prisonniers 
palestiniens ont été, et sont toujours, victimes de tortures.
Le recours à la torture physique contre les Palestiniens
 débute dès leur arrestation. Menottés et la tête recouverte d’un sac en
 plastique, ils sont généralement battus par les militaires qui les 
transportent vers les centres d’interrogatoire. Ensuite, ils peuvent 
subir l’isolement dans des cellules étroites et humides pour des 
périodes de 30 à 90 jours ou la privation de sommeil, parfois durant 10 
jours, sans oublier l’obligation qui leur est faite de se dévêtir 
complètement chaque fois qu’ils sortent de la prison et y reviennent.
Lors des interrogatoires, ils sont souvent battus ou 
violemment secoués, mais la méthode la plus fréquemment utilisée est le 
Shabah qui consiste à attacher les bras du prisonnier dans son dos, 
alors qu’il est assis sur une chaise dont les pieds de devant ont été 
écourtés ; c’est là une position extrêmement douloureuse qu’on lui 
inflige de 18 à 22 heures d’affilée, pendant plusieurs jours.
JUSTICE D’ARRIERE-COUR OU DETENTION ADMINISTRATIVE
Le régime des incarcérations et des détentions est réglé
 par des ordres militaires qui s’inspirent souvent des textes répressifs
 en vigueur sous le mandat britannique. L’autorité militaire israélienne
 fixe ainsi, selon son bon vouloir, les périodes durant lesquelles les 
Palestiniens peuvent être détenus sans avoir accès à un Avocat (32 jours
 actuellement) et sans être l’objet d’une procédure (6 mois et 12 
jours).
Si procédure il y a, elle se déroulera sur une période 
pouvant durer 3 ans, devant les juridictions militaires israéliennes : 
des tribunaux militaires dont les décisions peuvent être déférées à une 
cour d’appel, tout aussi militaire. Devant de telles juridictions qui 
siègent dans l’enceinte des prisons et centres de détention, les 
prisonniers palestiniens ne bénéficient jamais d’un procès équitable et 
comparaissent d’ailleurs la plupart du temps sans défenseur, comme l’ont
 constaté les enquêteurs de l’ONG israélienne Yesh Din qui ont suivi 800
 de leurs audiences. Au terme d’un rapport (dont a rendu compte le 
quotidien « Le Monde » du 8 janvier 2008) intitulé « justice 
d’arrière-cour », Yesh Din dresse un tableau atterrant de ces 
juridictions militaires. Quant aux peines prononcées, elles sont 
démesurées : les peines de prison excédent souvent 50 ans et atteignent 
même 20 fois la peine perpétuelle… Les enfants palestiniens ne sont pas 
épargnés puisque l’un d’eux a été condamné à perpétuité, des peines de 2
 à 5 ans et des peines de 5ans ayant été infligées respectivement à 36 %
 et 10 % d’entre eux.
Il n’est pas étonnant que désormais 95% des Palestiniens
 traduits devant de telles juridictions choisissent de « plaider 
coupable ».
Comme l’a fait Salah Hamouri, début 2008, en se 
reconnaissant faussement coupable d’avoir eu « l’intention d’attenter 
aux jours » du rabbin extrémiste Sofer, pour que la justice militaire 
abandonne l’autre « crime » pour lequel elle le poursuivait depuis 3 ans
 (l’appartenance à un parti progressiste, le FPLP) et qu’il encoure 
ainsi 7 ans de prison au lieu du double…
Passé les 6 mois et 12 jours, tous les prisonniers 
palestiniens ne font pas l’objet d’un procès ou d’une mesure de 
libération. Certains sont envoyés dans une prison spéciale, Ketziot qui 
est située dans le désert du Néguev, pour des périodes de 6 mois, 
indéfiniment renouvelables, en vertu d’un système exhumé du droit du 
mandat britannique : la détention administrative. Ils rejoignent là 
parfois des prisonniers ayant purgé leurs condamnations. Beaucoup de 
mineurs (garçons et filles) et de responsables palestiniens ont eu droit
 à ce régime. Les prisonniers de Ketziot, dont le nombre a pu atteindre 
1.600, sont aujourd’hui 253, dont 3 femmes et 15 députés.