Jonathan Cook
          Un débat fascinant débarque sur le podium politique israélien  au sujet d’une question jusqu’ici taboue : la création d’un État unique  comme solution au conflit ; dans cet État, juifs et Palestiniens  pourraient potentiellement vivre en citoyens égaux. Chose surprenante,  cette proposition émane principalement de la droite politique  israélienne.         
 Le débat, qui va à l’encontre de l’actuelle orthodoxie d’un avenir à  deux États, a rapidement fait voler en éclats les conceptions  traditionnelles sur la gauche et la droite sionistes.
Beaucoup d’observateurs - notamment plusieurs  administrations étasuniennes - ont présumé que les artisans israéliens  de la paix se trouvaient exclusivement parmi la gauche sioniste, la  droite étant ignorée, puisque irrémédiablement opposée aux droits des  Palestiniens. Dans le fil de cette présomption, le président US Barak Obama a essayé  jusqu’à récemment de mettre le premier ministre de droite Benjamin  Netanyahou, sur une voie de garage au profit  de son ministre de la  défense, Ehud Barak du parti travailliste de gauche, ainsi que de la  dirigeante de l’opposition, Tzipi Livni du parti centriste Kadima.
Mais comme la droite israélienne le fait souvent  remarquer, les partis de gauche et du centre, prétendument favorables à  la paix, ont occupé le pouvoir pendant longtemps pour n’obtenir que de  déplorables résultats s’agissant de la création d’un État palestinien,  notamment pendant le processus d’Oslo. La population des colonies par  exemple, n’a jamais augmenté aussi rapidement que pendant la brève  période où M. Barak a été premier ministre, il y a 10 ans.
Ce que le nouveau débat sur l’État unique révèle est  que, certains membres de la droite - même parmi les colons - se révèlent  disposés à partager un État avec les Palestiniens, tandis que la gauche  s’obstine à combattre une telle solution.
Dans un supplément du journal libéral israélien Haaretz  publié le week-end dernier sur cette question, Yossi Beilin, ancien  dirigeant du parti Meretz très colombe et un des architectes des accords  d’Oslo, a dit au nom de la gauche sioniste que la solution à un État  n’avait pas de sens. Il a ajouté avec dédain « cela ne m’intéresse pas  de vivre dans un État qui n’est pas juif ».
La gauche israélienne s’accroche résolument à l’objectif  qu’elle a adopté depuis que M. Barak a assisté aux pourparlers  infructueux de Camp David de 2000, à savoir,  l’annexion de la plupart  des colonies de Cisjordanie et de toutes celles de Jérusalem Est.  D’après le consensus de la gauche, le mur de séparation, une idée de  M. Barak, maintiendra en place la quasi totalité des 500 000 colons,  tandis qu’une population palestinienne aigrie sera regroupée dans un  ensemble de ghettos appelé indument l’ État palestinien. L’objectif de  cette séparation, dit-on à gauche, est de protéger le caractère juif  d’Israël face à une majorité palestinienne envahissante au cas où il n’y  aurait pas de partition du territoire.
Le problème avec la solution de la gauche a été résumé  par Tzipi Hotoveley, juriste principale du Likoud, qui a récemment  déclaré son soutien pour un État unique. « Il y a une faille morale ici  [chez la gauche].... Il en résulte une solution qui perpétue le conflit  et qui fait de nous, pour parler franchement, des auteurs de massacres  après avoir été des occupants. C’est la gauche qui a fait de nous une  nation plus cruelle et qui met aussi notre sécurité en péril.
La droite commence à comprendre que la séparation  suppose non seulement l’abandon du  rêve du Grand Israël, mais qu’elle  fera de Gaza le modèle pour la Cisjordanie. Les Palestiniens, exclus et  assiégés, devront être "pacifiés" à coups d’attaques militaires  régulières comme celle qui a été lancée contre Gaza pendant l’hiver de  2008 et qui a valu à Israël l’opprobre international. A droite, certains  estiment qu’Israël ne survivra pas longtemps à de tels outrages.
Mais alors que la droite reconsidère ses positions  historiques, la gauche en est encore à préconiser comme toujours une  séparation ethnique et l’édification du mur.
Ce sont les idéologues sionistes travaillistes qui,  avant la création de l’État,  ont été les premiers à plaider en faveur  de la ségrégation sous les bannières de « main-d’œuvre juive » et  « rédemption de la terre » et qui ont ensuite adopté la politique de  transfert. Ce sont les fondateurs travaillistes de l’État juif qui ont  réalisé l’expulsion massive des Palestiniens sous couvert de la guerre  de 1948.
Jabotinsky
En revanche, pour la droite, la création d’un territoire  juif « pur » n’a jamais été un principe sacré. Très vite, elle s’est  résignée à partager la terre. Vladimir Jabotinsky, père intellectuel du  Likoud, a en fait présenté la doctrine du « mur d’acier », qui a été  très mal comprise, comme une alternative aux  politiques de ségrégation  et d’expulsion des sionistes travaillistes. Jabotinsky comptait vivre  avec les Palestiniens, mais préférait les faire plier sous une poigne  d’acier.
Les successeurs de Jabotinsky se heurtent au même  dilemme. La plupart, comme M. Nétanyahou, croient toujours qu’Israël a  le temps d’étendre son contrôle en achetant les Palestiniens avec des  miettes, en diminuant par exemple le nombre de postes de contrôle ou en  leur accordant des incitations économiques mineures. Mais un nombre  croissant de dirigeants du Likoud reconnait que les Palestiniens  n’accepteront pas ce modèle d’apartheid pour toujours.
Au premier plan, il y a Moshe Arens, ancien ministre de  la défense et gourou du Likoud qui a récemment écrit que l’octroi de la  citoyenneté à bon nombre de Palestiniens sous occupation « mérite d’être  examiné sérieusement ». Reuven Rivlin, speaker du Parlement, a concédé  que « le moindre mal est un État unique dans lequel tous les citoyens  jouissent de droits égaux ».
Nous ne devrions pas idéaliser ces convertis du Likoud.  Ils ne parlent pas de « l’État de tous les citoyens » exigé par une  petite minorité de juifs non sionistes. La plupart exigeraient que les  Palestiniens acceptent de vivre dans un État dominé par des juifs. Arens  par exemple, veut exclure le million et demi de Palestiniens de Gaza de  la citoyenneté afin de maintenir artificiellement dans son État une  majorité juive pendant quelques décennies de plus. Personne ne semble  envisager le droit au retour des millions de réfugiés palestiniens. Et  presque tous compteraient que pour être citoyen, il faudrait attester de  sa loyauté ce qui ramènerait les nouveaux citoyens palestiniens aux  mêmes rapports à problèmes avec un État juif que ceux que connaît   l’actuelle minorité palestinienne à l’intérieur d’Israël.
Néanmoins, la droite montre qu’elle est  peut-être plus  disposée à redéfinir ses paradigmes que la gauche sioniste. Et en fin de  compte, elle infligera peut-être un démenti à Washington en s’avérant  plus capable de réaliser la paix que les architectes d’Oslo.
Jonathan Cook est écrivain  et journaliste, basé à Nazareth, Israël. Il est membre du comité de  parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont été  présentés le 4 mars 2009.
http://www.jkcook.net/Articles3/050... Traduction : Anne-Marie Goossens