Par Orouba Othman
Cet article, publié sur le site en anglais d'Al-Akhbar le lundi 24 novembre 2014, est une traduction de l'édition en arabe.
Le dossier de la reconstruction de Gaza a entraîné des paradoxes grossiers, de ceux qui apporteront davantage de misère dans la petite enclave après l'accord fragile de cessez le feu. Ce qui vraiment brise le cœur des Palestiniens de Gaza, c'est que les mêmes qui ont fait pleuvoir des tonnes d'explosifs sur leurs têtes vont les inonder de leurs "bienfaits", et même en tirer profit... Alors qu'ils ont payé du prix de leur sang, leurs assassins sont récompensés par la reconstruction de la Bande, et en les espionnant, sous le couvert de la communauté internationale.
Des Palestiniens fuient leur quartier détruit en carriole, à Beit Hanoun, au nord de Gaza, le 18 août 2014 (AFP / Thomas Coex)
Bande de Gaza - Maintenant que le temps a révélé ce qui était caché, il est clair que la reconstruction de la Bande de Gaza va être une affaire lucrative pour de nombreuses parties, à savoir l'Autorité palestinienne (AP), qui est censée être bouleversée par la vue des Gazaouis déplacés dormant dehors. Elle a toutefois fermé les yeux devant cet accord "payant" au moyen de deux organes d'investissement : le Fonds d'investissement palestinien (Palestinian Investment Fund, PIF) et le Conseil économique palestinien pour le développement et la reconstruction (Palestinian Economic Council for Development & Reconstruction, PEDCAR). Via ces deux organismes, des sommes d'argent importantes vont être acheminées dans les poches de la société israélienne Nesher, avec qui l'AP a passé contrat pour l'importation de matériaux de construction, notamment le ciment, tandis que l'Office de secours et de travaux pour les réfugiés des Nations Unies (UNRWA) prendra une part du gâteau.
Le trio (Israël, UNRWA et l'AP) n'a eu aucune considération pour le sang glacé qui coule dans les veines des personnes déplacées. Tout ce dont il se soucie, c'est de faire du profit au dépens du sang qui a coulé en abondance pendant 51 jours de guerre. C'est particulièrement vrai pour l'AP, qui, dans le "marché", conjugue politique et capital à travers deux entreprises, Emaar et SANAD, tandis que l'UNRWA supervise la légitimation et la réglementation du blocus sous le prétexte de "suivi des matériaux de construction à usage double."
Après avoir accepté les conditions de l'ennemi dans les plus infimes détails, en particulier en ce qui concerne les systèmes de surveillance, le contrôle sécuritaire strict du rôle des Nations Unies [par Israël] a diminué de façon spectaculaire, si on le compare au plan de reconstruction qui a suivi la guerre de 2008, qui ne stipulait pas les contrôles de sécurité.
Selon ce rôle, et selon le plan de l'envoyé des Nations Unies Robert Serry, les maisons des familles des combattants de la résistance resteront à l'état de gravas puisqu'elles sont considérées comme "liées au dossier sécurité" par Israël, tandis que l'UNRWA recevra environ 20 pour cent des fonds de reconstruction pour les distribuer, à titre de récompense, à environ 200 à 500 inspecteurs internationaux, dont la mission est de surveiller la mise en œuvre du processus.
L'UNRWA se démène également pour prendre la direction de la dépense des fonds de reconstruction. Elle a récemment publié une proposition globale qui met en avant sa vision et sa capacité à construire 14.000 maisons en 2 ans, citant son "expérience accumulée" dans la construction de complexes résidentiels comme les quartiers saoudiens, émiratis, indiens et japonais à Gaza.
On a également dit que le [prétendu] refus de 30 organisations internationales de reconstruire les structures adjacentes à la frontière orientale n'est qu'une partie du plan visant à reconstruire le secteur de manière à ce que la résistance ait des difficultés à en modifier l'infrastructure. Ceci explique pourquoi ces organisations ont mis en œuvre leurs projets sous le couvert de secours et réhabilitation pour une période de 18 mois - à partir du mois prochain - sauf les projets de réhabilitation des maisons détruites.
Une source haut placée à l'UNRWA a défendu la position de l'organisation, disant que "les Nations Unies n'ont pas élaboré le plan seules, c'est le produit de longues négociations entre la délégation palestinienne dirigée par le Premier ministre Rami Hamdallah, la délégation israélienne dirigée par le major-général Yoav Mordechai, chef de l'administration militaire israélienne dans les territoires palestiniens, et l'ONU représentée par un seul représentant du bureau de Robert Serry."
La source a indiqué à Al-Akhbar que "le plan n'a été approuvé qu'après le consentement du Fatah et du Hamas, raison pour laquelle Moussa Abu Marzouk, chef adjoint du bureau politique du Hamas, a exprimé sa surprise devant l'opposition au plan."
Israël se taille la part du lion
Selon les chiffres disponibles, les entreprises israéliennes vont recevoir environ 70% des profits de la reconstruction, qui iront pour la plupart à la société Nesher, ainsi qu'à un certain nombre d'usines dans les colonies. La société, qui a été lancée à Haifa en 1925 et est l'un des principaux producteurs de ciment en Israël, monopolisera la fourniture en matériaux de construction au secteur dévasté, après la mise sur la touche des sociétés égyptiennes. Ironie de l'histoire, le mur d'apartheid et les colonies qui étranglent la Cisjordanie occupée sont construits avec le ciment produit par cette compagnie.
L'engagement de l'autorité de traiter avec cette société est conforme aux Accords d'Oslo et au Protocole de Paris, qui renforcent la dépendance de l'économie palestinienne envers son homologue israélien. Plusieurs accords obligent Ramallah à importer le ciment exclusivement de Nesher par la Compagnie palestinienne des services commerciaux (Palestinian Commercial Services Company) connue sous l'acronyme de SANAD, et s'il est nécessaire d'importer de tout autre pays, l'AP devra mendier l'approbation israélienne.
Les mêmes chiffres montrent que la société israélienne satisfait 80 pour cent des besoins en ciment de la Cisjordanie et de Gaza. Israël a tâté le terrain en faisant entrer 600 tonnes de ciment (18 pour cent des besoins quotidiens) une seule fois le mois dernier - le jour où le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-Moon est venu à Gaza - et ces quelques tonnes sont restées dans les entrepôts pendant 15 jours avant d'être mises à la disposition des personnes touchées, qui ont reçu moins que le quota requis.
Maher Tabba, analyste économique, a dit à Al-Akhbar que "seulement 20 pour cent des besoins quotidiens totaux en ciment sont parvenus à Gaza, entre le cessez-le-feu et la semaine dernière" ; il a fait remarquer qu'après la réception des fonds de reconstruction, "l'ennemi israélien en aura la plus grosse part, en plus de la déduction d'un pourcentage pour les projets internationaux."
SANAD et la soif de l'argent
Quand à l'Autorité palestinienne, il est important de connaître l'histoire de SANAD, qui est chapeauté par le Fonds d'investissement Palestine(Palestine Investment Fund, PIF), et est actuellement dirigé par Louay Kawas. Il semble que la société a saisi l'occasion au bon moment pour développer son activité et monopoliser le marché du ciment au détriment des commerçants de Gaza. Elle a été fondée en 1994 et est l'agent exclusif de Nesher. Elle a récemment subi une restructuration et a changé son nom pour "SANAD pour les industries de la construction", pour passer du secteur des services à celui de la production.
Les entreprises de Gaza ont exprimé leur forte objection quand SANAD a établi une liste de 12 entreprises qui seront les distributeurs exclusifs de ciment, arguant des restrictions israéliennes, bien que la plupart des entreprises s'étaient conformées aux conditions imposées par le plan "Serry". "La tromperie des commerçants" par SANAD ne s'est pas arrêtée là. La société a signé des contrats suspects avec les entreprises sélectionnées, et a demandé à leurs propriétaires d'importer tous les matériaux de construction exclusivement d'elle-même, même si elle est n'a que le droit d'imposer des restrictions sur l'importation de ciment, sans parler des profits des entreprises de Gaza dans ce processus, qui seront inférieurs à 6$ par tonne de ciment.
Kawas est allé récemment à Gaza, apparemment pour tenter d'augmenter le montant des bénéfices de son entreprise au détriment des commerçants. Il a visité des usines de béton et a signé des contrats avec les propriétaires pour réhabiliter leurs usines en échange de plus de 50 pour cent de leur capital.
Conflit entre le Fonds palestinien d'investissement (PIF) et le Conseil économique palestinien pour le développement et la reconstruction (PECDAR)
Avant que SANAD (qui opère dans le cadre du PIF) remporte le "privilège de la reconstruction", l'entreprise a été impliquée dans une guerre secrète avec le PECDAR, bien que les deux sociétés aient obtenu leur influence des pouvoirs exécutifs palestiniens et soient des exemples frappants de conflits d'intérêt et des interrelations entre le politique, l'argent et les affaires à Ramallah. Les deux sociétés ont préparé des plans de reconstruction "incomplets" simplement pour obtenir une plus grosse part du gâteau.
Quelques jours à peine après la fin de la guerre, PECDAR a présenté son projet, constitué de 200 pages, aux médias, ce qui soulève des doutes sur le mécanisme de sa préparation et la raison qui se cache derrière l'urgence. Il convient de noter que le ministère palestinien des Travaux Publics a annoncé, il y a quelques jours, la fin de la période d'inspection des dommages causés par la guerre israélienne sur Gaza.
PECDAR est actuellement géré par Mohammed Shtayyeh, membre du Comité central du Fatah. La structure a été fondée par l'OLP en 1993 pour mettre en œuvre les projets d'infrastructure et la préparation des études sur les besoins des villes palestiniennes. Un rapport préparé par le groupe de la société civile Coalition pour la responsabilité et l'intégrité (Coalition for Accountability and Integrity, AMAN), dit que PECDAR n'est qu'une extension naturelle de l'autorité, ce qui explique qu'elle soit l'objet d'un faible contrôle financier et administratif. Même son Conseil d'Administration n'a pas été convoqué depuis environ 15 ans.
Le fonds d'investissement géré par le vice-Premier ministre, Mohammed Mustafa, cherche également à prendre la tête dans le domaine de la reconstruction. Son nom est apparu à propos de cas de corruption financière à grande échelle, ce qui reflète le conflit d'intérêt dans la reconstruction deGaza, puisque Mustafa cherche à faire qu'Emaar - la branche investissement du PIF - entreprenne le processus de reconstruction, sans parler des bénéfices que récoltera SANAD, qui opère sous le même fonds. Toutes les allégations de corruption liées au fonds reflètent le volume des "produits" financiers qui iront au fonds si la reconstruction a lieu sous sa direction.
Commentant ceci, l'homme d'affaires palestinien Osama Kahil dit que "le monopole du PIF aboutira à l'exclusion du secteur privé du processus de reconstruction, comme c'est le cas en Cisjordanie , où le fonds a fait des investissements lourds dans des projets résidentiels haut de gamme et éjecté les entreprises privées."
"Le plan de reconstruction peut être interprété de deux façons : d'abord, il y a la stupidité de toutes les parties qui ont approuvé le plan. Deuxièmement, c'est une conspiration contre Gaza qui impliquent ces mêmes parties," a-t-il dit à Al-Akhbar.
Kahil n'exclut aucune partie de la corruption sur la question de la restructuration. Il a dit que "l'Autorité palestinienne, y compris ses ministères et ses structures, le Hamas compris, a approuvé le plan dans tous ses détails, et puis est venue la bénédiction des factions, qui n'ont fait aucune objection jusqu'à la question des caméras de surveillance." Il s'est demandé, d'un ton désapprobateur : "N'est-ce pas de la coordination sécuritaire avec l'ennemi ? Comment acceptons-nous d'être des agents d'Israël, par procuration ?"
Source : Al Akhbar
Traduction : MR pour ISM